Les Jedburghs étaient des unités spéciales sélectionnées au sein des armées britannique, américaine et de la France libre, afin d’être parachutées par équipes de trois derrière les lignes allemandes, dans la France occupée. La mission de ces hommes était d’organiser, d’armer et d’entraîner les maquisards français afin d’intensifier la lutte armée et d’empêcher au maximum les troupes allemandes de parvenir en renfort sur le front de Normandie. Traduit de l’américain, ce livre en retrace la genèse et l’action.
Will Irwin qui a été lui-même capitaine dans les Forces spéciales américaines, a fait connaissance de vétérans des Jedburghs dans les années 1980, et entrepris des recherches sur ces unités spéciales. L’ouvrage qui paraît aux éditions Perrin est la traduction de celui qu’il a publié à New York en 2005. Les sources de ses travaux sont des entretiens avec d’anciens membres de ces missions, des monographies d’unités, des ouvrages spécialisés (presque tous en anglais) ainsi que des archives publiques et privées, anglaises et américaines, en particulier les rapports de « débriefing » des équipes à leur retour à Londres. Les missions étaient classées secrètes et les hommes furent astreints au respect de ce secret. Ils ne témoignèrent pas avant que les archives ne soient ouvertes, dans les années 1980.
Histoire et récits d’aventure
L’auteur a voulu faire un travail d’historien ; notes, sources, bibliographie et tableau des missions occupent les 60 dernières pages. Le spécialiste et le chercheur trouveront dans ce livre de précieux renseignements, en particulier le tableau des 83 missions identifiées par l’auteur avec pour chacune d’elles, leur nom de code, l’identité et la nationalité de ses trois membres, leurs pseudonymes, la date et le lieu de leur parachutage, éventuellement leur sort s’ils ne sont pas rentrés.
Il ne s’agit cependant pas d’une étude analytique de type universitaire mais d’un ouvrage très vivant et d’une grande facilité de lecture. Après avoir présenté dans les deux premiers chapitres les modalités de sélection et de formation des hommes recrutés pour ces missions difficiles ainsi que les structures militaires au sein desquelles elles sont intégrées, l’auteur a choisi de suivre sept équipes. Il s’agit alors de véritables récits d’aventure, très précis, concrets, vivants et parfois dramatiques. S’appuyant sur le croisement des sources qui sont nombreuses, précises et complémentaires pour les missions qu’il a choisies, il nous présente les hommes, leur origine, leur formation, les conditions de leur engagement, leur parachutage, la réception par les maquisards français, leur vie au maquis, leurs actions dans le déroulement de la mission (organisation, sabotages et parfois combats). Le lecteur prend connaissance d’une réalité qui n’est pas souvent décrite : au cœur des maquis, avec la Résistance française, au contact des Allemands qui cherchent à gagner le front de Normandie ou, quelques mois plus tard, à faire retraite en direction de l’Allemagne.
Au service d’une guerre subversive
Le projet Jedburgh (les spécialistes se perdent en conjecture sur l’origine de ce nom de code qui est peut-être celui d’une ville écossaise) prévoyait le largage d’une centaine d’équipe des Forces spéciales en France occupée. Chaque équipe devait être composée d’un Américain, d’un Anglais et d’un Français ; en réalité ce ne fut le cas que pour une sur dix seulement, les autres ne comprenaient que des hommes de deux nationalités. L’un des trois hommes était un spécialiste des transmissions radio qui était parachuté avec son matériel. Les missions étaient rattachées à l’OSS (Office of Strategic Service, service de renseignement américain), à la France libre et au SOE (Special Operations Executive, qui dépendait du ministère britannique de la Guerre économique). Elles agissaient souvent aux côtés d’autres unités spéciales plus nombreuses et plus puissamment armées, les SAS britanniques (Special Air Service).
Les « Jeds » (comme les appelle l’auteur) parlent tous parfaitement le français (c’est un critère de recrutement) ; ils opèrent en uniforme car ce sont des militaires (la plupart sont officiers) et non pas des espions. Il leur arrive cependant de devoir revêtir des habits civils : s’ils sont capturés dans cette situation ils ne sont pas considérés comme des militaires et sont immédiatement fusillés.
Ce sont les premières unités de ce genre ; jamais les nations n’avaient, jusqu’alors, organisé, entraîné et équipé des troupes conventionnelles et en uniforme pour former et commander des unités de partisans opérant en territoire hostile (aujourd’hui ces unités sont les Bérets verts américains, les SAS britanniques et le Régiment parachutiste d’infanterie de marine français). Leur conception est liée au projet de Winston Churchill quand il a créé le SOE : « mettre le feu à l’Europe », c’est-à-dire lancer les peuples de l’Europe occupée dans une guérilla contre l’occupant.
