Marie-Laurence HAACK, professeure d’histoire ancienne à l’Université de Picardie Jules Verne, est l’auteur de nombreux ouvrages sur les Etrusques, en particulier sur leur religion. En 2000, elle a soutenu sa thèse sur Les haruspices dans le monde romain.
« Pourquoi écrire un livre sur un peuple qui a péri il y a plus de deux mille ans ? Parce que les Etrusques sont toujours vivants ! Ils vivent à travers nous : ils nous ont transmis un alphabet, le goût du vin, des instruments de musique et des images de banquets et de danses qui ne cessent de nous intriguer. Les questionnements des archéologues et des historiens sur leurs origines […] font écho à nos propres interrogations […]
Pour les découvrir, nous proposons ici un livre qui n’est ni un manuel universitaire ni un guide ou un récit touristique. […] L’itinéraire est autant géographique que culturel et procède par allers et retours entre présent et passé. Pour éclairer ces parcours, chaque chapitre sur une cité est suivi d’un chapitre thématique qui vise à donner des clefs d’explication sur un point de la civilisation mis en avant dans le chapitre précédent. »
Le couple et la famille chez les Etrusques (Cerveteri)
D.H. LAWRENCE, l’auteur de l’Amant de Lady Chatterley, se rend à Cerveteri afin de rédiger un ouvrage sur la civilisation étrusque. Il visite des nécropoles et s’appuie sur les écrits de Théopompe et de Poseidonios d’Apamée.
Pour connaître la civilisation étrusque, les sources archéologiques sont nombreuses. Elles peuvent être recoupées par des documents épigraphiques, iconographiques et des écrits de source grecque ou latine. Mais il faut être prudent, car les nécropoles sont celles de familles aisées : « Les morts sont représentés tels qu’ils veulent se montrer ou tels que leurs proches veulent les montrer. » Quant aux écrits, leurs auteurs jugent les mœurs des étrusques à l’aune des leurs. La subjectivité est marquée.
La famille étrusque est patrilinéaire. Le couple légitime est important. Le mariage a pour but la procréation. « L’épouse est mise en valeur pour avoir apporté avec elle des terres, des biens […] (elle est) une force économique et productive ». L’image de la femme est contrastée. Si les femmes jouissent d’une certaine liberté et autonomie, elles ne se distinguent pas tant que cela des autres femmes du bassin méditerranéen.
Une économie prospère (Populonia)
« Etruria felix […] soit de la Toscane et du nord du Latium, de la vallée de l’Arno jusqu’au cours du Tibre » est une région riche en ressources.
Le site de Populonia montre que la richesse étrusque repose sur leur production métallurgique. Le fer provient de l’Ile d’Elbe et il est transformé à Populonia. Cette activité favorise les échanges commerciaux avec les cités du bassin méditerranéen. A la fin du IIIème siècle avant JC, la cité quitte la fédération étrusque et se place dans l’orbite de Rome, car Rome contrôle les routes commerciales.
Mais l’Etrurie possède aussi des terres riches, qui produisent du blé, des olives, du vin, du lin, de la laine de mouton. Les Etrusques maîtrisent les techniques d’irrigation et de drainage. Les plus riches pratiquent la chasse et la pêche.
Aux Grecs, aux Phéniciens, ils vendent leurs matières premières et ils leur achètent de la céramique et de l’orfèvrerie.
Leur richesse est celle d’une habile mise en valeur d’un capital naturel.
Un peuple religieux ? (Orvieto)
En 2015, Simonetta Stopponi, professeur à l’université de Pérouse, ne dispose pas d’un budget suffisant pour poursuivre ses recherches sur le site d’Orvieto. Elle décide de participer à un jeu télévisé, qui fait connaître son travail. Elle dispose dès lors des moyens pour poursuivre ses fouilles.
Orvieto apparaît comme un site important. Est-ce pour autant la capitale de l’Etrurie ? son centre religieux ? Le manque de sources étrusques ne permet pas de répondre à ces questions.
Les dieux étrusques sont nombreux. Beaucoup sont empruntés à la mythologie grecque. Ils sont anthropomorphes. Les Etrusques honorent leurs dieux par des sacrifices, y compris des sacrifices humains. Certains textes évoquent le sacrifice de prisonniers. Les Etrusques pratiquent la divination par consultation des faits météorologiques ou par haruspicine.
Une société inégalitaire (Chuisi)
La société étrusque se compose de 2 classes distinctes : de riches propriétaires fonciers qui détiennent le pouvoir politique et une couche servile et opprimée.
La période orientalisante garde des traces de mariages mixtes étrusques-étrangers appartenant au « même circuit de dons » c’est-à-dire de même rang. L’ascension sociale rendue plus difficile au début de la période archaïque pourrait expliquer la fin des régimes monarchiques en Etrurie.
Des Etrusques si populaires (Arezzo)
Le cinéma (La vie est belle »), les expositions …. ont rendu l’Etrurie et la culture étrusque populaires. Les rapprochements entre les faits historiques récents et l’histoire étrusque reflètent davantage l’angoisse de leurs auteurs qu’une réelle concordance entre les périodes comparées.
Le mystère des origines étrusques (Pulci)
Si Gustave VI de Suède participe et finance des fouilles en prince connaisseur et respectueux des méthodes historiques, Lucien Bonaparte a réalisé des fouilles dans sa propriété de Canino à des fins lucratives. Certes, il a recensé les objets extraits dans des ouvrages, mais ces ouvrages constituaient des catalogues de ventes à venir. Il répond ainsi à un engouement pour les objets étrusques très présents en Europe et en Amérique du Nord dans la première moitié du XIXème siècle.
