Parfois, il aurait suffi de peu pour que l’Histoire du monde bascule, tel le point de départ de cette uchronie en bandes dessinées. C’est l’histoire d’un homme qui franchit un portail pour ne plus revenir, cet homme est Robert « Oppie » Oppenheimer et au petit matin d’un jour de juin 1945, il quitte Los Alamos pour fuir ses cauchemars.
À la rencontre d’autres clochards célestes
L’album de Duval et Pécau aux dessins de Denys est comme une immense toile d’araignée qui se tisse autour d’Oppenheimer. C’est en prenant un verre dans un bar perdu – dont l’enseigne « Paradise » semble être un clin d’œil ironique au destin – que l’ingénieur change de vie. Jack Kerrouac, éternel bobo désœuvré l’entraîne dans un périple entre amitiés et ivresse. Rapidement, Neal Cassidy, l’homme qui inspira Kerrouac pour « Sur la route « , les rejoint. Le trio entame alors un voyage qui les conduit chez William Burroughs à Saint-Louis avant d’aller écouter un jeune trompettiste qui commence à se faire un nom : Miles Davis. Déjà, il faut repartir à Memphis pour faire la fête chez Allen Ginsberg. Il y a partout de l’alcool, de la drogue et des armes, de l’insouciance et une autre Amérique que celle de Los Alamos : sauvage et libre.
Un homme traqué
L’armée américaine bombarde Okinawa, le napalm brûle la jungle, les jeunes hommes engagés doutent, tombent et » nettoient le secteur « . Les cases du débarquement en masse sur l’île de Kyushu en octobre 1945 rappellent les images du 6 Juin 1944 sur le front normand : la guerre s’éternise sur le front Pacifique, de jeunes hommes meurent. La victoire américaine doit pourtant être certaine : Hoover lance alors à la recherche du physicien en fuite tous ceux qu’il arrive à recruter. Il n’est pas le seul, les Soviétiques, la mafia, l’armée sont aussi de la partie. Kill Philby le célèbre espion au service de l’URSS, Eliott Ness déchu en simple détective brisé noyé dans l’alcool, Franck Costello parrain new-yorkais : aucun ne manque au fil des pages. D’autres guerres se dessinent en filigrane, cette fois sur le sol des États-Unis.
L’histoire réécrite
» Et si … « . Une des grandes réussites des auteurs et du dessinateur est d’avoir fait un travail historique rigoureux. Le cahier didactique de 8 pages qui ouvre cet album met en perspective les biographies de Robert Oppenheimer et Jack Kerrouac avec des extraits des planches de cette bande dessinée. Tout est presque vrai, tout est presque faux. C’est une plongée dans un monde où le progrès scientifique n’est pas facteur de bonheur, où la contre-culture est déjà en germe, mais la Guerre Froide aussi. La fin du récit imaginé est aussi une porte ouverte sur le XXIe siècle où tout aurait pu être différent. Le scénario et le graphisme de » Los Alamos » dans la série » Jour J » y concourent parfaitement et offrent aussi un véritable plaisir de lecture.