Britannique, passé par Cambridge, Peter Green a été tour à tour critique, poète, romancier historique, traducteur et historien, avant d’accéder au statut de professeur émérite d’études classiques à l’université du Texas. Le reflet de ce parcours atypique se retrouve dans l’ouvrage dont les éditions Tallandier proposent ici la traduction. Paru en 1996, The Greco-Persian wars, n’est lui-même qu’une réédition d’un travail publié en 1970 sous le titre de The year of Salamis (en Grande-Bretagne) ou de Xerxes at Salamis (aux Etats-Unis). Simple réédition donc, puisqu’au texte original ne s’ajoutent qu’une introduction de l’auteur et une bibliographie additive. On peut néanmoins se féliciter du changement de titre, qui rend mieux compte de l’amplitude chronologique embrassée par l’ouvrage. La description et l’analyse des événements de l’année 480, qui vit, après le sacrifice dramatique de Léonidas et de ses troupes aux Thermopyles, la grande victoire des cités grecques coalisées à Salamine sur la flotte d’invasion perse, constituent certes le coeur de celui-ci. Mais Peter Green débute son récit bien plus tôt, par un aperçu de la création et de l’expansion de l’empire achéménide sous Cyrus et Darius et de l’avènement de la démocratie à Athènes à la fin du VIème siècle. Il y couvre pareillement en détail la première tentative d’invasion perse de 492-490 (mise en échec par la célèbre victoire athénienne de Marathon), et ses suites. Enfin, la centaine de pages qui closent l’ouvrage sont consacrées aux événements de 479, année où les Grecs, par les victoires terrestre de Platées et navale du cap Mycale, mettent définitivement fin à la menace que les Perses font peser sur eux.

Churchill face à l’Empire

Comme Peter Green le reconnaît lui-même, avec humour et un peu d’agacement, dans son introduction, la première édition de son ouvrage a fait réagir nombre de spécialistes. Et il est vrai que, dans la forme et parfois dans le fond, son texte peut surprendre le lecteur qui s’attend à une étude académique prudente et dépassionnée. Peter Green se singularise ainsi par sa tendance à esquisser des comparatifs avec d’autres périodes historiques, la Seconde Guerre Mondiale principalement : il trace d’audacieux parallèles entre Thémistocle et Churchill, entre les Grecs pro-perses et les Vichystes, utilise parfois des termes du vocabulaire militaire moderne (« brigade », « commando »). Par ailleurs, il n’aime guère les zones d’ombre, les incertitudes ; de là un penchant à l’extrapolation, à la spéculation quand il s’agit de relater un des nombreux aspects des événements dont l’interprétation prête à discussion. Certains iront même jusqu’à parler de romanesque – moins dans le fond, sans doute (même si l’auteur ne peut résister au plaisir d’introduire dans son récit des anecdotes sûrement apocryphes, telle celle issue de Plutarque où Néoclès met en garde son fils Thémistocle contre l’ingratitude du peuple) que dans la forme. Volontiers lyrique, l’auteur prend parti ; il ne dissimule pas sa sympathie pour les Grecs, pour Thémistocle en particulier, crédité de maints mérites, et ce n’est pas sans une certaine émotion qu’il évoque leur combat. Il se range clairement parmi ceux qui voient dans l’issue des guerres médiques un jalon essentiel du développement ultérieur de notre civilisation occidentale, la victoire des Grecs ayant signifié la préservation des concepts de liberté politique et de liberté intellectuelle expérimentés dans les cités. C’est fort possible ; néanmoins, sa vision (particulièrement développée p.35-36) d’une Perse achéménide monolithique et statique, source d’aucun progrès, gagnerait sans doute à être nuancée à la lumière de certaines de ses réalisations (tolérance religieuse et culturelle, innovations techniques…) et de l’ignorance où nous sommes encore aujourd’hui, pour diverses raisons, de beaucoup de ses aspects.

La mer, la montagne, la sueur et le sang

Mais l’auteur assume dans son introduction de 1996 la majeure partie des critiques qui ont pu lui être faites ; s’il en admet certaines, il se justifie avec vigueur contre le reste, invoquant entre autres un souhait de rendre son ouvrage le plus accessible qui soit, et déclare que les travaux ultérieurs n’ont que marginalement amené sa vision des choses à évoluer. Et il est vrai que, quelles que puissent être les réticences que pourraient faire naître à son égard ces différentes considérations et son âge maintenant respectable, son texte reste très séduisant.
Il a ainsi le mérite d’être l’un des premiers à proposer de façon synthétique un tableau global du conflit. Global dans un sens chronologique et géographique (avec l’évocation bienvenue de l’expédition menée par Carthage en Sicile en 480, directement liée aux entreprises de Xerxès ; avec l’intérêt apporté à la situation de nombreux Etats grecs restés, degré ou de force, pro-perses…) ; mais aussi parce qu’il en propose une interprétation qui s’intéresse à ses soubassements politique, idéologique et économique.
Dans le détail de sa reconstitution des événements, Peter Green se montre souvent très convaincant, et ses prises de position sont bien argumentées. D’évidence, l’auteur bénéficie d’une connaissance approfondie des textes antiques, qui sont le fondement de ce que nous savons du conflit, celui d’Hérodote particulièrement. Et il les manie généralement, tout comme ses autres sources (épigraphiques, archéologiques…) et les nombreux travaux historiques consultés, avec un esprit critique qui touche à l’exégèse. Son approche très humaine des événements rend pareillement son récit très crédible – et il faut y voir probablement le reflet de sa propre expérience, l’auteur ayant connu la guerre sur le front birman, et vécu et enseigné en Grèce de 1963 à 1971, acquérant une solide connaissance du théâtre des opérations et de ses problématiques, et des lieux des combats qu’il a parcourus en tout sens. De nombreux faits sont donc avantageusement éclairés à la lumière de leur contexte géographique, matériel, culturel, religieux… Si le travail de Peter Green gagnerait évidemment aujourd’hui à bénéficier des éclaircissements de la recherche sur certains points (ainsi les réalités du combat hoplitique étudiées par V.D.Hanson), il reste donc dans l’ensemble très valable.

Au final, ses qualités historiographiques, le style brillant dans lequel il est écrit, et la traduction très réussie qu’en donne Denis-Armand Canal font de la lecture de cet ouvrage un excellent moment ; avouons-le, y concourent aussi certainement, outre le caractère déjà hautement dramatique des évènements eux-même, les choix d’écriture relevés plus haut. On peut donc légitimement ressentir une certaine frustration devant la décision prise par l’auteur d’arrêter son récit à la prise de Sestos qui suit immédiatement Mycale, alors que la guerre contre la Perse, principalement menée par Athènes et ses alliés de la nouvelle ligue de Délos, ne sera officiellement close (semble t-il, car la réalité de l’évènement est discutée) que trente ans plus tard, par la paix de Callias. Complété d’une quinzaine de cartes assez schématiques mais utiles, l’ouvrage est donc susceptible d’apporter beaucoup à la fois au passionné d’histoire militaire, au collègue désireux d’approfondir ses connaissances sur la période ou à l’étudiant s’attachant à son étude.

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