Si ces fouilles mettent à notre disposition un matériel archéologique conséquent. Celui-ci est éparpillé dans différents Etats et les renseignements concernant les lieux où ils ont été prélevés sont soit insuffisants soit inexistants. Cette situation ne facilite pas le travail des historiens pour une meilleure connaissance du peuple étrusque et en particulier de ses origines. Sont-ils venus de l’Est par la mer ? Sont-ce des peuples autochtones ? Les Rhètes sont-ils des ancêtres des Etrusques ? Les hypothèses sont nombreuses. Elles varient selon le siècle de l’historien et ce qu’il souhaite démontrer. Bref, elles sont le reflet de son temps, de l’idéologie dominante.
Au XXème siècle, certains ont pensé que la génétique apporterait une réponse à cette question. La génétique a répondu, mais on est en droit de critiquer les critères/ échantillons scientifiques utilisés. « La question des origines nous en apprend davantage sur les individus qui se sont posé cette question que sur les Etrusques. La réponse à une question impossible révèle les partis pris, les réseaux, les intérêts dans lesquels sont pris les auteurs pour qui cette question compte. »
Le problème des sources (Volterra)
L’engouement pour la civilisation étrusques explique la fabrication d’objets souvenirs. Certains sont de très bonnes imitations, dont les auteurs n’avaient aucune intention de faussaires. D’autres ont compris leur intérêt financier et se sont enrichis. Certains de ces faux ont été acquis par des musées et présentés au public, ce qui laisse dubitatif quant au sérieux de leur conservateur !
Langue et écriture étrusques (Cortone)
En 1992, la découverte de 7 fragments de tables en bronze fournit le plus long texte étrusque connu. Ces fragments n’apportent pas la clé de cette langue, dont on déchiffre des mots, mais que l’on ne parvient toujours pas à traduire. Il nous manque l’équivalent d’une « pierre de rosette », c’est-à-dire le même texte en deux langues. Il existe un texte bilangue (étrusque-phénicien), qui évoque le même événement mais celui-ci n’est pas présenté sous le même angle.
L’écriture étrusque est empruntée aux Grecs d’Eubée (Chalcidien) et se développe dès le VIIème siècle avant JC sans doute avec les échanges commerciaux entre les 2 peuples. Au Ier siècle av JC, les inscriptions étrusques sont toujours présentes, mais celles en latin se développent. Au Ier siècle après JC, en Etrurie il ne reste que des inscriptions en latin.
L’art étrusque (Tarquinia)
L’art étrusque est connu par les objets présents dans les tombes, par les peintures plus ou moins bien conservées qui les ornent. Les œuvres ne sont pas signées. On possède donc peu d’informations sur leur(s) auteur(s). Les premières productions datent du IXème siècle avant JC. Ce sont des figurines en terre cuite appliquées sur des vases, suivent des poteries, des bronzes, des fresques … Au VIIème siècle, les représentations humaines l’emportent. Jusqu’au VI-Vème siècle avant JC, l’influence grecque est très présente.
Le développement d’une classe moyenne (fin IVème-milieu du IIème siècle avant JC) accroît la demande et correspond à une qualité moindre des œuvres produites.
Etrusques et Romains, si proches et pourtant si lointains (Véies, Rome)
Rome a entretenu des relations avec les cités étrusques et inversement. Ces relations sont commerciales, politiques …tantôt l’un domine, tantôt l’autre.
Le rite fondateur de Rome est attribué aux Etrusques. Par la suite, trois rois étrusques se succèdent à la tête de Rome : Tarquin l’Ancien, Servius Tullius et Tarquin le Superbe (VI-Vème siècles av JC). Tarquin l’Ancien aurait construit la Cloaca Maxima et le Circus Maximus après des travaux d’assainissements, fruits de la maîtrise étrusque des techniques de drainage.
L’Etrurie a lentement été conquise par Rome entre la prise de Véies (396 avant JC) et celle de Volsinies (264 avant JC). Il ne s’agit nullement d’un plan de conquête de la part de Rome, mais d’une adaptation aux circonstances. En 264, les élites de Volsinies perdent le contrôle de leur cité au profit des esclaves. Les élites font appel aux Romains, qui reprennent la cité en main et imposent leur pouvoir. Ce recours aux élites romaines souligne les liens d’amitié et de clientèle entre les deux élites.
Une approche originale enrichissante
L’auteur explique que l’histoire étrusque a d’abord été construite par les Grecs et les Romains. Puis du XVème siècle à nos jours, elle s’est enrichie des découvertes archéologiques et des intérêts (politiques) de leurs auteurs.
Aujourd’hui, écrire un ouvrage sur le peuple étrusque, c’est travailler sur des sources très nombreuses. Mais elle sont éparpillées dans différents musées, des sources pour lesquelles on manque de précision quant au contexte des fouilles. C’est travailler à partir de sources littéraires en prenant soin de décrypter les intentions de leur auteur …
Cet ouvrage présente avec clarté l’état des connaissances sur les Etrusques en nous mettant dans la situation de l’historien : les descriptions précises des lieux, des objets, les illustrations nous donnent accès à des documents archéologiques. Les extraits d’auteurs anciens (Denys d’Halicarnasse, Tite-Live …) ou plus récents nous permettent de recouper les sources, d’appréhender les questions et difficultés du travail de l’historien. Chaque chapitre se termine par des références bibliographiques. En début d’ouvrage une carte localise les différents sites évoqués. Elle est très utile.
C’est un ouvrage accessible et intéressant tant par son contenu scientifique que par sa démarche. Un lexique pourrait aider à la compréhension de certaines parties techniques.