Rares sont les professeurs d’histoire qui, lorsqu’ils trouvent l’occasion de présenter l’art contemporain dans leurs classes ou leurs groupes de travaux dirigés à la fac, n’ont pas été confrontés à une réaction de rejet de la part de leur auditoire. On entend déjà les remarques, du genre : « j’en fait autant ! », « c’est du gribouillage », « ça ne représente rien ». Les plus chanceux pourront profiter de cette remarque également : « on dirait que cela a été peint avec la queue d’un âne ! ». Et ils demanderont alors longtemps comment un potache a pu ainsi paraphraser Sergueï Nikita Khrouchtchev visitant une exposition d’art moderne pendant la déstalinisation.

L’immense mérite de Christophe Domino, auteur de cet ouvrage et critique d’art, est de rendre accessible de façon pédagogique cet art moderne, et notamment le non-figuratif qui déconcerte toujours autant. Pourtant, cet art moderne, daté de la dernière édition de la star académy pour les élèves, ne l’est pas tant que ça !
Il pointe le bout de son pinceau à la fin du XIXe siècle pour trouver ses marques au tournant du XXe siècle après avoir jailli de l’enfer des tranchées entre 1914 et 1918. Cet art moderne est enfant du temps des guerres et des révolutions et les artistes majeurs de cette mouvance ne sont jamais très loin de l’engagement ou y plongent tout à fait.
Le choix de Christophe Domino a été de traiter, dans l’esprit de cette collection de 12 œuvres qui se trouvent toutes au musée national d’art moderne, plus connu sous le nom de Beaubourg.

Cet ouvrage présente l’immense intérêt dans un petit volume de traiter des courants majeurs de l’art contemporain du point de vue des techniques et des recherches des artistes eux-mêmes. On situera donc dans le temps les travaux sur la couleur de Matisse et Kandinsky avant d’en arriver aux créations d’Yves le monochrome, c’est-à-dire de Klein avec son bleu breveté, IKB3. Avec la couleur, et il est vrai que la présentation de Sonia Delaunay, et sa prose du transsibérien que l’on aurait aimé voir se déployer plus largement, en passant par la petite baie de la Ciotat, un paysage majeur de Braque jusqu’à la moins connue Byzantine de Alexej Jawlensky, on touche sans doute à l’apport décisif de cet art moderne, dont Delacroix et après lui les impressionnistes ont été les metteurs en scène.

De la couleur à la forme…

Faisant écho à ces maîtres coloristes, Picasso et Braque mènent jusqu’à leur terme la révolution cubiste. Le rapport entre l’œil et la forme pensée passe par une accumulation de formes géométriques souvent représentées avec leurs trois dimensions. Une fois de plus les grilles de lecture de certaines œuvres comme « la femme assise dans un fauteuil » de Picasso ou la « femme à la guitare » de Braque sont bien utiles pour présenter à des élèves qui n’ont pas forcément reçu une éducation artistique quelques éléments pour aller au-delà d’une réaction primaire.
Avec le futurisme en qui se développe à la suite du poète Marinetti et du peintre et musicien Luigi Russolo, la couleur et la forme se mettent en mouvement et le nouveau siècle devient celui de la vitesse, de la puissance des chevaux-vapeur. La victoire de Samothrace sert d’élément accessoire à un décor de calandre tandis que se profilent dans les rues de Milan les faisceaux italiens de combat. Au passage il est un peu dommage que la fascination que le fascisme a pu exercer sur ces artistes n’ait pas été évoquée. Il est vrai que de l’autre côté de ce cordon sanitaire que l’Europe édifiait autour de la jeune Révolution russe, Maïakovski se faisait le chantre d’un art du mouvement révolutionnaire avant de se donner la mort, devant la montée du réalisme socialiste.
Peu à peu, la forme, la couleur, la vitesse s’épurent pour en arriver à Mondrian, et à ses constructions de mondes d’angles droits.

Dépasser le réel et l’objet

Ces parcours dans l’univers des formes pour reprendre le titre cette collection d’histoire de l’art initiée par André Malraux se poursuit dans la matière avec Dubuffet et son voyageur sans boussole, ou dans les coulées de peinture de Jackson Pollock qui entendait reproduire par la technique du dripping, les créations des indiens navajos. Francis Picabia et avec lui les dadaïstes ont initié le détournement d’objets, la rencontre de la vie quotidienne et de la dérision dans un étonnant clin d’œil à ce qui sera dans les années soixante et soixante dix le pop art initié par Andy Warhol. L’image est ici prise à son propre jeu tout comme dans le surréalisme de Miro où les choses et les objets dialoguent.

L’ouvrage s’achève sur une analyse très fine des œuvres surréalistes opposant René Magritte et Salvador Dali. On parvient alors, avec ces quelques pages à comprendre ce qui n’est pas évident dans la peinture moderne, à dépasser l’image pour entamer un dialogue avec l’objet représenté. C’est, pour les deux plasticiens, la volonté de dépasser la technique très sûre qu’ils maîtrisent pour créer des sentiments qui vont au-delà de la réalité de l’objet représenté. Il n’est pas inutile d’envisager une présentation en classe de ces œuvres pour « accrocher » une leçon sur le monde en 1945 par exemple. De ce point de vue quelques tableaux du maître catalan pourraient servir de support. (Le cannibalisme par exemple, ou encore la persistance de la mémoire.)

Comme un « au revoir » ou plutôt un « à bientôt », l’analyse guidée de « Adieu New York » de Fernand Léger termine cet ouvrage. Le voyage s’achève par une série de notice biographiques et un tableau très utile des différents courants artistiques et un lexique.
Cet ouvrage de la collection tableaux choisis consacré à l’art moderne confirme l’excellente impression du précédent qui traitait de la bande dessinée. Sous un format accessible et en 125 pages, le lecteur peut faire le tour d’une question et, sans prétendre à l’exhaustivité se forger une culture artistique non négligeable.

© Clionautes. Bruno Modica