La collection « L’incroyable histoire de… » des éditions Les Arènes nous emmène en cuisine avec cet ouvrage. Au menu, neuf chapitres abordent 500 siècles, où diverses civilisations sont convoquées, mésopotamienne, égyptienne, chinoise, occidentale… Cette longue histoire est racontée dans des cartouches textuels, façon cartellino, qui s’insèrent dans des vignettes illustratives, prétextes à des explications complémentaires, des anecdotes, en faisant dialoguer les personnages mis en situation. Cette BD documentaire opère nécessairement des choix.
Le paléolithique supérieur amorce l’ébauche d’une cuisine. La cuisson vapeur, et surtout la fermentation lactique figurent parmi les premières grandes techniques culinaires. On peut y voir le commencement d’une réflexion sur la conservation des aliments. Les Sapiens inventent des pièges et propulseurs pour la chasse. Mais ils restent avant tout un cueilleur. La culture de céréales apparaît. La domestication de plantes et d’animaux caractérise la « révolution néolithique ». L’utilisation de poteries en argile cuite dans le croissant fertile améliore la conservation. Le riz s’impose en Asie. Créant ainsi du lien social, la cuisine précède la naissance de l’écriture et de la roue.
Le deuxième chapitre nous conduit dans les premières grandes civilisations. L’enjeu de ces sociétés, comme à Sumer, est de nourrir le peuple et d’organiser sa subsistance. La cuisine est désormais un ciment social. Orge, blé et épeautre servent à constituer des sortes de galettes de céréales, associées avec divers fruits, condiments et épices, pour un résultat à mi-chemin entre la boulangerie et la pâtisserie. Les Mésopotamiens boivent de la bière. Le banquet aux intentions propitiatoires fait son apparition. Il rythme la vie politique, honore l’élite locale, où dorénavant le maître de cuisine composant des recettes, joue un rôle important.
Le calendrier de l’Égypte des pharaons et du Nil, qui divise l’année en trois périodes (Peret-Semence, chemou-moisson et Akhet-crue) rappelle que cette civilisation est agricole. Le vin devient la boisson sacrée. Les amphores s’entassent dans les tombes pour l’éternité du défunt.
Très tôt, quelques principes de la cuisine chinoise sont posés. La techniques de la découpe de la viande en petits morceaux, l’usage de baguettes. Les travaux de Zou Yan (théorie des cinq éléments) associent cuisine et santé.
Les interdits alimentaires religieux sont manifestes, en Inde et plus encore dans le Judaïsme.
Les civilisations gréco-gallo-romaines sont mis à l’honneur dans la troisième partie. Elle tend à mettre en évidence la dimension politique de la cuisine. Le repas spartiate, rude et frugale, prend l’aspect d’un banquet quotidien et militaire (syssitie). Chaque convive (phidite) apporte sa quote-part mensuelle. Archestrate, poète du IVe siècle avant JC, invente le terme de gastronomie. Les Grecs perfectionnent les techniques orientales de vinification et d’élevage, et introduisent le concept de millésime.
Les auteurs mettent en avant quelques spécificités du monde romain, comme par exemple la consommation abondante du porc dans les armées (une viande qui se conserve mieux), ou bien encore les échanges constituant un marché d’importation alimentaire dans le bassin méditerranéen. De nouveaux condiments, épices et herbes sont utilisés. Le garum, une sorte de sauce à base de poisson accompagne les mets. Les orgies romaines font travailler toute une domesticité, préposée à diverses tâches.
Apicius incarne la grande figure gastronomique de l’Antiquité. Le développement de la charcuterie et les salaisons de porc revient aux Gaulois, tout comme l’utilisation du tonneau en bois qui facilite la conservation et le transport des aliments.
Les routes culinaires de l’orient constitue le quatrième chapitre. Les auteurs rappellent que le chameau est la première ressource des sociétés arabes (lait, viande, force de charge, peau). Le coucous est inventé en Afrique du Nord au IIe siècle avant JC. La cuisine arabe s’enrichit au contact des populations sur la route de la soie (comme les pâtes). On attribue au musicien arabo-andalou Zyriab la mise en place d’une ébauche de l’art de la table à la cour de l’émir de Cordoue. Il fait établir un ordre des plats. On lui doit aussi l’invention des « pièces montées ». Avec la Reconquista et les croisades, les contacts entre l’Orient et l’Occident, conduisent à des apports culinaires pour ces derniers. A l’époque de la dynastie des Tang, la table impériale présente des produits et des ustensiles de tout le monde connu. On suit les recommandations du médecin et philosophe Sun Simiao : manger chaud et lentement, jamais manger à satiété, privilégier les produits frais, de saison… La cuisson au wok à feu vif devient la norme pour le quotidien.
