La vie sous l’Ancien Régime écrit par Agnès Walch, une spécialiste de cette période, et plus particulièrement du mariage et du couple sujets qui sont d’ailleurs abordés parmi « les plaisirs de la vie » aux pages 293-327 de ce livre. Plaisirs de la vie, douceur de la vie au XVIIe et au XVIIIe siècles dans le royaume de France d’après Talleyrand 1 et de nombreux autres témoignages voilà qui va à l’encontre de nos représentations ! En effet, « Ce livre a pour ambition de confronter les sources de l’époque à l’image qu’en dessinent les historiens, qu’ils nous transmettent et qui forgent nos représentations  » (p16) . Pour y parvenir  plus parfaitement peut-être,  l’historienne s’est heurtée à une difficulté cependant  : la rareté des sources émanant des plus humbles.

L’époque est marquée par une forte mortalité, l’insécurité, les disettes, des inégalités sociales criantes … alors d’où vient ce ressenti d’une époque heureuse ? Et qui pense ainsi ?

La douceur de vivre repose selon l’auteur sur un « socle de croyances » partagé et intériorisé par tous depuis le roi jusqu’aux plus humbles. Celui-ci est analysé dans le premier chapitre de l’ouvrage. Il s’agit d’abord de la croyance en la nécessité d’une autorité royale forte, détenue par un roi providentiel, conscient de sa mission. Il doit bien gouverner le royaume, temporiser. Ce n’est qu’ultérieurement que la monarchie  d’alors est dite « absolue » d’ailleurs, et ses plus fervents admirateurs sont le petit peuple. Ensuite, la société d’ordres et toutes les inégalités sont aussi ressenties  comme « normales » et sont parfaitement intériorisées ; car d’une part, la société  n’est pas figée : il est possible de s’enrichir de s’y élever et le brassage reste limité donc inoffensif. Et, parce que,  d’autre part, il « s’exprime une solidarité entre les divers groupes » (p 24). Cette solidarité est nécessaire pour éviter les révoltes et/ou faire son Salut. Cette hiérarchie est qui structure les rapport entre les uns et les autres est rassurante.
Acceptation, intériorisation de l’autorité royale et des inégalités sauf en matière de fiscalité. Transformer les Français en contribuables, remplir les caisses de l’État est le problème majeur de la monarchie dont les besoins augmentent surtout à partir de 1643. Les inégalités sont nombreuses selon la catégorie sociale, le pays (élection ou états.) et renforcent l’impopularité intrinsèque de l’impôt. Des critiques s’élèvent dénonçant les privilèges, le gaspillage des privilégiés, l’augmentation de l’impôt …. Bien que les révoltes ou les émotions soient matées, l’Etat est conscient de l’injustice de la fiscalité et tente d’y remédier en vain jusqu’à 1789.
Enfin, très ancrée dans chaque individu et ferment d’unité : la chrétienté. Les mêmes rites, les mêmes calendriers rythment la vie des hommes de toutes les conditions.  Unité aussi de par la révocation de l’Édit de Nantes, encore que celui-ci aurait revivifié le protestantisme sous des formes « exaltées et secrètes » (p 85). Unité même si diverses tendances apparaissent comme le Jansénisme et qu’il existe aussi des libertins c’est-à-dire « des libres penseurs qui se moquent de la religion instituée et des superstitions en tous genres » (p105). Ces dernières persistent certes du fait par exemple des lacunes de la médecine, mais elles déclinent de même que les cas de possessions etc…  parce que les Français sont mieux catéchisés mais aussi parce que le rationalisme, le scientisme progressent parmi les élites cultivées laïques ou cléricales comme Pascal l’illustre.  Ces progrès plus marqués en France, sont à mettre en relation avec le gallicanisme (p103)

