De la détestation des historiens chrétiens à l’intérêt renouvelé des historiens
Julien l’Apostat, empereur romain de 360 à 363, est à la mode : après avoir été durant des siècles l’incarnation de la fourberie et du mal aux yeux des historiens chrétiens, il avait connu une certaine éclipse jusqu’au retour ces dernières décennies de l’Antiquité Tardive sur le devant de la scène historique.

Armand Colin participe de ce phénomène en publiant cette traduction, – et en signalant le moins possible, selon une pratique éditoriale malheureusement fréquente, que l’ouvrage date de 1978. Bref (moins de 150 p.), le texte se focalise sur la vie de l’empereur et sa personnalité, ce qui implique que le lecteur ait une idée du contexte politique et religieux du IVème siècle.

L’empereur qui apostasia

L’événement crucial dans la vie du personnage intervint dans sa sixième année, lorsque, à la mort de Constantin le Grand, ses trois fils écartèrent puis firent massacrer la famille de Julien, née d’un demi-frère du défunt. Leur jeunesse sauva Julien et son demi-frère Gallus: tenus à l’écart du monde, ils reçurent une éducation chrétienne mais Julien entra également en contact avec des païens néo-platoniciens et se convertit secrètement à leur croyance en 351. Sa situation s’améliora après que Constance, fils de Constantin, eut perdu ses deux frères : à la recherche de soutiens pour faire face aux assauts dont était victime l’Empire, il nomma Julien César pour mater les peuples barbares qui sévissaient en Gaule (355).
Le César se montra à la hauteur de la tâche mais, lorsque Constance voulut lui ôter une partie de ses hommes pour mener campagne contre les Perses à la fin de l’hiver 360, Julien se fit proclamer empereur par ses troupes, à Paris. L’affrontement était devenu inévitable en 361, mais Constance mourut soudainement, laissant son rival seul maître de l’Empire.
Ce dernier put alors pratiquer publiquement les cultes païens et porter la barbe, symbole de ses croyances. Il combattit le christianisme, tenta de réformer la cour, corrompue par les chrétiens habitués au luxe, et entreprit de rendre aux conseils des cités, et en particulier au sénat de Constantinople, leur autorité et leur prestige perdus. Toutefois, l’austérité de l’empereur lui aliéna nombre de soutiens, en particulier celui des Antiochiens: lors d’un long séjour, il fut profondément blessé par l’attitude des habitants, attachés au luxe et aux fêtes, alors qu’il espérait y trouver des défenseurs de l’hellénisme comme il le concevait, pieux et frugaux. Il quitta la ville, désabusé et amer, pour aller affronter les Perses contre l’avis de ses conseillers, et trouva la mort lors d’un affrontement, le 26 juin 363.

Julien, persécuteur ou esprit ouvert?

Pour l’Antiquité, Julien est un esprit intolérant et fanatique, uniquement occupé par son plan pour éradiquer l’État chrétien. Il recourut pour ce faire moins à la contrainte qu’à des tracasseries diverses et lutta contre l’Église sur son propre terrain ; il institutionnalisa ainsi la charité dans les temples païens et soutint la reconstruction du Temple juif pour restaurer plus généralement la pratique des sacrifices et pour prouver que Jésus avait tort en annonçant la destruction totale de l’édifice. Ses écrits trahissent sa frustration et son impossibilité à surmonter les humiliations : incapable de nouer des relations normales avec ses semblables, l’empereur ne trouve pas grâce aux yeux du biographe. On peut trouver cette position excessive, mais elle constitue néanmoins une salutaire mise en garde contre la tentation de faire de Julien une incarnation de la tolérance, à une époque où les religions monothéistes sont de nouveau conçues par certains comme des menaces.