Cet ouvrage d’Olivier Blanc, consacré à Olympe de Gouges, fait suite à un premier essai de 1981 puis à une réédition de 1989. De nombreuses sources restent inchangées mais celles-ci sont autrement exploitées et hiérarchisées et sont enrichies par une documentation renouvelée. Cette biographie « vise donc à une meilleure perception du sujet replacé dans son contexte ».

Olympe de Gouges a été boudée, incomprise ou caricaturée par certains témoins de son temps puis par des historiens du XIXe siècle. Olivier Blanc nous fait redécouvrir le destin exceptionnel de cette femme engagée, transgressive et profondément humaniste de la fin du XVIIIe siècle, qui paya de sa vie sa volonté de réforme et ses écrits politiques ! Loin de limiter Olympe de Gouges à la rédaction de La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne et à la figure féministe qu’elle n’a pas seulement été, nous découvrons une femme de lettres qui mena de nombreux combats : l’abolition de l’esclavage, la liberté d’expression, une plus grande justice sociale, le droit au divorce, le rejet de la peine de mort, l’égalité hommes-femmes.

L’enfance occitane et l’arrivée à Paris

Olivier Blanc consacre la première partie de son livre à l’enfance occitane de Marie-Olympe de Gouze. Lors de son baptême, elle est déclarée fille de Pierre Gouze et d’Anne-Olympe Mouisset. Son vrai père serait Jean-Jacques Le Franc de Pompignan, poète auteur de la célèbre pièce Didon. Elle reçoit l’éducation d’une fille la petite bourgeoisie de Montauban qu’elle estimera « négligée » et sommaire, ce qui expliquera, des années plus tard, une écriture laborieuse et l’emploi de secrétaires ! Mariée à 17 ans, elle est rapidement mère … puis veuve de Louis-Yves Aubry ! Elle refuse de porter son nom, et c’est semble-t-il à ce moment qu’elle se fait appeler Olympe de Gouges. Arrivée à Paris, elle commence son ascension sociale. Elle fréquente des cercles élégants et se construit une réputation de femme d’esprit dans les salons de la capitale. Elle entretient une relation avec Jacques Biétrix de Rozières et  profite de sa protection. C’est ce soutien financier qui lui permettra plus tard de payer les imprimeurs, les libraires ou les afficheurs. Elle se refuse désormais au mariage traditionnel qu’elle considère comme le « tombeau de l’amour et de la confiance ».  Après s’être essayée au théâtre (elle revend son théâtre privé en 1787), elle se sent prête à prétendre aux lauriers littéraires et commence sa métamorphose en femme de lettres !

Les débuts de la femme de lettres

Elle s’essaye, tout d’abord, au genre théâtral avec par exemple la pièce Les Amours de Chérubin qui lui vaut une accusation en plagiat de la part de Beaumarchais ! Elle publie finalement la pièce sous le titre Le Mariage inattendu de Chérubin. A partir de là, Olympe va tout faire pour que ses pièces soient inscrites au répertoire de la célèbre et réputée Comédie-Française. Malgré les conseils de Michel de Cubières, les relations sont compliquées entre une Olympe au caractère emporté et certains pensionnaires de la Comédie-Française bien décidés à lui nuire. De nombreuses pièces sont alors refusées et elle réussit même à échapper à une lettre de cachet ! Sa pièce Zamore et Mirza ou l’heureux naufrage, pièce antiesclavagiste, est le reflet de son combat humaniste pour l’égalité. Elle réussit à la faire enregistrer en 1785, quelques années avant la création de l’Association des Amis des Noirs par Brissot de retour d’Angleterre (Olympe fait partie des rares femmes à rejoindre cette association). Mais faute de recettes suffisantes, le pièce est retirée de l’affiche très rapidement.

Le goût pour la politique

Attirée par la réunion des états généraux au début du mois de mai 1789, elle s’installe à Versailles. Pour Olivier Blanc, encore spectatrice et observatrice, elle est désormais « décidée à être actrice sur la scène du grand théâtre de la politique ». Elle se prononce en faveur de la réconciliation autour de la personne du roi et désire la diminution des inégalités et des abus. Monarchiste réformatrice, elle est tout de même considérée comme une agitatrice par les réactionnaires proches du comte d’Artois et de la reine. Se sentant trop peu entendue, elle décide de fonder son journal mais faute d’argent, le projet n’aboutit pas. Elle rédigera désormais des billets d’humeur, des chroniques régulières ou des affiches en fonction de l’actualité. Ainsi, elle se félicite des évènements du 17 juin 1789 lorsque le tiers état se proclame Assemblée nationale puis du 20 où les députés prêtent le serment du jeu de paume. Elle se prononce en faveur d’un projet constitutionnel mais reste attachée à la personne du roi. Elle dénonce aussi les excès comme ceux du 6 octobre et condamne « les assassins qui poursuivent la reine jusque dans son lit ». Après cela, elle fréquente les tribunes des clubs, notamment le Club de la Révolution où intervient Condorcet, et celles de l’Assemblée nationale qui siège au manège des Tuileries. Afin de suivre au plus près les évènements révolutionnaires, Olympe quitte son logement versaillais pour Paris.

Au cœur des évènements révolutionnaires : La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

Olympe de Gouges consacre beaucoup de temps (et d’argent) à l’écriture. Elle donne un éclairage particulier aux évènements en prise directe avec l’actualité (Constitution civile du clergé, mort de Mirabeau, fuite de Varennes, …), elle fait connaître ses positions constitutionnelles en faveur du maintien de la royauté et exerce ainsi ainsi sa « citoyenneté au féminin ». C’est lors de cette année 1791, qu’elle fait publier une brochure dont elle ne mesure pas encore le succès : La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Elle y revendique pour son sexe, l’égalité des droits politiques et civils. Sur le moment cette « Déclaration » a un très faible écho politique, il faut attendre le XXe siècle pour qu’elle devienne un acte fondateur de la pensée féministe moderne ! Elle compte tout de même quelques soutiens sur cette question des droits des femmes comme ceux de Condorcet ou du girondin Vergniaud.

De la monarchiste à la républicaine

Ses positions constitutionnelles en faveur de la monarchie ne peuvent que lui aliéner les républicains dont les Jacobins qui l’attaquent régulièrement et qu’elle accuse dans certains de ses pamphlets (Robespierre ou Collot d’Herbois) pour leur politique violente, leur corruption, … . Contrairement à Théroigne de Méricourt, elle ne participe à aucune action sortant du cadre de la loi ni à aucune journée révolutionnaire. Par contre, femme de théâtre, elle organise des cortèges et des cérémonies bien organisés et mis en scène. Le lendemain de la victoire de Valmy, la Législative laisse sa place à la Convention. Le premier jour de l’an I de la République vient consacrer la journée du 10 août et l’abolition de la monarchie. Olympe de Gouges se rattache à la mouvance girondine des Vergniaud, Condorcet ou Brissot. Elle se prononce désormais en faveur de la république, mais une république libérale et modérée. L’opposition avec les Jacobins ne cesse de s’accroître. Pour Olivier Blanc, elle les soupçonne  » de viser à la dictature de quelques uns sur le plus grand nombre ». Afin d’accuser Robespierre, elle multiplie les affiches, il est un « assassin », un « tyran » et un « démagogue ». Elle s’oppose à de nombreux républicains quant à la question de la mort du roi. Elle tente de le sauver en distinguant l’homme du roi : »Il ne suffit pas de faire tomber la tête d’un roi pour le tuer, il vit longtemps encore après sa mort. Mais il est mort véritablement quand il survit à sa chute ». Son appel à la clémence est condamnée par la presse montagnarde.

Le dernier acte d’une femme de théâtre

Les 1er et 2 juin 1793, la Commune et le Comité insurrectionnel précipitent la chute des Girondins. Olympe rédige une lettre exprimant sa solidarité avec ses compagnons arrêtés. Début juillet, elle prépare une nouvelle affiche qu’elle intitule Les trois urnes ou le salut de la patrie. Elle propose que, dans chaque département, les citoyens puissent voter et choisir entre un gouvernement républicain, un gouvernement fédéral ou un gouvernement monarchique. Le 20 juillet, avant même qu’elle soit affichée, Olympe est arrêtée et emprisonnée. Le 28 juillet, épuisée, elle est transférée à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Le 6 août, elle est interrogée par Fouquier-Tinville au Tribunal révolutionnaire et doit s’expliquer quant aux propos de son affiche. Depuis sa prison, elle continue d’écrire et de publier afin d’attaquer Robespierre et Fouquier-Tinville. Pour Olivier Blanc, cette détention l’exaspère « d’autant plus qu’elle croyait le Tribunal incapable de la condamner, ne pouvant se fonder sur des charges aussi minimes. » Elle est transférée à l’infirmerie des femmes rue Pavée puis, grâce au soutien de certaines sections de Paris, dans une maison de santé du 11e arrondissement. C’est là qu’elle aurait entretenu une relation amoureuse avec un détenu, Théodore Gérard, liaison à l’origine de sa grossesse. Le 28 octobre 1793, quelques jours après l’exécution de Marie-Antoinette, elle est transférée à la Conciergerie pour y être placée au secret. Le 2 novembre, en l’absence de son avocat, elle est convoquée devant le Tribunal révolutionnaire qui l’accuse notamment d’avoir rédigée des écrits qui sont des attentats à la souveraineté du peuple. Malgré le fait qu’elle soit enceinte, elle est condamnée à mort. Le 3 novembre 1793, Olympe est exécutée place de la Révolution, là où Manon Roland subira le même sort cinq jours plus tard.

 

 

En suivant une trame chronologique, cet ouvrage d’Olivier Blanc nous dresse un portrait classique mais clair et intéressant d’Olympe de Gouges. La lecture est aisée car le style est simple et fluide. Les extraits de lettres, de journaux, de pièces, d’affiches ou de pamphlets sont très nombreux et plongent le lecteur dans les écrits de cette figure de la Révolution. Olivier Blanc ne limite pas Olympe de Gouges à une féministe avant l’heure mais s’intéresse aussi à la femme de lettres, pamphlétaire opiniâtre qui s’est opposée à l’esclavage, aux excès de la Révolution ou aux inégalités sociales. Un ouvrage précieux pour ceux et celles qui enseignent l’histoire de la Révolution et ses figures.

 

Pour les Clionautes, Armand BRUTHIAUX