Faire découvrir les grands classiques de la littérature à un enfant ou un adolescent peut s’apparenter à un exercice périlleux voué à l’échec. Mais la mode du manga, devenue évidente chez les éditeurs depuis quelques années est désormais un moyen de les faire rentrer dans la grande littérature grâce à l’adaptation des grands titres par des mangakas. C’est ainsi que Kurokawa a traduit et publié en février dernier l’adaptation de l’un des romans les plus célèbres de Franz Kafka La Métamorphose, parue dans un premier temps en 2019 au Japon chez Kodansha.

En 192 pages, Hiroyuki Sugahara parvient à adapter ce court roman, publié la première fois en 1915. Rappelons que cette nouvelle décrit la métamorphose et les mésaventures de Gregor Samsa, représentant de commerce qui se réveille un matin transformé en insecte. Ici bien entendu, pour obéir aux attentes d’un lectorat en priorité japonais, les noms des protagonistes et une partie du cadre ont été adaptés. Ici Gregor devient Goru, tandis que sa sœur Grete est renommée Rune.

L’auteur, relativement inconnu en France, mérite d’être présenté brièvement. Dans sa jeunesse, Hiroyuki Sugahara étudie la philosophie. Devenu fonctionnaire, il démissionne et décide de se consacrer au dessin. Auteur prolifique, il se spécialise dans la caricature et connait un certain succès au Japon. La Métamorphose n’est pas sa seule adaptation, puisqu’il propose également sa version de L’étranger d’Albert Camus. Objectivement, son dessin peut paraître maladroit si on tente de le comparer à d’autres mangakas. Mais on doit rappeler que le dessin sait aussi parfois s’affranchir du récit et que de nombreux auteurs renommés ont parfois débuté maladroitement avant d’acquérir un trait qui leur est propre (au hasard, Masami Kurumada !). Ici le jeune lecteur saura s’affranchir du style très différent de celui qu’il peut trouver dans One Peace ou Naruto, pour s’intéresser au message porté par cette adaptation. Qui est véritablement le parasite dans cette histoire ? Qui fait preuve d’humanité ? Goru ? sa famille ? L’aide-ménagère ou bien les locataires de ses parents ?

L’essentiel du récit d’origine n’a, grâce à notre mangaka philosophe de formation, aucunement perdu de sa pertinence pour correspondre aux travers et aux interrogations de la société japonaise contemporaine, son matérialisme et ses pesanteurs, tels que le poids de la famille dont Gregor/Goru assume la charge. Plus largement, il interroge également la question universelle du refus de la différence et de celui dont l’apparence ne correspond pas aux codes du groupe dominant. Hiroyuki Sugahara est un auteur à suivre …