La seconde est la troisième partie du livre sont plus axées sur l’étude de la vie quotidienne, les mœurs des Français, et leur quête du bonheur qui s’affirme comme but de l’existence.     Plaisirs de la table, goût pour la mode ou plutôt de l’élégance malgré le discours des moralisateurs laïcs ou cléricaux. Plaisirs qui sont surtout l’apanage des catégories sociales supérieures certes, il est classique d’opposer la frugalité des uns aux orgies des autres, à leur luxe dispendieux et inutile voir la luxure à laquelle ils se livrent. Les règles de savoir-vivre s’installent entraînant ce que certains considèrent comme une certaine « féminisation », une pacification des rapports sociaux. Celle-ci se traduit de diverses façons : courtoisie, désintérêt à l’égard de sports violents et des loisirs guerriers…
Plaisir, bonheur de la culture aussi, pour la langue française et pour les jeux de mots …  Se cultiver pour s’élever, pour briller.  L’éducation progresse, et peut-être plus dans la bourgeoisie, elle est un enjeu important. Les femmes ne sont pas en reste. Elles peuvent tenir la dragée haute à ces messieurs. Les femmes d’ailleurs bien que légalement inférieures aux hommes, sont très présentes notamment dans la vie intellectuelle de l’époque, donc pas seulement à la place où on les attend traditionnellement.   Les étrangers notamment remarquent, s’étonnent de cette mixité.
La mixité de la population sous bien d’autres angles que celui des rapports homme femmes, la diversité des Français qui cohabitent alors est aussi racontée, analysée par A. Walch au cours de cet ouvrage. En effet, apparaît la diversité des catégories sociales (on peut d’ailleurs noter l’emploi ça et là de l’expression classes sociales par l’auteure) évidemment, mais aussi la diversité parlers, des modes … Les différences entre Paris, voire Versailles et la reste du royaume sont très sensibles, et cela peut être source de moquerie au sein même de la noblesse ou de la bourgeoisie. L’unité administrative n’existe pas, elle est encore en construction, tout comme le sentiment national ou l’amour du roi dans un royaume aux frontières encore mouvantes.  Les plaisirs de la vie et leur recherche sont partagés par les Français mais l’État aussi s’intéresse aussi au bonheur de ses sujets : il s’intéresse à l’hygiène publique, ou encore intensifie la lutte contre la criminalité dans la capitale notamment. Il tente de réformer l’impôt pour remplir les caisses de l’Etat mais aussi pour plus de justice nous l’avons dit… Les pouvoirs publics organisent des festivités afin de divertir la population (et aussi de mieux l’encadrer et afin de contribuer à sa crédibilité financière notamment sur la scène internationale) ….  Le plaisir de vivre passe donc aussi par des loisirs très populaires : le théâtre, la danse et surtout peut-être le jeu qui connait un vrai   engouement et pas seulement qu’à Versailles et devient ainsi aussi un fléau.
Afin, le bonheur passe aussi par une vie de famille heureuse qui repose sur le mariage. Surprise peut-être, le mariage est tardif et surtout c’est souvent un mariage d’amour – sauf dans les catégories les plus aisées. Celui-ci est favorisé notamment par l’intériorisation des clivages sociaux et des règles sociétales : les « jeunes gens » évitent les inclinaisons envers ceux qui ne conviendraient pas et qui pourraient aboutir à des refus.

Ainsi donc, à travers l’étude de nombreux et variés témoignages et le partage de ceux-ci en nous en livrant des extraits abondants, A. Walch nous plongent à cœur de la vie des Français à la fin de l’Ancien Régime .  Elle nous livre une histoire  du ressenti, intimiste  (c’est par les cinq sens, par exemple, que nous pénétrons dans le quotidien des Français) : un livre de « psychologie historique » 2. Elle montre la richesse de cette période qui n’est pas idyllique mais qui est heureuse . Une époque moderne car des évolutions sont en cours ; mais aussi, une époque ancienne pour des contemporains, des auteurs – surtout les Lumières- mais aussi, déjà, des nostalgiques ! Ce  regard différent qui vient bouleverser bien des représentations,  peut surprendre. C’est indéniablement un des intérêts et des atouts de cet ouvrage.

Notes :

  1. « Talleyrand aurait déclaré  » Qui n’a pas vécu dans les années voisines de 1789 ne sait pas ce que c’est que le plaisir de vivre » » p. 7. La vie sous l’Ancien Régime
  2. A Walch :  » Ce livre souhaiterait prolonger la quête réalisée par Robert Mandrou pour les années 1500- 1650 dans son essai de psychologie historique « . p 16,  la vie sous l’ Ancien Régime