La Chine est-elle encore communiste ? Posée ainsi, la question peut intriguer puisque, comme le dit l’auteure, on a pris l’habitude depuis quarante ans de penser qu’elle ne l’était plus. Or, ce qui caractérise la Chine c’est pour le moins ses contradictions ou, pour le dire autrement, le fait que le système est hybride. Alice Ekman, une des meilleures spécialistes du sujet, cherche donc à évaluer la part de la composante communiste dans le système actuel. Maître de conférences à Sciences-Po,  elle a précédemment dirigé le très intéressant « La Chine et le monde » paru en 2018 chroniqué par ailleurs ici.

Une méthode qui prend le temps d’écouter les discours

Alice Ekman précise dans une copieuse introduction la façon dont elle compte s’y prendre pour jauger la situation du parti communiste chinois. Elle rappelle d’abord quelques éléments depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. L’homme s’est « avéré plus autoritaire et doté d’une personnalité plus forte que prévu ». Depuis qu’il est à la tête du pays, la centralisation et la personnification de la prise de décision se sont renforcées. Il ne faudrait cependant pas faire d’erreur d’analyse en pensant que tout est lié à sa personnalité puisqu’en réalité la Chine n’a jamais tourné le dos à son identité communiste. Xi Jinping serait en train d’inventer une sorte de « marxisme 2.0 ». Le Parti communiste a ses rites, ses pratiques et ses idéaux. «  Ce livre prend le temps de considérer les motivations idéologiques de ces décisions. C’est le moment, alors que Xi Jinping a revigoré l’idéologie au sein du PCC à un niveau proche de celui de l’ère maoïste. » Alice Ekman a élaboré son ouvrage à partir d’un matériau fait de plus de quatre cents échanges avec une diversité d’acteurs chinois et étrangers au cours des sept dernières années. Xi Jinping fait souvent référence à l’histoire du pays dans ses discours et l’auteure invite à les considérer avec attention et à ne pas les prendre juste pour des discours stéréotypés. Elle invite à prendre en considération les mots mais aussi les faits.

Dix constats sur la Chine d’aujourd’hui

La partie est construite autour de dix constats qui sont ensuite discutés et étayés sur quelques pages. Le premier s’intitule « Depuis 1978, les dirigeants successifs n’ont jamais renié l’identité communiste du système politique chinois ». Alice Ekman montre que Xi Jinping fait de l’URSS un contre-exemple. L’héritage du parti communiste chinois est essentiel pour le maintien au pouvoir. Elle montre également que le rôle du Parti dans l’économie s’est renforcé. Effectivement, l’économie est plus ouverte que sous Mao, mais le secteur bancaire demeure la quasi exclusive prérogative du parti et, si la propriété privée existe, elle ne concerne pas la propriété de la terre qui reste collective. On peut noter également que la propagande reste forte comme en témoigne le fait que Xi Jinping présente aujourd’hui sa propre pensée dans la lignée de celle de Marx. Les médias sont très contrôlés et relaient la parole du Parti avec l’application consacrée à la « pensée de Xi Jinping » qui sert, notamment, à tester les journalistes. Parmi les autres constats, il y a également celui qui relève le fait que les séances de critiques et d’auto-critiques demeurent encore aujourd’hui une réalité. Elles sont obligatoires pour les 90 millions de membres du Parti communiste chinois. Il est également très présent dans le quotidien des individus à travers de nombreuses associations. Il utilise également l’art et la culture à son profit. Si quelque chose ne lui plait pas, il n’hésite pas à censurer. Ainsi, en août 2015, les autorités ont interdit 120 chansons, dont beaucoup de rap, car leur contenu était considéré comme                     «  moralement nuisible ». Le Parti conserve également son ancrage dans les écoles et les universités et on a même vu se renforcer la place des cours de marxisme-léninisme. Il faut aussi se souvenir que la « foi » marxiste est toujours incompatible avec la pratique d’une religion comme le montre notamment le traitement des Ouïgours musulmans par les autorités chinoises. On peut enfin relever que les symboles communistes et maoïstes sont toujours présents dans le pays.

Conséquences pour la Chine 

Après ces dix constats, Alice Ekman se propose d’en envisager les conséquences pour le pays. Elle organise son propos de façon thématique. Elle pointe d’abord le regard en matière de politique intérieure pour dire qu’elle ne croit pas à une disparition du parti communiste chinois, tant il est inséré dans la société. De plus, 80 % des nouvelles recrues sont âgées de 35 ans ou moins. Le parti est en plus incontournable à un moment où la croissance économique se ralentit. Au niveau de la politique étrangère, L’auteure montre que le capitalisme aujourd’hui pratiqué par la Chine pourrait n’être qu’un détour pour mieux revenir au socialisme. Le système politique chinois apparait aujourd’hui beaucoup plus sûr de lui. Le pragmatisme chinois ne signifie pas l’absence totale d’idéologie. 

Conséquences pour le monde

Alice Ekman s’intéresse enfin aux conséquences pour le monde. La Chine promeut son modèle à l’étranger : elle offre ainsi « un nombre croissant de programmes de formation à destination des fonctionnaires étrangers ». La Chine devient formatrice. Le pays utilise aussi d’autres moyens comme les forums multilatéraux ou les think tanks. L’auteure évoque le programme des « nouvelles routes de la soie » et ses multiples dimensions. La Chine cherche à diffuser sa vision du monde, son modèle comme le montre son implication dans plusieurs instances internationales. Elle se focalise aussi sur Hong-Kong et Taïwan et on a assisté depuis plusieurs années à un rapprochement avec la Russie. On peut relever quelques points plus problématiques pour le pays comme le fait que « jamais l’écart n’a été aussi important entre le rang d’une économie en valeur absolue (2ème) et son PIB par habitant (82 ème en 2017) ».

En conclusion, Alice Ekman remarque que la compétition reste ouverte. Avec les Etats-Unis, elle est économique, commerciale, technologique, institutionnelle et de plus en plus idéologique. On a clairement deux systèmes politiques qui s’opposent dans des questions fondamentales : quel est le rôle de l’Etat dans l’économie ? Quel usage des outils technologiques pour la gestion des habitants ? par exemple. 

L’ouvrage part donc d’une question qui aurait pu sembler évidente sur la nature du régime chinois actuel puis l’auteure montre progressivement combien l’empreinte du parti est encore en réalité forte. Alice Ekman offre surtout un point de vue qui prend le temps de considérer le discours du Parti communiste chinois pour en tirer des conséquences à la fois intérieures et désormais forcément mondiales. Pour toutes celles et tous ceux qui voudront prolonger la lecture, Alice Ekman a mis en place un mail spécifique où elle invite le lecteur à échanger avec elle.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes