Professeur d’histoire moderne à l’Université du Maine, et directeur de cette collection « Sup. » aux éditions Belin, Laurent Bourquin livre ici un véritable guide du XVIe siècle français.
Guide de voyage d’abord, car ce parcours entre 1483 et 1610 permet de découvrir la France, pays le plus peuplé d’Europe, (Chapitre 4), ses villes et ses campagnes, (Chapitre 7), ses sociétés villageoises, (Chapitre 5). Au fil de ces pages ce sont ces paysans français qui subissent fléaux et calamités, qui meurent prématurément, quoique moins que dans les villes, et qui remettent leur sort dans les mains de la Providence. Ils sont la plus grande partie de la population du Royaume, semblent soumis au rythme immuable des saisons, mais pourtant, dans ce siècle tourmenté peint par Bruegel, on voit arriver dans les paroisses des plantes et des idées nouvelles. Les campagnes connaissent peut-être déjà l’accumulation primitive du capital permettant de dessiner les prémisses du triomphe de la bourgeoisie.
On y découvre aussi ces villes qui connaissent leurs premières tensions mais aussi la mosaïque de terroirs et de paysages de ce royaume constitué par apports successifs d’héritages, de guerres et de contrats de mariages.
Guide sociologique aussi dans la minutieuse description de la noblesse, un sujet de prédilection de l’auteur. On y rencontre princes du sans et hobereaux, nobliaux de province qui s’estiment bien nés mais qui sentent encore la roture. Dans cette période troublée, notamment pendant les guerres de religion, bien des blasons se sont défraîchis ! Il faut attendre 1600 et le retour à l’ordre pour que les registres de taille soient mis à jour et les causes d’exemptions étudiées de près. Dans le même temps, le Roi avait tendance aussi à favoriser l’anoblissement pour récompenser quelques fidélités et asseoir aussi une autorité à construire.
L’ouvrage de Laurent Bourquin nous fait aussi entrer dans l’intimité de ces seigneurs, dans leurs forteresses, châteaux et maisons fortes, mais aussi dans leurs inventaires après décès. Les biens de consommation font ainsi jeu égal avec le capital d’exploitation de Gilles Gibon, petit noble breton. Les paysans de leur côté se font plus nombreux jusqu’au milieu du siècle. Leurs effectifs attestés par les revenus des dîmes décroissent sensiblement ensuite. Siècle d’innovations pour les élites, le XVIe fut aussi un siècle de fer pour les humbles, celui de la dureté des temps et du creusement des écarts sociaux. Les États généraux plusieurs fois réunis dans la période couverte par l’ouvrage, en 1484, 1560, 1576 et 1588, ont donné lieu à l’élaboration de cahiers de doléances qui n’ont pas la portée en terme de revendications sociales de ceux de 1788-1789. Par contre ce siècle est aussi celui de la révolte des croquants qui tournent leur colère contre le fisc et ses représentants notamment les gabelous.
Guide politique bien entendu, avec les chapitres consacré à l’État royal en construction. Pendant cette période, ce sont les guerres d’Italie qui consacrent la puissance royale, avec les armes nouvelles tandis que les guerres de religion le font vaciller. Pourtant, inexorablement, poursuivant ce mouvement entamé sous Philippe le Bel, l’administration royale se renforce, tandis que les Parlements sont tentés, en vain, d’élaborer un contre pouvoir.
Guide culturel enfin, avec les chapitres consacrés à la religion, dans son organisation évidemment, (Chapitre 2) mais aussi et surtout dans les tourments de la Foi. (Chapitre 3) Comment le pays de France se déchire sur la transsubstantation après avoir été tenté, au début du règne de François Ier et avant l’Affaire des Placards, par une évolution vers une religion plus épurée, à l’image des désirs spirituels de Marguerite de Navarre, la sœur du Roi. Mais l’État en construction n’était pas en mesure de s’opposer à ceux qui faisaient de la défense de leur croyance une nouvelle croisade. La préservation des équilibres politiques ont finalement poussé la fille aînée de l’Église à sacrifier ses dissidents. Les voix tolérantes ou conciliatrices comme celle de Michel de l’Hospital eurent du mal à se faire entendre même s’il fallut bien accepter Henri IV en échange de son abjuration.
Ce sont les hommes du XVI et leur univers mental qui se sont transformés peu à peu, passant de la scolastique à l’humanisme, se vivant comme au centre de l’univers, qui terminent cet ouvrage. Certes la modernité n’a pas encore abattu toutes les citadelles et dans les actes de la vie quotidienne les rites et superstitions du passé perdurent. Sorcellerie et magie persistent encore largement. Pourtant l’alphabétisation progresse, favorisée par la diffusion de la chose imprimée. Car c’est bien l’odeur de l’encre et du papier qui donne le goût de la liberté, un peu comme le fumet d’une sauce ouvre l’appétit. Dans les collèges qui s’ouvrent dans tous le Royaume comme celui de Béziers, créé par lettre Patentes d’Henri IV en 1584, ce sont les Jésuites qui professent… Ils forment peut être les consciences des élites, suivant en cela les décisions du Concile de Trente mais ils ouvrent aussi les esprits au monde nouveau qui s’annonce.
Cet ouvrage très clair est destiné aux étudiants en histoire qui ont des examens en histoire moderne à préparer. De ce point de vue le travail d’édition est très bien conçu. Les notes et index permettent d’éclairer tel ou tel terme en cours de lecture, la chronologie est très complète et la bibliographie organisée en fonction des chapitres permet de trouver immédiatement les références pour tel ou tel exposé. Mais c’est surtout, du fait d’une belle plume, une superbe introduction à la compréhension d’un siècle paradoxal, brillant et cruel, durant lequel sont posés les bases de la France moderne.
© Clionautes – Bruno Modica