La revue « Chroniques d’Histoire Maçonnique »

La revue « Chroniques d’Histoire Maçonnique » – ou CHM pour les initiés – (publiée depuis 1982) est désormais présentée par le service de presse de l’association Les Clionautes, dans le cadre de la rubrique La Cliothèque. Cette revue réunit des travaux de chercheurs français (pour la plupart) sur les évolutions historiques de la Franc-Maçonnerie française, liée à la plus importante obédience française : c’est-à-dire le Grand Orient De France ou GODF. L’abonnement annuel à la revue Chroniques d’histoire maçonnique comprend 2 publications par an (Hiver-Printemps et Été-Automne) expédiées en décembre et juin. Cette revue est réalisée avec le concours de l’IDERM (Institut d’Études et de Recherches Maçonniques) et du Service Bibliothèque-archives-musée de l’obédience du Grand Orient De France (GODF). L’éditeur délégué est Conform Edition.   

« Chroniques d’Histoire Maçonnique » n° 85 (Hiver 2019-Printemps 2020) : Outremers. Ce numéro est composé de l’habituel avant-propos du Comité de rédaction, d’un dossier comportant 3 articles et d’une étude. Cette parution ne comporte donc pas les rubriques habituelles : Portraits, Sources et Documents. Cependant, avec ce numéro 85 (dernier numéro de l’année 2019 et premier numéro de l’année 2020), les CHM renouent ici avec la publication des rubriques Dossier et Étude. Le premier article est rédigé par Chloé Duflo-Ciccotelli : La Franc-maçonnerie et la question de la couleur en Guadeloupe au tournant du XIXe siècle. Après cet article, le deuxième des CHM est consacré à Influences d’outremer : du Havre à La Rochelle en passant par Nantes. Voyage maçonnique en pays négociant par Éric Saunier et, le troisième, De Franco et des sources pour l’étude de l’histoire de la franc-maçonnerie aux Philippines par Alvaro Jimena. Enfin, le numéro s’achève par une étude consacrés au thème suivant : Les relations entre les Franc-maçonneries russes et françaises (1905-1945), par André Combes.

DOSSIER : Outremers

1730 à Calcutta, 1738 à Saint-Pierre de la Martinique, c’est seulement quelques années après la naissance de la franc-maçonnerie que des loges se sont installées en dehors de l’Europe, franchissant les mers, constituant un riche tissu maçonnique dans des territoires dont beaucoup étaient ou allaient devenir des colonies. C’est un voyage au cœur de ces loges que propose le dossier principal du numéro 85 des CHM. II commence aux Antilles, lieu d’épanouissement privilégié des loges du Grand Orient de France aux colonies françaises entre la fin de la guerre de Sept Ans (1756-1763) et la Révolution française, plus précisément en Guadeloupe où se développe une sociabilité maçonnique minée par les questions raciales (Chloé Duflo-Ciccotelli). Celles-ci influencèrent, preuve de leur rayonnement, les ateliers localisés dans les ports de l’Atlantique avec lesquels elles étaient en contact régulier dans le contexte du développement du commerce colonial au XVIIIe siècle (Éric Saunier). Influente, très développée dans le monde atlantique, la « franc-maçonnerie des outremers » le fut aussi aux Indes orientales où elle suscita l’intérêt et les politiques des francs-maçons et de leurs détracteurs tout au long des XIXe et XXe siècle, comme le montre la contribution d’Alvaro Jimena sur la franc-maçonnerie aux Philippines. Enfin, André Combes dresse un panorama concernant la Franc-maçonnerie en Russie au XXe siècle.

. La Franc-maçonnerie et la question de la couleur en Guadeloupe au tournant du XIXe siècle (Chloé Duflo-Ciccotelli) : p. 6-31

