Point commun entre les Invalides, la place Vendôme, le Trianon de Versailles?
Jules Hardouin-Mansart (1646-1708), sous la direction d’Alexandre Gady, collection Monographie, Centre allemand d’histoire de l’art, Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 2010.
Point commun entre les Invalides, la place Vendôme, le Trianon de Versailles?
Louis XIV, non ! Mansart, oui mais lequel : Jules ou François ?
Désormais ce beau livre d’art permet de distinguer l’œuvre de Jules Hardouin de celle de François Mansart. Mais il offre beaucoup plus encore, la renaissance d’une œuvre majeure et sa mise en valeur globale par une expertise scientifiquement menée. L’architecte qui a le plus contribué à définir un style architectural destiné à la monarchie absolue est longtemps resté un inconnu si l’on excepte la thèse de Jestaz soutenue en 1962 et publiée en 2008 et la célébration nationale qui a donné lieu à un colloque et une exposition en 2008-2009.
Une somme magistrale
Le catalogue de plus de 600 pages dirigé par Alexandre Gady est magistral à plusieurs titres. D’abord par la somme de connaissances, de faits établis méthodiquement qu’il regroupe sur Hardouin Mansart. Puis par la coordination de 54 spécialistes qui ont contribué, chacun dans leur domaine à éclairer la carrière, la fortune, le style, la fabrique de l’architecte, la manière royale, le « grand goût ». Magistral ensuite par la méthode mise en œuvre pour mener l’enquête sur l’authenticité de plus de deux cents bâtiments attribués à Hardouin Mansart. Ainsi cet ouvrage devient ainsi le catalogue de référence des œuvres de Hardouin Mansart où sont distingués les bâtiments royaux, princiers, nobiliaires existants ou détruits, des chapelles et des maîtres-autels, des ouvrages d’art comme les projets pour le port de Sète ou le canal du Midi, pour le Pont royal de Paris (1685), la déviation du cours de la Marne pour lutter contre les crues de la capitale, les 24 portes du Grand parc de Versailles. Sont étudiées encore les transformations et les restaurations opérées par l’architecte, mais aussi, très original, les œuvres problématiques et les œuvres rejetées (comme le château de Navarre près d’Evreux, ou celui de Somières du Clain dans la Vienne, ou le Haras du Pin désormais rendu à Robert de Cotte) ou quelques attributions nouvelles. Les attributions ou les rejets sont justifiés par des sources nouvelles, comptes de travaux, inventaires, projets de l’agence de Hardouin Mansart, et même ce « Bref estat …» une vie manuscrite de Jules Hardouin Mansart, document rare pour l’histoire de l’architecture française publiée ici in extenso.
Accompagné de magnifiques photos et documenté de plans précis, chaque bâtiment est détaillé, analysé et commenté. On comprend alors le travail en stéréotomie qui crée des escaliers et les voûtes suspendues, l’art de profiler les façades et la distribution des intérieurs si particuliers à Jules Hardouin Mansart.
Le compas et la perruque
Ce catalogue engage à se promener avec un œil nouveau au château et dans la ville de Versailles, parmi les places et les hôtels parisiens mais également en province pour la délicate et spectaculaire voûte d’Arles (p 96) ou à Dijon par exemple et encore à l’étranger dans le canton de Vaud où l’on est tout étonné de trouver le château de l’Isle. On peut également avoir une lecture de l’œuvre de Mansart en suivant les commanditaires nobles (Louvois, de Bellefonds, Pomponne, Guénégaud, Condé…) qui ont favorisé sa carrière en le faisant travailler dans leurs hôtels versaillais, leurs hôtels parisiens, pour des commandes administratives de gouvernement ou du parlement provincial et enfin dans leurs domaines ruraux, marquant ainsi le territoire d’un réseau de style nouveau jusque dans les campagnes. Mansart est devenu un chef d’école, « il n’y aura plus en province de place royale qu’on ne se sente en France » (p 4). Cependant, Mansart ne fit pas école à l’étranger, à Nancy, ni à Turin, le style français ne s’imposant pas face au style italien. Identification d’un style, donc à son seul territoire.
