Cette BD est la mise en image du roman Kinderzimmer de Valentine Goby. Ce roman, multi-récompensé, se déroule à Ravensbrück, camp de concentration allemand, connu pour avoir détenu des dizaines de milliers de femmes et d’enfants pendant la guerre. Nous y suivons la jeune Mila, déportée alors qu’elle est enceinte. Comment donner la vie, survivre, dans cet univers imprégné de souffrance et de mort? Cela fait écho à cette interview de Francine Christophe, déportée à Bergen-Belsen avec sa mère, et qui a assisté une femme qui accouchait.

L’adaptation en BD est signée Ivan Gros. Dans un style profond et très brut, en noir et blanc, il tente cette difficile transcription du texte en image, tout en gardant l’émotion et le sentiment d’étouffement que procure le livre originel. Il fallait bien ces 400 pages pour retranscrire la moelle du texte de Valentine Goby. Pour cela, Ivan gros s’est appuyé sur un remarquable travail de recherche d’archives, de dessins, de témoignages, afin d’être le plus fidèle aux souvenirs de celles et ceux qui ont vécu à Ravensbrück.

Ivan Gros alterne entre page de dessin, extraits du texte du roman, quels rares lignes de dialogue et des portées de notes. De temps à autre, le récit s’arrête pour revenir au présent et à la mise en image de visiteurs actuels du camp de Ravensbrück. Dans ces passages se dressent les portraits de femmes déportées, survivantes ou non de cet enfer, femmes qui ont inspiré le travail de l’auteur.

Le quotidien de ces femmes, c’est celui de la violence. Violence de la déportation, du manque de nouvelles des êtres proches, des coups et des brimades reçus des kapos, la proximité physique avec la mort. Les arrivées successives de ces femmes venues de toute l’Europe et qui ignorent encore, partiellement, de ce qu’il va falloir faire pour survivre.

Mais c’est aussi celui de l’humanité, à travers la solidarité, le soutien, les discussions plus ou moins futiles. C’est celui de la résistance mentale, à l’instar de Mila qui code des musiques dans sa tête pour s’évader et oublier le quotidien, notamment le fait d’être enceinte.

A travers ces planches, se pose aussi la question du suivi médical de ces femmes, de leur rapport au corps et au regard des autres. Le regard des autres femmes, le regard des Nazis. Le rapport à la pudeur. Comprendre pourquoi les règles s’arrêtent. Survivre aux épidémies liées aux conditions d’hygiène du camp et au rationnement alimentaire. Cacher aussi sa grossesse au maximum: que faire de cette vie qui arrive quand votre propre humanité vous est déniée par le numéro qui vous identifie désormais?

Cette histoire, c’est aussi celle du bébé qui finit par naître dans ces conditions apocalyptiques. Le petit James doit être un survivant, un guerrier, dès ses premiers jours. Sa mère aussi, car il faut survivre à l’accouchement, trouver les forces pour l’allaiter. Tandis que la nurserie se remplit chaque jours de cadavres de nouveaux-nés.

La BD se termine sur un long dossier intitulé : « sur les dessinatrices de Ravensbrück ». Ivan Gros revient sur son très long travail de recherches de sources et de copie des dessins des déportées. Parmi celles-ci, quelques-unes ont le droit à des notices biographiques, ce qui apporte cette dimension scientifique qui valorise encore cette somme fantastique que représente cette BD.

Au final, une œuvre poignante, magnifique d’horreurs, d’espoirs et d’humanité. Un travail et un récit haletants, angoissants et étouffants. Nous sommes transportés à chaque page dans ce mélange de sentiments, passant alternativement du dégoût à la haine, du sourire aux larmes, de la tristesse à la joie. Une lecture indispensable.