Le premier article est rédigé par Chloé Duflo-Ciccotelli. À la fin du XVIIIe siècle, la franc-maçonnerie apparaît comme une des plus vastes formes de sociabilité, une des plus durables et une des plus organisées. Implantée en France, dans les années 1720, elle s’étend en province et dans les Antilles dès les années 1740. Alors que seule une dizaine de villes de province accueille une loge, les premiers ateliers font leur apparition à Saint-Domingue (Les Frères Unis) et en Martinique (La Parfaite Union) en 1738 puis en Guadeloupe en 1745 (Sainte-Anne). En Guadeloupe, elle constitue le principal mode de sociabilité élitaire. La Guadeloupe, maintenue dans une sujétion étroite à l’égard de la Métropole et dont les structures reflètent toute l’inégalité et les jeux de pouvoir de l’Ancien Régime, apparaît en effet comme un espace de développement maçonnique important. De la Guadeloupe de la fin du XVIIIe siècle demeure trop souvent l’image d’un monde rural organisé autour d’un système esclavagiste de plantation et du préjugé de couleur. Or, en dépit de sa situation périphérique, la colonie connaît, dans une dimension plus relative, les mêmes évolutions que la Métropole : renouveau urbain, essor de la presse, multiplication des réseaux d’association. À travers la déclinaison guadeloupéenne de la Franc-maçonnerie, c’est l’accommodation de l’Ordre aux structures coloniales et, l’évolution des individus et de la société créole, de la Révolution Française à l’abolition définitive de l’esclavage (1789-1848), qui sont perceptibles. Elle permet alors d’offrir une nouvelle approche de la société coloniale et de sa complexité, reflet d’une époque et de ses divergences. L’évolution de l’activité maçonnique, étroitement liée à la vie politique et sociale des îles, permet d’approcher la complexité des évènements qui s’enchaînent de la Révolution à la seconde abolition de l’esclavage en 1848 ainsi que la relation ambiguë entretenue avec la Métropole.

. Influences d’outremer : du Havre à La Rochelle en passant par Nantes. Voyage maçonnique en pays négociant (Éric Saunier) : p. 32-45

Le deuxième article est rédigé par Éric Saunier. Il a vingt ans, au moment où autour de la commémoration des 150 ans de l’Abolition de 1848 se mettait en place une dynamique de recherche sur le thème de l’histoire de l’esclavage et de la traite atlantique dont nous pouvons voir aujourd’hui les effets, il paraissait incongrue de proposer une réflexion sur les relations entre la sociabilité maçonnique et le monde des armateurs et des élites maritimes qui essentiellement dans les grands ports français de la façade atlantique décidèrent de placer une part de leurs investissements coloniaux dans le commerce triangulaire. Faute de connaissance sur la vie et sur la sociologie des loges antillaises, faute d’études également des relations liant celles-ci et les ateliers situés dans les villes portuaires atlantiques, il semblait inconcevable que des francs-maçons aient pu pratiquer de façon significative le « commerce honteux » vu qu’ils avaient choisi d’adhérer à une société ayant fait de la philanthropie l’une de ses principales finalités extérieures. À la veille de la Révolution française, la forte maçonnisation de la Société des Amis des Noirs, qui avait été créée en 1788 à l’instigation de Brissot et de Mirabeau, la quasi-certitude également d’avoir vu la célèbre loge des Neuf Sœurs initier avec le chevalier de Saint-George un homme de couleur étaient d’ailleurs considérées comme les preuves irréfutables que, s’il existait des affinités entre la sociabilité maçonnique et les acteurs de la traite, celles-ci devaient être regardées non pas entre les francs-maçons et les armateurs négriers mais entre les francs-maçons et les milieux abolitionnistes dont beaucoup avaient fréquenté les loges sous les monarchies censitaires, durant ces années décisives qui virent ces derniers faire avancer une cause qui allait aboutir dans le décret du 27 avril 1848. Sur ce point, l’appartenance de Victor Schœlcher, dont le buste orne aujourd’hui le hall d’entrée de l’immeuble du Grand Orient de France, à deux des loges qui avaient les plus politiquement progressistes du Paris maçonnique du premier XIXe siècle (Les Amis de la Vérité et La Clémente Amitié) était d’ailleurs jugée comme étant la preuve édifiante du prolongement d’un lien entre francs-maçons et abolitionnistes qui excluait toute perspective de porosité entre milieux maçonniques et armateurs et officiers de marine négriers.

Vingt ans plus tard, dans un contexte historiographique marqué par le progrès des connaissances sur la franc-maçonnerie coloniale dont on sait aujourd’hui à quel point elle fut fortement imprégnée par le préjugé de couleur, la situation a considérablement évolué, la raison tenant aux apports d’études qui, après notre travail pionnier sur Le Havre, ont mis en lumière la présence non négligeable des acteurs de la traite dans les loges installées dans tous les grands ports de traite français (comme Bordeaux, avec l’étude de Lauriane Cros) et même la propension de beaucoup de ces francs-maçons à s’ériger comme défenseurs des positions esclavagistes quand elles furent menacées à partir du règne de Louis XVI. Cette sensibilité esclavagiste est la conséquence des liens étroits qui unissaient les francs-maçons des villes portuaires du littoral atlantique et ceux des ports coloniaux, des liens qui poussèrent même ces derniers, comme le montrent les travaux de Jean-Marc Masseaut et de Serge Dubreuil, à transformer les loges en véritable marqueur de l’appartenance à une élite dont on rappellera que l’affirmation qui suivit la fin de la guerre de Sept Ans (1756-1763) fut concomitante de l’un des principaux moments d’engouement pour cette forme de sociabilité.

