Cet ouvrage s’inscrit dans une collection, « L’Histoire comme un roman », qui propose des ouvrages d’historiens retraçant dans un style romanesque des événements exceptionnels. Le livre est donc à la fois un récit, mais il fait aussi le point sur l’événement évoqué. Pour se repérer, cinq pages récapitulent d’abord les principaux personnages. C’est Patrice Brun, professeur d’histoire grecque et nouveau président de l’Université Bordeaux 3, qui se livre à un exercice de mise en perspective et pour tout dire de remise en cause de Marathon. Il cerne ainsi son sujet : « situer la bataille dans son contexte historique, comprendre le déroulement de l’engagement, mais aussi et surtout en définir les enjeux immédiats et à long terme puis saisir les époques et les modalités du changement qui s’opéra dans le souvenir du combat. »

Une bataille difficilement imaginable

Ce chapitre retrace la bataille en détails et avant tout les parties en présence. L’auteur nous amène bien à comprendre qu’il y a une grande différence entre ce qui s’est passé alors et ce qu’on en a gardé. Rappelons qu’à Marathon les hoplites grecs auraient infligé une cruelle défaite aux Perses : la réalité s’avère beaucoup plus nuancée. Tout d’abord il faut s’attacher à en savoir plus sur l’équipement et les conditions techniques pour tenter de cerner la réalité du combat. Il est très difficile aujourd’hui de se représenter la réalité géographique de Marathon. De même il est impossible de savoir combien de combattants se sont affrontés. Il existait certes un différentiel en défaveur des Grecs, mais on ne peut dire le rapport de proportion. Souvenons- nous de ce principe qui veut que l’on gonfle le nombre des adversaires que l’on a défaits. En quelques pages, Patrice Brun synthétise ce que l’on sait de la phalange aujourd’hui depuis notamment les travaux de V D Hanson. Rappelons qu’il s’agissait là du mode tactique des Grecs. On voit à quel point il faut tenir compte des réalités matérielles pour comprendre les combats. Il y a donc loin entre le combat et ce qu’on en a conservé. L’auteur dit bien : « le moins que l’on puisse dire est que le contingent perse ne connut pas l’un de ces désastres militaires dont on ne se remet pas ». Comment dès lors comprendre que Marathon soit devenue le symbole de la liberté d’Athènes ?

La mise en perspective de la victoire

En d’autres termes, pourquoi Marathon fut donc aussi importante ? Patrice Brun choisit de resituer la bataille dans son contexte. Ici commence une passionnante comparaison entre la victoire de Marathon et celle de Salamine. Pour ancrer un régime politique, quoi de mieux qu’une victoire militaire. Patrice Brun n’hésite pas à dire que ce processus est de tout temps.
« Mettre en exergue Marathon plutôt que Salamine, c’était mettre en valeur un régime politique plus aristocratique que démocratique ». Cependant ce succès militaire permit de légitimer les jeunes institutions démocratiques athéniennes. Ne nous trompons pas évidemment sur le sens de la démocratie à l’antique.
Comment comprendre et interpréter cette victoire ? L’auteur montre bien la spécificité de certains rituels qui se sont déroulés après la victoire. Marathon serait en quelque sorte « la mère de toutes les batailles ». Il y eut donc des honneurs classiques et d’autres exceptionnels rendus aux combattants.

Le mythe, c’est plus fort que toi.

Les Athéniens ont utilisé cette bataille pour leur gloire, mais sur un temps long on s’aperçoit que de victoire proprement athénienne, elle est devenue symbole de la Grèce ensuite. L’éloignement temporel et le mode de transmission oral expliquent sans doute que le récit de Marathon ait beaucoup évolué. Par un travail minutieux, Patrice Brun relève les utilisations internes à Athènes de la référence à Marathon. La bataille donne lieu à des représentations artistiques nouvelles.
L’auteur rappelle que nous n’avons aucun récit contemporain de l’événement et que le plus ancien date d’un demi siècle. Comment dans ces conditions être sûr de ce qui s’est passé réellement ? Patrice Brun retrace quelques moments de l’histoire grecque qui ont vu une utilisation de la référence à Marathon. Durant la domination romaine, la référence fut utilisée. Peu à peu l’action des hommes s’évanouit et c’est la part des dieux qui augmente.
Comme exemple de déformation, l’histoire de Philippidès est un bon condensé d’autant qu’on peut l’utiliser dans nos cours. L’histoire colportée et actuelle est celle de ce soldat qui mourut après avoir couru 42 kilomètres 195. Cependant aucune source de l’époque n’évoque cet épisode ! On peut déjà signaler que le décès après cette distance peut paraître étonnant, car il y avait alors des professionnels de la course ! Patrice Brun va plus loin et s’interroge sur le succès de cette version. Marathon est devenu un pan de l’histoire grecque et plus seulement athénienne.
Marathon devient, y compris au XX ème siècle, le symbole de la liberté contre la barbarie. En tout cas, Marathon a triomphé comme le prouve l’inscription de l’épreuve aux Jeux Olympiques actuels alors qu’elle n’a jamais existé dans l’Antiquité ! De plus, la fameuse distance de 42,195 correspond en réalité à la distance entre le château de Windsor et le stade de White City où fut jugé l’arrivée en 1908 ! Chacun peut donc faire ce qu’il veut de Marathon, cette référence est malléable et si cela devient légendaire, c’est que l’être humain a besoin aussi de cela et pas seulement de faits avérés et prouvés.

Au total ce livre centré sur la bataille de Marathon permet de revivre ce que fut cette bataille. Il restitue le contexte de l’époque puis s’intéresse longuement au devenir de cette bataille et aux enjeux mémoriels. L’ensemble s’avère agréable à lire, bien mené avec juste quelques comparaisons actuelles pour éviter de nous croire trop différents des Grecs. On peut néanmoins s’étonner de la présence de ce livre dans cette collection, car finalement l’historiographie de Marathon occupe de longues pages, et ce n’est pas forcément ce qui pourra intéresser la « cible » d’une telle collection, semble-t-il.

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