» À 10 heures du matin, le dimanche 20 juin 1943, c’est notre tour. Les coups tant redoutés frappés à la porte, un officier SS qui demande à mon père d’ouvrir… Alors que nous sortons sous bonne garde, mon regard se pose sur l’immeuble voisin où vivait Anne, et je revois la porte de l’appartement, fermée, silencieuse. L’année dernière, presque jour pour jour, j’étais allée toquer, encore et encore, étonnée que personne ne réponde. « 

Hannah Pick-Goslar a témoigné de l’enfance vécue avec son amie Anne Frank ; de leur rencontre à leurs jeux dans les rues d’Amsterdam. Elle témoigne aussi des conditions de vie au début de la guerre ainsi que de la dégradation du quotidien subie par les Juifs (port de l’étoile jaune, magasins juifs uniquement de 14h à 16h, bicyclettes réquisitionnées et tramways interdits…) jusqu’à son arrestation en juin 1943. Hannah, son père, sa soeur et ses grands-parents ont passé 7 mois dans ce camp de transit aux Pays-Bas (Westerbork) avant d’être déportés à Bergen-Belsen dans une partie « privilégiée » appelée « camp de l’échange » car les prisonniers étaient mieux traités pour être échangés contre des soldats allemands faits prisonniers par les Alliés (ex: les cheveux n’étaient pas rasés). Elle raconte la vie dans le camp jusqu’à ses courtes retrouvailles avec son amie Anne.

Les courtes retrouvailles avec son amie Anne Frank

Elle témoigne de ses derniers jours en vie dans le camp de concentration Bergen-Belsen. Comme elle le raconte, elles se sont parlées séparées par une clôture de barbelés obstruée par de la paille. Elle raconte avec émotion ces quelques échanges rapides de paroles car elle ne pouvait rester longtemps à l’extérieur du baraquement ; la peine donnée aux déportés trouvés près de la clôture pouvait aller jusqu’à la mort. Mais elle réussit, grâce à la solidarité de quelques femmes de son baraquement, à donner un peu de nourriture à Anne qui mourrait de faim de l’autre côté. Sa sœur Margot était malade du typhus et Anne était habillée de haillons, apeurée et pensant que ses parents avaient été gazés à Auschwitz. Hannah Pick-Goslar dira à ce sujet que si Anne avait su que son père était toujours vivant, elle aurait eu plus de force pour résister car elle ne la reconnaissait plus : Anne qui était si affirmée et pleine de confiance en elle n’était plus que l’ombre d’elle-même.

Dans son témoignage, il n’est pas seulement question d’Anne Frank et de leur amitié. Elle raconte aussi ce qu’elle a vécu durant la guerre, la déportation et les transferts de camps en camps, la vie dans les camps puis la libération.

Hannah Pick-Goslar devait quitter le camp avec sa petite sœur pour être échangée contre des prisonniers allemands, mais cet échange fut annulé sans savoir pourquoi. Ce jour, son père est décédé dans le camp de maladie. Elle et sa soeur Gabi (âgées de 16 et 4 ans) étaient devenues orphelines (leur mère était morte en couches lorsqu’elles étaient aux Pays-Bas). Elle voulut parler à Anne et retourna à leur lieu de rdv, mais ce jour elle ne vit plus les tentes qui étaient de l’autre côté de la clôture et elle n’eut plus jamais de nouvelles de son amie… Leur grand-mère mourut dans le camp le 25 mars 1945. Quelques jours plus tard, face à l’avancée des Soviétiques et des Américains, les camps sont évacués et trois trains sont envoyés pour transférer des prisonniers. Celui de Hannah était destiné à être « le train perdu » aussi appelé « le train fantôme » car il devait dérailler d’un pont. Les Soviétiques, sans le savoir, ont  sauvé la vie de ces personnes qui étaient dans ce train depuis treize jours. Cependant, sur les  2 500 personnes, 568 n’ont pas survécu à cause de la maladie et de la faim. De façon surprenante, lors des arrêts du train, les Allemands autorisaient les personnes à s’éloigner pour aller chercher à manger, à faire des feux pour cuire la nourriture, à enterrer les morts le long de la voie ferrée… Beaucoup parmi eux ont vendu des bijoux aux gardiens en échange d’un peu de nourriture.

La libération et « l’après-vie »

Une fois libre, avec sa sœur et quelques personnes avec qui elles avaient sympathisé, elles ont pu réquisitionner des maisons aux Allemands à proximité car les Soviétiques détenaient la zone. Elles ont pu trouver de la nourriture, dormir dans des draps propres et trouver quelques vêtements. Pour beaucoup, la nourriture fut la cause de leur mort car ils avaient trop mangé, comparé à ce que leur corps était habitué à avoir depuis des mois.
Puis le voyage du retour se fit à travers l’Allemagne pour regagner Amsterdam. Mais pour Hannah, elle dû patienter plusieurs semaines car elle fut soignée à l’hôpital en raison d’une maladie des poumons. Sa sœur fut recueillie dans un orphelinat dont les propriétaires étaient connus de sa famille et de ses proches.
Elle reprit contact avec Otto Frank, le père d’Anne, seul rescapé de la déportation. Il lui apprit qu’il était le seul survivant et que ses filles étaient mortes du typhus à Bergen-Belsen peu de temps avant la libération. Anne était anéantie par la mort de Margot Frank, sa sœur, et pensait être alors la seule encore vivante de sa famille. Son anéantissement, couplé à la maladie, l’acheva rapidement. Il est triste d’en arriver à la conclusion que malgré la force de son caractère et de sa personnalité, l’expérience des camps de concentration l’ont non seulement détruite physiquement mais aussi psychologiquement. Avoir eu l’occasion d’échanger quelques paroles avec son amie d’enfance lui aura permis d’avoir un peu de baume au cœur.

Une fois rétablie, Hannah émigra en Suisse romande où elle avait de la famille. Elle resta cependant au sanatorium et sa soeur dans un orphelinat juif à côté de Montreux.
Otto Frank a pu rejoindre sa famille à Bâle et ils ont eu l’occasion de se revoir, notamment pour lire des passages du journal d’Anne dont Hannah prend le temps de parler. Elle retourne en 1947 à Amsterdam, là où elle et Anne ont vécu ; cette ville qui se remet très difficilement de la guerre puis émigre en Israël pour poursuivre le rêve de son père. C’est le dernier chapitre du livre, elle raconte son intégration, son mariage, le traumatisme encore présent des camps mais aussi le silence des témoins qui n’osaient pas raconter ce qu’ils avaient vécu. Les années passent puis elle se convainc de témoigner en prenant la force et le courage d’Anne pour parcourir le monde.