Susan Orlean est journaliste pour le New Yorker et a déjà publié « Le voleur d’orchidées ». Dans ce nouvel ouvrage qui est une enquête, elle s’intéresse à l’incendie qui a frappé la bibliothèque de Los Angeles le 29 avril 1986. Elle décortique l’évènement en l’abordant sous de multiples angles. Le livre, articulé en 32 chapitres tous introduits par des titres de livres, comprend en outre un certain nombre de photographies en noir et blanc.
L’incendie du 29 avril 1986
L’autrice retrace d’abord les circonstances de cet incendie qui a conduit à la destruction de 500 000 livres alors que 700 000 autres étaient endommagés. Cet évènement est alors passé relativement inaperçu puisqu’il a lieu en même temps que la catastrophe deTchernobyl. Susan Orlean retrace ce qui s’est passé ce matin du 29 avril dans un bâtiment qui était loin d’être aux normes. De fausses alertes incendie s’y déclaraient régulièrement et c’est ce que pensent alors tous les gens présents quand la sonnerie retentit ce matin-là. Le feu ravageur dure plus de sept heures. Après l’incendie, les bénévoles ont rempli plus de cinquante mille cartons avec à chaque fois quinze livres dedans pour leur appliquer un protocole de sauvegarde. Plus loin dans le livre, l’auteure revient sur les destructions de bibliothèques dans l’histoire. A plusieurs reprises, elle éclaire un aspect de l’évènement de Los Angeles en 1986 par des développements sur d’autres faits comparables.
Une bibliothèque exceptionnelle
Susan Orlean dresse le portrait de la bibliothèque de Los Angeles : elle était riche de plus de deux millions de livres, manuscrits, cartes, magazines, journaux, quatre mille documentaires mais aussi d’un quart de million de photographies de Los Angeles remontant à 1850. On peut y ajouter des recensements datant de 1790 ou encore des programmes de chaque pièce de théâtre représentée à Los Angeles depuis 1880. La bibliothèque centrale fait circuler trente-deux-mille volumes dans Los Angeles, cinq jours par semaine. Elle montre également les surprises qu’une telle bibliothèque peut receler, comme des menus de restaurants. On sent percer tout au long du livre, et l’auteure le confesse bien volontiers, son amour pour les livres qui la renvoie notamment à son enfance. Elle décrit ainsi de façon passionnante ce qui pourrait apparaitre banal, à savoir l’enregistrement des nouveaux livres.
Harry Peak un pyromane ?
A plusieurs reprises, Susan Orlean aborde la personnalité d’Harry Peak, l’incendiaire présumé. Elle dresse le portrait d’un jeune homme qui apparait comme un looser et un mythomane. Elle essaye notamment de retracer son emploi du temps le jour de l’incendie et souligne les incohérences entre les différentes versions qu’il a livrées. La procédure a trainé de nombreuses années et Harry Peak a même été soumis au détecteur de mensonges en 1986. Le procès prévu en 1991 n’eut finalement pas lieu. Quelques jours avant, la municipalité a surpris tout le monde en proposant 35 000 dollars à Harry Peak pour clore l’affaire puisque celui-ci réclamait des dommages et intérêts pour avoir été soupçonné. Il est mort en 1993. Elle revient aussi à la fin sur l’incendie en se demandant s’il a bien pris là où on l’imaginait pendant longtemps.
Portraits de bibliothécaires
Un des aspects les plus savoureux de l’ouvrage consiste en la galerie de portraits des différents bibliothécaires qui ont travaillé au sein de cette institution depuis sa création. Susan Orlean évoque, entre autres, Tessa Kelso qui dirigea la bibliothèque à la fin du XIX ème siècle. Elle prit l’initiative de supprimer la cotisation d’entrée à la bibliothèque et, en un rien de temps, le nombre de titulaires de carte passa de cent à vingt mille ! Parmi les autres personnages hauts en couleurs on peut citer Charles Lumnis. Il avait l’ambition de rendre la bibliothèque accessible à tous. Il mena des campagnes allant jusqu’à poser des affiches dans les magasins ou usines disant « Lire vous INTERESSE ? Apprendre vous INTERESSE ? La bibliothèque de Los Angeles est POUR VOUS ». On peut évoquer également plus récemment Glen Creason, conservateur au département des cartes, qui raconte notamment le défi que représente l’indexation de ce genre de document.
Une bibliothèque au service des publics
Le bâtiment qui abritait la bibliothèque détruite en 1986 datait de 1926 et tranchait alors par ses choix architecturaux. Susan Orlean retrace l’histoire de cette construction et c’est toute l’histoire de Los Angeles au début du XX ème siècle qui s’y lit à travers. Il faut bien se rendre compte que la bibliothèque de Los Angeles est beaucoup plus qu’une simple bibliothèque. En effet, ce lieu par exemple est un des rares à accueillir les sans-abri, mais propose aussi des programmes d’alphabétisation ou des ateliers pour les jeunes. Elle fut souvent précurseure dans tous ces aspects d’animation. On peut aussi citer le service « Info now » qui permet à chaque personne qui le souhaite de contacter la bibliothèque pour obtenir la réponse à une de ses questions. Susan Orlean s’interroge, chemin faisant, sur l’évolution des missions des bibliothèques en général. Elle évoque ainsi la société Overdrive, premier fournisseur mondial de contenus numériques destinés aux bibliothèques et écoles.
L’ouvrage de Susan Orlean aborde donc sous de multiples angles l’incendie de 1986. Fourmillant d’anecdotes, le livre réussit surtout à déborder le simple récit de l’évènement pour proposer, en filigrane, une réflexion sur ces lieux si particuliers que sont les bibliothèques.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes