Journaliste dans la presse spécialisée, Virginie François est très largement au fait de son sujet. Elle propose pour chaque école du neuvième art une mise en situation, un contexte historique largement suffisant pour un large public, y compris de jeunes lecteurs mais également une grille de compréhension sur les techniques utilisées par tel ou tel auteur.

Le premier chapitre de l’ouvrage permet de situer les origines de la bande dessinée moderne, un supplément jetable destiné à la presse quotidienne nationale et régionale. Apparue sous sa forme moderne à la fin du XIXe siècle la bande dessinée avait essentiellement une fonction divertissante. Elle est destinée simultanément aux adultes qui lisent un journal mais aussi, et de façon très précoce aux enfants, avec des magazines illustrés reprenant la veine des « comics » d’outre atlantique. La famille Fenouillard, lointains précurseurs des Bidochons en plus présentables a été suivie de Bécassine imprégnée de vertus morales dans la catholique semaine de Suzette.
Jusque dans les années soixante dix les albums sont rares, seuls les « grands » comme Hergé et quelques autres en publient. La BD est d’abord lue dans une presse spécialisée de grande qualité, comme «Tintin» ou «Spirou», ou encore « Métal hurlant » et « A suivre » dales années quatre vingt. Les difficultés de la presse en général ont amené ces titres à fermer tandis que dans le même temps la bande dessinée devenait un phénomène d’édition majeur. 2000 titres sont publiés tous les ans, et le lectorat est devenu essentiellement adulte avec souvent un niveau de vie élevé. En effet, l’auteur ne parle pas de l’inflation des prix et de la tendance de certains éditeurs à publier, voire à rééditer des albums en grand format avec une revalorisation du prix conséquente.

De la ligne claire aux mangas

En cinq chapitres l’auteur dresse un tableau finalement très complet des grands courants de la bande dessinée contemporaine. On y parcourt aussi bien les écoles, comme celle qualifiée de franco-belge dont le représentant principal a été Hergé que les mangas, très appréciés des jeunes adolescents et parfois hermétiques pour les adultes amateurs de bandes dessinées plus classiques. Dans le même temps, on passe d’une bande dessinée divertissante, du fait de l’origine des premières publications, destinées à la jeunesse et qualifiées comme telles, à une bande dessinée pour adultes.
Les choix des œuvres, ce qui correspond à l’esprit de la collection, ne sont pas inattendus. On y retrouve évidemment Hergé, avec le lotus bleu ou Uderzo et Goscynny avec Astérix et les Normands. Entre les deux Franquin et son Gaston Lagaffe permettent d’oublier le comique grossier qui exploite une proximité phonétique fort mal à propos. De quoi vraiment avoir des idées noires !

La ligne claire qui est la marque de fabrique de l’école franco-belge avec un trait de contour parfaitement dessiné qui délimite des aplats de couleurs se retrouve chez Hérgé mais aussi chez Edgar P. Jacobs, l’auteur de Blake et Mortimer. L’évolution entre les deux auteurs de situe dans mise en scène des vignettes, souvent de taille inégale chez Jacobs. Franquin met en situation le lecteur d’entendre les sons et les coups de colère de ses personnages. Les onomatopées sont traduites en caractères chinois tandis que des illustrations associant haches et autres instruments évoquent l’exaspération des victimes des gaffes de l’employé de bureau.
Astérix associe avec un certain bonheur, peut-être jusqu’à ce que la verve se tarisse avec la disparition de René Goscinny en 1977, le récit épique et drôle pour les jeunes et l’exercice de décryptage des travers franco-français au début de la cinquième république pour les adultes. C’est d’ailleurs cet aspect qui peut manquer à cet ouvrage, la mise en situation historique de l’œuvre et rien par exemple ne vient rappeler l’ambiguïté de certaines aventures de Tintin notamment pour les premières éditions. (Tintin au Congo, l’étoile mystérieuse). Mais il est évident également que l’auteur n’est pas historien et que la priorité va plutôt à l’analyse de la bande dessinée du point de vue technique et scénographique, ce qui est tout à fait utile.

Des comics aux graphic novels

On appréciera dans cet ouvrage le décryptage très pertinent des planches de Corto Maltèse en Sibérie, un récit dans lequel Hugo Pratt déploie sans doute le plus d’inventivité. Cette histoire où l’on retrouve Raspoutine avec le marin maltais évoque les aventures du baron fou, le dernier combattant contre les bolchéviks pendant la guerre civile.

Mais ce que Virginie François apporte de plus pertinent dans son livre est sa présentation de la BD américaine. En quelques pages, elle présente de façon remarquable trente ans avant l’Europe, des funnies des journaux aux comics ces magazines où des super héros escaladent les toits, volent au dessus des gratte-ciels ou encore se dotent de super pouvoirs de contrôle mental. La mise en page des planches est directement inspirée du cinéma, et pour les comics, les aventures créées dans les années de la grande dépression sont à la fois manichéennes et traduisent l’espoir en une amélioration de la situation. Il aurait peut-être été intéressant de savoir comment ces comics se sont développés pendant la seconde guerre mondiale ?
Mais la BD d’outre atlantique ne se limite pas aux comics. L’un de ces auteurs Will Eisner est passé de ces aventures « faciles » à de la BD d’auteur, appelée « graphics novels ».

Pour les mangas, les amateurs qui ne connaissent pas les codes graphiques de cette tradition graphique née après guerre sous la houlette de Ozamu Tezuka, le Hergé Japonais, trouveront dans les pages de Virginie François une aide précieuse. Ces épaisses revues qui se lisent à l’envers étaient considérées avec un certain mépris par les amateurs de bandes dessinées d’auteurs. Les présentations qu’en fait Virginie François, avec la nouvelle vague des mangas, des scénarios plus élaborés marqués par une réflexion politique et sociale donnent envie d’aller y voir de plus près, indéniablement.

Ce petit livre par le volume se révèle finalement très complet. Il s’achève, excusez du peu ! par un lexique des termes techniques propres au neuvième art, des fiches biographiques des auteurs cités et même, une analyse guidée de Johan Sfar, le représentant de « la nouvelle bande dessinée » qui permettra à ceux qui voudraient se livrer à la critique d’ouvrages de ce type de connaître les méthodes de lecture qui sont propres à ce genre littéraire.

Bruno Modica