La vie de château, titre du chapitre 5, nous plonge dans le Moyen-âge occidental. Les auteurs montrent l’influence de l’orient et les forts contrastes sociaux liés au système féodal. Ils évoquent le premier cuisinier (XIVe siècle) à passer à la postérité, l’incontournable Taillevent. La fin de l’époque médiévale pose les bases du futur grand repas gastronomique, où se succèdent les services : apéritifs, potages, rôts, entremets, desserts et issue. La spécialisation des tâches conduit à l’émergence d’un personnel préposé à ces services : écuyer tranchant, panetier, échanson…
A la Renaissance, l’évolution culinaire se poursuit. La fourchette se généralise. Il Platina promeut une table épicurienne, associant plaisir, bien-être et santé. Dans son célèbre De Civilitate morum puerilium (1530), Érasme prescrit les bonnes manières de table. A la cour de Bourgogne, sous l’impulsion d’Olivier de la Marche, la mise en scène des hiérarchies sociales dans le banquet s’organise. Elle préfigure les « plans de table ». L’apparence compte tout autant que les saveurs. Peu à peu, le service individualise les portions et les couverts pour les convives.
Réglés par l’étiquette, les repas journaliers pris à Versailles par le roi font l’objet d’un rituel sacré et doivent éblouir les courtisans. Par son travail agronomique, la Quintinie, en charge du potager du roi, enrichit la table royale en acclimatant des fruits et des légumes. Louis XIV peut ainsi dévorer ses petits pois et ses melons, dont il raffole ! La salle à manger dans laquelle l’élite reprend les codes culinaires de la cour, apparaît au XVIIIe siècle.
Les nouveaux mondes explorés par les Européens livrent de nouveaux goûts et produits : tomates, haricots, courges, avocat, maïs, pommes de terre, cacao… La mondialisation de l’alimentation s’intensifie avec la présence européenne au Japon et en Inde.
Parmi les révolutions bourgeoises, le restaurant, lieu récréatif, en constitue l’une des plus significative. La restauration hors du domicile n’est plus réservée aux seuls voyageurs. La gastronomie s’installe désormais au cœur des villes. Dans le Paris prérévolutionnaire, Beauvilliers fait sensation, par son service discret, sa table dressée élégamment et ses mets raffinés. A l’époque des Lumières, les cafés rencontrent un vif succès. On estime à 3 000 le nombre de restaurants à Paris à la fin de l’Empire.
Le mot « gastronomie » fait son apparition dans un poème de Joseph Berchoux (1801). Les bases de la critique gastronomique sont posées par Grimod de La Reynière dans son Almanach des gourmands. Il revendique le service à la russe. Dans sa Physiologie du goût, Brillat-Savarin commence à célébrer un art de vivre autour de la cuisine, du vin, du goût, de la présentation des plats, du service. Une autre grande figure de ce XIXe siècle naissant est Antonin Carême. Au service de Talleyrand, il incarne le premier « chef », le père d’une gastronomie démonstrative moderne. On lui doit l’invention de la pâtisserie monumentale avec ses pièces montées. Il impose la toque en cuisine.
Face à la persistance des disettes, la question de nourrir le plus grand nombre préoccupe. Le pharmacien militaire Parmentier y répond par le développement de la culture de pomme de terre. Nicolas Appert réfléchit à la conservation des aliments. Il met au point la boîte de conserve. Grâce aux diverses solutions techniques, l’industrie agro-alimentaire fait ses premiers pas. La pasteurisation est mise au point en 1863. Le chimiste von Liebig crée des bouillons de goûts concentrés extraits de viandes. Les restaurants économiques, appelés « bouillons » vont nourrir les ouvriers parisiens. A l’heure du capitalisme, des spécialités locales seront vouées à une postérité internationale : le riz à la valencienne (futur paella), la pizza napolitaine. Le premier « fish and chips » est ouvert à Londres en 1860. Monsieur Fritz (Frédéric Krieger) se fait remarquer avec sa baraque à frite à la foire de Liège. Il propose une patate taillée en bâtonnet, pour ressembler à la friture de petits poissons.
Les critères qui définissent la qualité d’un met, le goût, la texture et la cuisson, sont relégués au second plan par Sylvester Graham qui privilégie plutôt la valeur nutritionnelle, mesurée en calories. Des noms sont aujourd’hui restés célèbres dans le monde de l’agro-alimentaire par leurs innovations : John Harvey Kellogg et Henry John Heinz.
Le dernier chapitre intitulé, Au temps de la cuisine light, s’ouvre sur le mouvement Slow food qui émerge en Italie en 1986 pour rompre avec la cuisine industrielle et capitaliste. La macrobiotique, fondée par le nutritionniste Georges Ohsawa s’inscrit aussi dans la contestation de l’influence de la cuisine mondialisée occidentale. Des innovations, souvent venues des États-Unis, tendent à s’imposer. Les OGM, les semences sélectionnées, le poisson pané et congelé directement en mer… se généralisent. Paradoxalement à la volonté de réduire le repas, le grignotage se développe.
Les années 70 voit apparaître la « cuisine nouvelle », dont Michel Guérard propose un concept révolutionnaire de « cuisine minceur ». Après Senderens, Chapel ou Troisgros, de nouvelles stars internationales influencent les habitudes alimentaires. L’espagnol Ferran Adrià devient le porte-étendard de la cuisine moléculaire. Enfin, l’alimentation bio et la cuisine végane semblent l’emporter de plus en plus.
Le format de cette BD documentaire semble remporter un vif succès au regard de la multiplication des titres déjà sortis. Cet ouvrage récréatif, construit autour d’un récit synthétique et d’un dessin sans effet ou sophistication, devrait plaire, en dépit de quelques clichés ou caricatures.