Une sélection impitoyable
Une fois tombés sur le sol de France, les « Jeds » ne devront plus compter que sur eux-mêmes. Ils devront gagner la confiance des chefs de maquis, passer et repasser les lignes allemandes, établir et maintenir des liaisons radio avec Londres, organiser et réceptionner des parachutages d’armes et de munitions. Aussi la sélection des candidats est-elle impitoyable !
Ils furent environ 300. Ils avaient une vingtaine d’années, la plupart n’étaient pas des militaires avant que n’éclate le conflit ; leur niveau d’instruction était supérieur à la moyenne. Informés et conscients de la difficulté des missions, ils étaient volontaires et ont tous supporté des mois de sélection et d’entraînement. Ils doivent parler parfaitement le français et passer de nombreux tests et entretiens avec des équipes de psychologues et de psychiatres ; ils subissent de rudes épreuves physiques, endurance, course d’orientation, raids nocturnes ; ils apprennent le maniement des armes américaines, anglaises et allemandes mais aussi le combat à mains nues et au couteau, et encore les grades et l’organisation de l’armée et des polices allemandes et françaises ; ils sont formés aux techniques de sabotage des diverses infrastructures avec diverses méthodes, enfin il doivent évidemment être entraînés au parachutage.
Après être passés par plusieurs centres secrets d’entraînement, ils furent regroupés en Angleterre en février 1944 à Milton Hall. C’est là que, par affinité, se constituèrent les équipes de trois et que se poursuivit l’entraînement par équipe.
Sept équipes en action avec les maquisards français
Les aventures de sept équipes nous sont donc proposées : trois missions opèrent en Bretagne de juin à août 1944 où elles arment puissamment les maquis locaux et combattent à l’arrière du front de Normandie ; une mission prend contact avec les FFI de l’Yonne qui doivent protéger le flanc droit de la IIIe armée américaine en août 1944 ; une équipe est parachutée en Picardie où elle n’a pas le temps d’accomplir sa mission, victimes de malchance ses trois membres sont capturés et fusillés ; une équipe partie d’un aérodrome algérien opère dans la Drôme et dans les Hautes Alpes où pendant trois mois elle effectue de nombreux sabotages avant de regagner Londres en septembre 1944 ; une autre combat aux côtés des maquis entre Belfort et Besançon.
L’épilogue trace à grands traits les biographies des membres des équipes dont les actions ont été racontées. Quand la guerre fut finie en Europe, certains repartirent au combat en Asie. Par la suite ils eurent évidemment des carrières très diverses, militaires ou civiles. Les vétérans tinrent leur première réunion à Paris en 1984, puis se retrouvèrent à plusieurs reprises : ils étaient encore 22 survivants en 2004 en Angleterre.
Ce livre éclaire un aspect mal connu des combats pour la Libération de la France en 1944. Il vient compléter l’ouvrage fondamental de M. Foot, «SOE in France» dont la traduction française est parue l’année dernière. Ces ouvrages conduisent à réévaluer la part des Alliés dans l’organisation de la Résistance en France et dans la libération du territoire français, depuis la constitution de réseaux de résistance au début de l’occupation jusqu’à l’action de ces missions venues apporter un appui conséquent aux maquis.
Les limites de cet ouvrage sont celles de ses sources. Il est en effet tributaire d’une information qui a pour seule origine les récits des membres des missions Jedburghs. Or ces hommes ont une vision nécessairement fragmentaire et déformée de la situation réelle de la Résistance dans les départements où ils agissent. L’auteur n’a utilisé aucune étude historique sur la Résistance française, ce qui lui aurait permis une mise en perspective et une plus rigoureuse analyse historique. Il a privilégié le récit et de ce point de vue il a plutôt bien réussi.
© Clionautes
Bonjour Olivier
merci pour votre commentaire.
Pour la question des droits c’est à l’éditeur qu’il vous faut poser la question
Bien cordialement
Christiane Peyronnard
Fort intéressant sur la phase de l’action des maquis et Jedburghs après le débarquement, peu connue.
Mon père, Pierre RATEAU, FFL, BCRA, Compagnon de la Libération, a effectué une mission, parachuté en août 1944 auprès des maquis vendéens dispersés près de la poche de Saint-Nazaire, pour les regrouper sous l’égide militaire des alliés.
Avez-vous des informations sur ce sujet particulier ? J’écris un livre retraçant sa guerre.
Y a-t-il des droits réservés sur les extraits du livre de Stéphane Simmonet ?