Les mémoires d’un géographe
Yves Lacoste débute par le rappel d’éléments désormais bien connus : sa naissance au Maroc, dans la ville de Fès où son père travaille comme géologue pour Hubert Lyautey. Après le retour en France métropolitaine, le jeune Yves Lacoste part régulièrement avec ses parents dans les Alpes. Pourquoi ? Il ne le sait pas encore mais son père est tuberculeux. La guerre vient changer la donne. Après avoir suivi les chemins de l’Exode jusqu’à Clermont-Ferrand, la famille remonte jusqu’à la ville de Vierzon où elle franchit un pont marqué de la croix gammée. La famille s’installe dans un grand appartement dans la même rue que le lycée Lakanal (où Yves Lacoste fera ses années de collège). Son père meurt et il devient responsable de ses 2 frères (Hervé et Alain). Après la décès de son père, les rentrées d’argent sont plus minces : la domestique ne vient plus, sa mère a trouvé un emploi dans un laboratoire pour marquer le matériel du CNRS. C’est à ce moment-là qu’Yves Lacoste rencontre Madame Gourou. Les deux familles se rencontrent plus régulièrement. Son mari, le géographe Pierre Gourou demande à Yves Lacoste de lui rédiger un devoir sur le sujet de son choix : il choisit le Maroc. C’est à partir de là que Pierre Gourou devient le mentor d’Yves Lacoste en lui donnant de nombreux conseils méthodologiques (introduire un sujet, concevoir un plan).
Ensuite, Yves Lacoste raconte simplement ses premières recherches accompagnées par Camille au Maroc et financées par le Bureau de recherches et de participations minières. Sa préparation à l’agrégation de géographie insiste sur les deux groupes : les « communistes » et les « catholiques ». Une alliance avec un candidat des « catholiques » lui permet d’avoir un logement contre des cours. Il échoue la première fois, mais est reçu premier l’année suivante. Il s’était laissé emporté par la fougue lors du commentaire d’une carte d’Oran en délaissant l’implantation viticole et le plan d’urbanisme. C’est à cette période que l’auteur se fait remarquer par ses camarades et professeurs pour ses coupes géologiques, apprises avec son père au Maroc.
L’auteur continue à raconter ses premiers écrits d’envergure dans le contexte universitaire de l’époque : son passage dans une école privée comme professeur d’histoire, de géographie et d’économie, son recrutement comme enseignant à Vincennes, son « Que sais-je ? » sur le sous-développement, Ibn Khaldoun. D’intéressantes anecdotes parsèment l’ouvrage notamment sur les relations au sein de la « corporation » des géographes : les amitiés se font et se défont (Pierre Georges, Michel Foucher…). Concernant ce dernier, l’anecdote à propos du dictionnaire de géographie d’Yves Lacoste (rebaptisé ensuite par l’éditeur » de la géopolitique aux paysages) est savoureuse. Les numéros de la revue Hérodote sont régulièrement expliqués afin de montrer l’évolution des problématiques en fonction du contexte socio-politique : la place du communisme, la situation au Moyen-Orient, la montée de l’islam en France. Les petites piques envers ses collègues sont relativement nombreuses à la fin de l’ouvrage : Roger Brunet et ses chorèmes sont particulièrement critiqués. L’ouvrage se clôt par de courtes mentions des critiques reçues à la suite de son ouvrage écrit avec Frédéric Encel sur la géopolitique de la France et une réflexion sur sa contribution à la géographie français.
Un style simple et agréable pour mieux comprendre le parcours de ce géographe atypique que chaque étudiant en géographie connaît. A la fois engagé et engageant.
Pour aller plus loin :
Antoine BARONNET @ Clionautes