La Mafia états-unienne est, depuis un demi-siècle, pleinement ancrée dans la culture populaire, à travers les films comme le Parrain, mais aussi les séries ou les jeux vidéo. Ces histoires de fiction s’inspirent largement des grandes figures du crime organisé de l’entre-deux-guerres. Si la pègre de Chicago est la mieux connue, celle de New York n’a rien à lui envier. Le nom de Lucky Luciano est resté célèbre, au même titre qu’Al Capone.
Cette 3e intégrale de la série Les Parrains – Il était une fois à New York, réédition de la série précédemment nommée Ce qui est à nous, nous raconte l’histoire de deux figures moins connues de la mafia new yorkaise : le hollandais Dutch Schultz et Abraham Reles, fondateur d’une organisation surnommée Murder Inc.
Deux arcs narratifs pour comprendre les relations complexes de la mafia au pouvoir légal et illégal.
À travers les deux destins de Dutch et de Reles, nous découvrons, pour le premier, un parrain violent, et, pour le second, un tueur froid et sans remord. Le récit séparé de ces deux truands commence de la même façon. Leur ascension nous est d’abord présentée. Pour chacun, on retrouve les mêmes caractéristiques : partis de la rue, marqués par leur goût pour la violence, leur montée au sein de la pègre a semblé inexorable par leur capacité à diriger.
Le récit de ces vies permet à David Chauvel de nous présenter les relations complexes qui se tissent entre les différents groupes mafieux. On se connait. On collabore parfois. Mais on n’hésite pas à se trahir et à s’éliminer lorsque des intérêts concurrents s’affirment. L’hypocrisie de ces relations est bien mise en avant. Sous couvert de réguler la violence, ce sont en réalité des rapports de domination qui se jouent. Or ceux-ci finissent toujours pas se résoudre dans le sang.
Le rapport aux autorités et à l’opinion publique est également analysé avec finesse. Si Dutch comme Reles ont connu plusieurs différents séjours en prison, on peut constater également que le milieu n’hésite pas à s’appuyer sur une police parfois corrompue pour faire avancer leurs intérêts.
Mais, dans le même temps, c’est bien le renforcement du pouvoir légal qui conduit à la chute de ces groupes. On peut citer le moment de bascule du milieu des années 1930 avec l’arrivée de Fiorello la Guardia comme maire de New York ou Thomas Dewey comme procureur de la ville, qui mettent un point d’honneur à lutter contre le crime organisé.
Quant-à l’opinion publique, les parrains n’hésitent pas à la manipuler en se mettant en scène dans les médias. En faisant valoir leur « probité » aux yeux du public, ils espèrent alors influer sur le cours de leur procès. Cependant, lorsque cette opinion publique se retourne, comme à partir de 1931, avec le meurtre accidentel d’un enfant lors d’une fusillade, les parrains se trouvent en plus grande difficulté.
Les parties 2 et 4 de cette intégrale sont d’ailleurs consacrées à la chute de ces criminels. Celle-ci est à la fois liée aux tensions internes du milieu mafieux, mais aussi à l’affirmation de la puissance publique. Dutch Schultz, empêtré dans des procès dont il tente de se sortir par la corruption et la mise en scène de son image publique, voit son empire dépecé par ses concurrents qui décident finalement de l’éliminer. De son côté, Abraham Reles fait le choix de devenir une « balance » et témoigne contre tous ses « camarades » lors des différents procès. Sa mort lors d’une chute de la fenêtre de son hôtel, laisse place à la spéculation. S’agit-il d’un accident ? D’un suicide ? D’un meurtre ?
Des biographies sous forme de roman noir
Cette histoire des vies de Dutch et Reles est accompagnée, en fin d’intégrale, d’un ensemble de notes. Grâce à celles-ci, nous pouvons mieux comprendre les choix narratifs effectués. Les sources y sont également précisées. En outre, David Chauvel n’hésite pas à distinguer les faits de leur interprétation, ce qui témoigne d’une volonté de nous proposer un récit vrai et donc fiable. Si certaines scènes sont par ailleurs purement fictionnelles, ce qu’on peut comprendre dans le cadre d’un roman graphique et des lacunes dans les sources, cela nous est clairement précisé dans les notes.
Dans le même temps, on constate toute l’influence du roman noir dans cette intégrale. Chaque album s’ouvre avec des références implicites à la mort des protagonistes : le délire de Dutch lors de son agonie, la chute fatale de Reles. S’ensuit une présentation du cadre du récit. Les dialogues y sont d’ailleurs assez rares. Nous avons le sentiment de suivre une forme de reportage journalistique. On apprécie le rythme, marqué par une succession de temps calmes, de montées en tension et d’épisodes de grande violence.
Le dessin de Erwan le Saëc, semi-réaliste, et les couleurs de Scarlet renforcent l’atmosphère du récit. Cette ville de New York nous apparaît sombre, bien loin des paillettes de Broadway et des Années folles. Par ailleurs, la qualité graphique se suffit bien souvent à elle-même et accompagne un récit efficace et sans lourdeur.
Cette 3e intégrale, qui relate les destins de Dutch et Reles, nous plonge avec efficacité dans la mafia new yorkaise de l’entre-deux-guerres et sa complexité. Le récit, par sa rigueur historique mais aussi sa qualité narrative, permet une immersion dans une époque et un milieu très popularisés par la fiction, mais finalement assez peu connus.