. De Franco et des sources pour l’étude de l’histoire de la franc-maçonnerie aux Philippines (Alvaro Jimena) : p. 46-63

Le troisième article (rédigé par Alvaro Jimena) raconte les circonstances entourant le début de la révolution philippine, ainsi que le pouvoir des ordres missionnaires et leur antimaçonnisme, qui ont fait que pendant longtemps l’activité des loges dans l’archipel a été utilisée comme preuve de la théorie du complot maçonnique contre l’Empire espagnol . Le meilleur exemple en sont les écrits de Franco, qui fut sans doute influencé par la perte des colonies en 1898 dans le processus constitutif de l’obsession envers l’institution maçonnique qui le fit, après sa victoire lors de la guerre civile (1939), mettre en place une répression des activités maçonniques qui allait la faire disparaître d’Espagne durant presque quarante ans (1936-1976).

Comme les Philippines ne faisaient plus partie de l’Empire espagnol depuis 1898, la répression franquiste de la franc-maçonnerie n’eut pas de conséquence directe sur la franc-maçonnerie philippine. Cependant, par un paradoxe de l’Histoire, l’exploitation des archives maçonniques créées par Franco qui sont devenues aujourd’hui un outil indispensable pour l’étude des loges maçonniques aux Philippines, permet de mettre en doute les arguments exprimés par les défenseurs de la théorie du complot. Elles sont en fait indispensables à la juste analyse de l’histoire politique d’un pays qui au tournant des XIXe et XXe siècles connut une série d’événements lors desquels une élite fortement maçonnisée prit des positions qui ont encore de nos jours du retentissement aux Philippines.

ÉTUDE :

. Les relations entre les Franc-maçonneries russes et françaises (1905-1945) (André Combes) : p. 64-84

Ce quatrième article est écrit par André Combes. C’est dans le contexte de la Révolution de 1905, ayant pour origines la guerre russo-japonaise et le refus du tsar Nicolas II de renoncer à un régime autocratique, que va se réimplanter la Maçonnerie en Russie. Les massacres de janvier 1905 et ses conséquences vont conduire le Tsar, par le Manifeste du 17 octobre 1905, à octroyer une Constitution garantissant les libertés individuelles et l’élection d’une Douma d’Empire au suffrage universel masculin mais dont les décisions doivent obtenir l’aval d’un Conseil d’Empire nommé par le Tsar. Le Parti vainqueur aux premières élections, le 10 mai 1906, est le Parti constitutionnel démocrate (le K.D.) qui amalgame des libéraux et des anciens Socialistes Révolutionnaires (S.R.). Il obtient 179 sièges contre 136 au Parti du Travail (libéral). Il s’allie aux socialistes populistes, mais le Conseil d’Empire s’oppose à ses projets et cette première Assemblée est dissoute. Il s’ensuit l’élection en mars 1907 d’une seconde Douma qui se traduit par un recul des K.D. avec 92 sièges au profit des Octobristes, plus modérés, et des socialistes. Mais elle est également dissoute en juin 1907 alors qu’une vague d’attentats secoue l’Empire russe. La loi électorale est modifiée au profit de la noblesse terrienne et la troisième Douma, dominée par les Octobristes et les conservateurs, sera plus docile. Elle poursuivra ses travaux jusqu’en novembre 1912 où sera élue une quatrième Douma au profil similaire. La Révolution de février 1917 met fin à la monarchie et la Russie vit la seule phase démocratique de son histoire ce qui permet aux maçons russes d’accéder enfin au pouvoir, alors même que les difficultés militaires et économiques fragilisent les gouvernements successifs. De 1905 à 1909, eut lieu la renaissance de la franc-maçonnerie en Russie avec la création de la loge L’Étoile Polaire à Saint-Pétersbourg et celle de Renaissance à Moscou, consacrées par le GODF, respectivement les 08 et 22 mai 1908, après deux ans de tractations avec le GODF. De 18 loges en Russie avant 1910, l’évolution de la Maçonnerie russe de 1909 à 1917 est victime des tensions sociales et politiques au point de connaître qu’une centaine de maçons russes en activité, en 1917. En revanche, l’épanouissement de la Franc-maçonnerie russe exilée en France (1922-1945) est plurifactorielle (arrivée massive des russes blancs, ambassadeur de Russie en France franc-maçon, etc..). Elle va d’abord passer par la GLDF (avec la création d’une dizaine de loges) puis par le GODF avec deux loges russes (L’Étoile du Nord en décembre 1924 maçonnant au Rite Français et La Russie Libre en novembre 1931 travaillant au REAA) et, enfin, par le Droit Humain en 1927 avec la création de la loge Avrora.

 

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour la Cliothèque)