Supériorité du dessein sur le dessin.
Une série d’articles donnent une nouvelle lecture de la carrière de Mansart, brisant plusieurs poncifs : aucune coterie ne l’aurait abattu car il avait la faveur exclusive du roi et il ne savait pas dessiner. Évidemment il s’est opposé à son grand-oncle François Mansart dessinateur sublime et créateur de bâtiments originaux et trouva une part de son style chez Le Vau comme le démontre l’auteur. Mais le jeune picard Jules Hardouin comprend vite que l’art et l’architecture doivent faire le lien avec le pouvoir, doivent être l’expression même du pouvoir monarchique. Lui qui n’a pas fait de séjour en Italie, il abandonne les règles de l’Antique, l’imitation des Anciens, ce qui a jeté ce Moderne dans le style dénommé au XIXe siècle, Classique. Abandonnant également le primat du dessin préparatoire, primordial depuis la Renaissance, Hardouin Mansart devient « l’homme du concept ». S’opposant sur un nouveau point de méthode, il remet en cause l’imitation, l’accumulation de citations architecturales, la copie de morceaux de prédécesseurs si appréciée au XVIIe siècle. L’artiste doit faire du neuf, se répandre sur la scène royale et l’architecture doit servir la puissance monarchique. L’architecture sculpte l’espace. Le maître de la façade concave remplace bientôt « le convexe » Le Vau. Il devient ainsi le seul interlocuteur de Louis XIV en matière d’architecture.
« M. Mansard serait l’intention du roy »
Mansart ne serait-il que le simple interprète de la volonté artistique du roi ? L’artiste converti en un courtisan nouvelle manière, l’architecte laquais? Ceci fut reproché immédiatement à Jules Hardouin Mansart, attaquant une carrière qui n’a pas d’équivalent (premier architecte du roi et surintendant général des Bâtiments, Arts et Manufactures de France soit un rang de ministre, Académicien de l’Académie royale d’Architecture), sa fortune importante issue de ses affaires réussies et de grosses gratifications royales. Il est anobli par la faveur en sept ans de service auprès du roi, ce qui ne peut que mal disposer la cour contre lui. Puis, hérésie pour les ducs et pairs, sa terre de Sagonne est érigée en comté. Mais surtout il fut bien plus qu’un entrepreneur en bâtiment, plus qu’un architecte, il disposa de la commande, de la conception, du suivi et du contrôle du projet, il disposa de l’administration des bâtiments royaux, ainsi il réforma le travail par projet en agence. Après la mise à l’écart du peintre du roi Charles Le Brun (1683), entrent dans son domaine d’intervention la décoration, les peintures et même les frontispices des places fortes construites par Vauban comme les jardins à Versailles où il acheminé avec Hortésie, la fée des jardins selon l’expression de Claude Mignot.
Ce livre illustre la prolixité à peine croyable d’une carrière d’architecte d’une trentaine d’années, prolixité qui a également surpris les contemporains tout en desservant sa renommée. Justice immédiate lui est rendue par son successeur en 1708 : « il n’a ni friponné, ni volé comme on l’a dit, le mal vient de ce qu’il n’avoit point d’ordre » (p 30).
Ce livre bat en brèche avec une écriture très élégante, « l’insupportable discours sur l’art français fait d’équilibre et de mesure qui a trop longtemps tenu lieu d’analyse de l’architecture sous Louis XIV» (p 79).
En cela, cet ouvrage est nécessaire pour la formation en histoire des Arts dans les nouveaux programmes de l’Éducation Nationale. La lecture des modifications de la composition des façades, de l’art du mur, du comble et des toitures, de la révolution distributive des appartements (p 80 et suiv.) est une révélation éblouissante pour qui veut bien former son œil à voir l’architecture.
Dépassant chronologiquement le programme du Capes, ce livre donne une ouverture au sujet du « Prince et des Arts » dans une littérature française qui, avant les travaux d’Alexandre Gady (« Places des Victoires » en 2004, « Alexandre Lemercier » en 2005….) , faisait peu de place aux grands architectes, hommes illustres mais longtemps méconnus.
Pascale Mormiche