Moins connue du grand public français que Stalingrad ou le débarquement de Normandie, la bataille de Koursk est pourtant considérée comme un des plus grands affrontements de la Seconde Guerre mondiale. Et en Russie, comme dans l’ex-Union soviétique, elle est présentée comme la plus grande bataille de chars de l’histoire, celle qui a saigné à blanc la Wehrmacht et donné définitivement l’initiative à l’Armée rouge. Parce qu’il est originaire de l’ex-RDA, l’historien allemand Roman Töppel a vu son enfance baigné dans cette vision. Une version entretenue par le camp soviétique qui y voit l’occasion de glorifier les progrès de son armée et guère contredite par les mémoires des généraux allemands qui s’en sont servis pour excuser leurs revers. C’est cette présentation que l’auteur s’attache ici à démythifier avec le même sérieux que celui qu’il a mis dans sa participation à l’édition critique de Mein Kampf. C’est en particulier en puisant directement aux sources que sont les journaux de marche et états des unités allemandes qu’il tire les informations qu’il confronte aux diverses versions.
Aux origines de la bataille
La question du choix de Hitler de livrer une bataille offensive à Koursk durant l’été 1943 suscite toujours de nombreux débats et critiques. Pourquoi ne pas avoir attaqué plus tôt ? Ou bien pourquoi ne pas s’être contenté d’attendre pour mieux contrer les Soviétiques ? Voilà quelques unes des interrogations habituelles.
R Töppel se livre donc à une analyse des choix de chacun, qu’il s’agisse de la volonté d’Hitler, ou des prises de position parfois divergentes de ses généraux. Avec parfois des surprises quand on découvre que les mémoires rédigées après-guerre différent parfois de récits contemporains des évènements. Toujours est-il que l’état-major allemand a étudié différentes possibilités, depuis l’attaque frontale jusqu’à différentes version de la pince avant de choisir le plan définitif. Des officiers qui sont divisés également sur le moment propice pour l’attaque, dés le printemps ou début de l’été ? Les considérations matérielles et météorologiques, comme la situation en méditerranée, impactent pleinement le choix de repousser une attaque afin de lui donner les meilleures chances de réussir.
Koursk est une bataille où la qualité du matériel va être un élément plus déterminant que le nombre. L’auteur se livre à une brillante analyse des forces en présence. La supériorité numérique soviétique est largement anéantie par les faiblesses tactiques mais surtout matérielles de leurs chars : absence de radios, blindages et canons qui, à l’image du T34 ont peu évolué depuis le début de la guerre. Tandis que du côté allemand, certes toutes les unités ne sont pas équipées de matériel dernier cri. Mais pour celles qui le sont les performances sont au rendez-vous. Les canons ont progressé, portent plus loin et ont une capacité de perforation plus importante, les blindages sont plus épais, la troupe et ses cadres mieux entraînés. Chars Tigres, canons d’assaut Sturmpanzer, chasseurs de chars Ferdinand, canons automoteurs Wespe arrivent dans les unités. De tous les modèles c’est au final le Panther qui se révèle le plus décevant avec ses défauts de jeunesse. Néanmoins tous surclassent leurs homologues soviétiques dans le duel blindé.
S’il est cependant un domaine dans lequel les Soviétiques dominent les Allemands c’est bien celui du renseignement. Certes nul besoin d’as de l’espionnage pour estimer que le saillant de Koursk représente une proie facile. Et donc les travaux de fortification de celui-ci sont imposants avec plus de 3 lignes de défenses majeures successives. Côté allemand on a peu d’information sur le dispositif soviétique à part l’interception des communications. Les Soviétiques eux, peuvent compter sur un réseau de partisans efficace, mais aussi sur les Hiwis déserteurs.Combats
Le but de l’ouvrage n’est pas de relater ceux-ci. L’auteur s’attache à retracer les grandes lignes de l’offensive allemande mais pas seulement. Il s’intéresse aussi aux offensives soviétiques de l’été. Les difficultés a obtenir une percée décisive résultent de la profondeur du dispositif défensif soviétique, notamment des champs de mines qui se révèlent très efficaces pour freiner les chars allemands. Bien plus en tous cas que l’aviation soviétique largement dominée au début de la bataille ou que des blindés engagés à la hâte pour combler les brèches. Les troupes allemandes souffrent (en particulier l’infanterie), les décisions prises sur le terrain ne sont pas toujours optimales. Certes il y a le célèbre duel de chars de Prokhorovka qui oppose les chars des divisions d’élite du corps SS à la 5e Armée de la Garde. L’auteur s’attache à démonter, archives à l’appui, le mythe du succès soviétique. Si les panzers sont bien stoppés, les pertes sont effrayantes chez les tankistes russes lancés à l’attaque sans préparation et tirés à distance par les chars allemands.
Mais plus que le danger d’un débarquement sur le front italien ce sont les offensives soviétiques qui vont interrompre l’opération Citadelle. L’offensive soviétique du 12 juillet vers Orel force l’armée de Model à distraire des troupes de la pince nord avant de devoir reculer et abandonner la ville elle-même. Une offensive moins connue a lieu sur le Donbass le 17 juillet et oblige aussi les Allemands à envoyer des troupes pour y faire face, ce qu’elles font avec succès. Ces attaques précèdent la vaste offensive d’août 1943 qui reprend le terrain perdu autour de Koursk et aboutit à la libération de Kharkov.Bilan
Le décalage est énorme entre les chiffres annoncés par la propagande soviétique et repris par une partie des historiens de la bataille, et ce que démontrent les archives allemandes étudiées par l’auteur. La Wehrmacht n’a pas été saignée à blanc, ce sont au contraire les soviétiques qui ont subi des pertes terribles lors de l’opération Citadelle. Néanmoins les Allemands n’ont pas la capacité à remplacer leurs pertes et les offensives soviétiques de l’été, par leur répétition, usent encore plus le potentiel militaire allemand que ne l’a fait la bataille de Koursk. L’auteur pointe ici la contradiction entre la réalité des états d’époque et la vision rapportée par de nombreux généraux d’Hitler qui mettent sur l’échec de l’opération Citadelle la responsabilité des défaites qui ont suivi.

En conclusion
Un ouvrage richement documenté, surtout grâce aux archives allemandes, qui n’est pas un récit d’histoire bataille mais une analyse stimulante de la bataille de Koursk. La dimension mémorielle et le rapport entre histoire et mémoire abordés par l’auteur rajoutent à l’intérêt que l’on doit porter à l’ouvrage pour comprendre les évènements sur le front de l’Est durant la Seconde Guerre mondiale.

Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau