Le Graal pourrait-il être un bocal à anchois ? Comment Perceval connaît-il la Poétique d’Aristote ? Merlin tient-il du démon ou de la pucelle ? Recrutait-on des chevaliers à la taverne ? Les dragons étaient-il des anguilles ? Autant de questions incongrues qui paraissent en parfait décalage avec notre réalité numérique. Pourtant, la série télévisée créée par Alexandre Astier voici une dizaine d’années maintenant est restée dans les Annales. Elle met en scène le roi Arthur et les chevaliers de la Table ronde qui ont marqué les esprits par un humour décapant, des personnages burlesques et des répliques cultes. Le contexte historique qui sert de cadre à la série est une période charnière, entre Antiquité tardive et début du Moyen Age. Faut-il prendre au sérieux cette série qui réécrit de fond en comble la légende arthurienne ? Deux jeunes chercheurs, Florian Besson, normalien et docteur en histoire médiévale et Justine Breton, agrégée de Lettres modernes, docteur en littérature médiévale et spécialiste des films et séries télévisées sur la légende arthurienne, ont tenté l’aventure et ont réunis le savoir d’autres universitaires spécialisés en littérature, sociologie, musicologie, histoire de l’art qui donne à cet ouvrage une saveur particulière, mêlant connaissance académique et divertissement. Les deux chercheurs ont voulu démontrer qu’au-delà des anachronismes qui sous-tendent la série, Kaamelot reste riche d’enseignement.
L’histoire d’Arthur et de ses chevaliers telle que nous la connaissons de nos jours, s’articule globalement entre le XIIe siècle avec l’apport de trois auteurs que furent Geoffroy de Monmouth (vers 1095 – 1155) et Chrétien de Troyes (vers 1130 – 1190). Puis, au XVe siècle, avec l’édition du Morte Darthur de Thomas Malory en 1485. La reconstruction arthurienne ne se cantonne pas au Moyen Age mais se perpétue bien des siècles après. Les chevaliers de la Table ronde de Richard Thorpe (1953) ou Excalibur de John Boorman (1981) en témoignent. Ce qui démarque la série Kaamelot, c’est son humour corrosif qui met en exergue les décalages grotesques entre la grandeur des actions évoquées (la quête du Graal) et la façon de les exprimer. Astier s’est inspiré de Sacré Graal ! des Monty Python (T. Gilliam, T. Jones, 1975). Notant qu’au passage, le réalisateur produisit en 2014 Astérix et le domaine des Dieux et prit part aux Visiteurs de Jean-Marie Poirié en 1993. Kaamelot ne se borne donc pas aux seules œuvres arthuriennes antérieures. La série puise dans de nombreuses autres références culturelles, liées entre elles par le cinéma et la science-fiction. Au-delà du comique, quel regard Alexandre Astier porte-t-il ou a-t-il voulu faire porter sur la geste du roi Arthur ? En quelque mot, c’est clairement celle du « désenchantement » de Max Weber dans son ouvrage L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, œuvre fondatrice qui désigne le processus de recul des croyances religieuses et magiques au profit des explications scientifiques.
C’est vrai, le constat est accablant : Merlin est incompétent, personne ne croit à la Dame du Lac, les chevaliers sont des couards et Perceval et Karadoc passent leur temps à la taverne. Arthur lui-même finit par devenir dépressif « parce que ce sont tous des nazes » et tente même de se suicider. Pire, alors que la noblesse réelle s’inspire de la cour arthurienne et de ses chevaliers, les domestiques de la série ne reconnaissent même pas les chevaliers, voire Arthur ! Au final, ce qui disparait dans Kaamelot, ce n’est pas la magie qui apparaît dans certains épisodes, mais le « merveilleux », l’une des soubassements mentaux du Moyen Age. Tout est ramené au pratique, à l’utilité basique. Ainsi, Perceval jette le Saint-Suaire sans savoir ce que c’était, parce qu’« vieux lui avait filé çà avec une poignée de vieux clous rouillés »…La logique de la série est donc une déconstruction de l’héritage arthurien. On va au plus utile, sans s’embarrasser des conséquences ou du lendemain. La série s’insère, lors de sa diffusion, dans les productions alors largement dominées par le Fantasy, cette littérature de l’imaginaire comme la trilogie du Seigneur des anneaux de Peter Jackson parue entre 2001 et 2003 ou bien encore de la série Game of Thrones. Toutes ces séries offrent une place importante au fantastique, au merveilleux avec des monstres, des dragons, des insectes géants etc., Or, face à ce paysage hors du temps ou de l’espace-temps, Kaamelot tranche : pas de monstres, pas de châteaux, pas de batailles ou de chevauchées. On regarde les héros qui regarde la bataille, qui donnent des ordres contradictoires. Astier a voulu nous montrer ce que le spectateur ne voit pas d’habitude, l’intérieur du château, les cuisines, les chambres à coucher, la salle de bain, la salle du trône. D’où un grand nombre d’épisodes focalisés sur les moments de la vie domestique. Le monde de Kaamelot n’est pas figé. Lancelot trahit, Guenièvre « se tire », le Graal est inatteignable et Arthur échoue.
Pourquoi Kaamelot ?
La série se situe à une époque charnière riche d’intérêts pour les historiens : le Ve siècle après J.-C. Une époque encore méconnue car peu d’archives. Dans la série, Rome abandonne la Bretagne, les Barbares sont encore présents et le christianisme débute à peine. Ce qui est intéressant, c’est que le choix fait par Astier nous permet de comprendre qu’il y a une sorte de transition douce qui s’opère. La série nous propose certes un voyage dans le temps, vers une période méconnue où l’on comprend qu’Arthur passe progressivement de la sombre Bretagne à la Macédoine ensoleillée (au début de la série), puis de la lumineuse Antiquité à la froidure du Moyen Age. C’est une sorte d’aller-retour temporel. Autre intérêt, la série touche sans doute plus la réalité historique que les textes médiévaux qui dépeignent souvent des histoires merveilleuses. Ici, pas de batailles titanesques, mais une poignée de soldats, tout au plus une centaine, certainement plus proche du Moyen Age que les séries de Fantasy qui mettent aux prises des milliers de combattants. Alors que la légende arthurienne dépeint un roi Arthur écouté et adulé, c’est tout le contraire que nous montre la série. Le roi a toutes les peines du monde à se faire respecter, les résistances sont nombreuses et durables, les chevaliers s’esquivent lors des combats.
Finalement, on sent qu’Arthur est bien moins royalistes que démocrate. La quête du Graal masque mois une recherche mystique qu’une ambition politique et sociale. Alors que Lancelot goguenard lance à Arthur « s’il croit encore à tout çà », le roi réponde que « c’est comme çà ». Il est des choses avec lesquelles on ne transige pas. Astier a donc réinventé cette légende arthurienne et nous délivre un message clair : ce qui compte, finalement, ce n’est pas l’accomplissement, c’est la volonté d’aller vers et qu’à la fierté du but atteint, il faut préférer la maturation de la recherche, quelle qu’elle soit.
Bertrand Lamon,
Pour les Clionautes