CR par Stéphane Moronval

 

Comme cela a été le cas, en d’autres temps, pour d’autres événements historiques, l’édition française semble de nouveau se prêter cette année à «l’obsession commémorative» dont Pierre Nora soulignait déjà l’émergence dans Les lieux de mémoire (1986). L’objet de son intérêt est évidemment les événements de 1940 ; parmi les diverses péripéties qui marquèrent cette année tragique, l’intérêt se focalise en particulier sur la campagne de mai-juin, « l’étrange défaite » qui se clôtura, comme chacun sait, par l’invasion du territoire par la Wehrmacht et l’effondrement de l’armée française. Cette victoire allemande a longtemps été vue comme inéluctable, triomphe de la tactique novatrice (la Blitzkrieg) d’une armée moderne, suréquipée et brillamment commandée, sur une armée passéiste, démoralisée et matériellement dépassée. Depuis quelques années, l’historiographie remet cependant partiellement en cause cette vision simpliste : certes, le commandement français fut gravement déficient, et son outil militaire parfois très inférieur à celui de l’adversaire (aviation, DCA, transmissions…) ; mais de réels efforts de réarmement avaient été menés par le Front Populaire, les soldats surent se battre avec courage et détermination, les plus grands succès allemands étant en définitive souvent remportés de justesse, résultant des initiatives audacieuses de quelques talentueux généraux (Guderian, Rommel…)

Le « Verdun de 1940 »

Comme l’indiquait déjà un précédent ouvrage (Comme des lions : le sacrifice héroïque de l’armée française, mai-juin 1940, 2005), et comme il le rappelle dans l’introduction de celui-ci, c’est clairement dans ce courant que s’inscrit Dominique Lormier. Journaliste, l’auteur se consacre à l’écriture depuis une vingtaine d’années, et a rédigé plusieurs dizaines de publications consacrées à des thèmes très variés (histoire, spiritualité, régionalisme…), avec un intérêt constant pour la Seconde Guerre Mondiale et la participation de la France au conflit. Il aborde ici un épisode précis de la campagne de France : les combats acharnés qui opposèrent, du 14 au 25 mai, Français et Allemands dans et autour de Stonne, à une quinzaine de km au sud de Sedan.
Un long premier chapitre situe le contexte. L’auteur se livre d’abord à un comparatif des armées en présence au début de la campagne, rappelant quelqu’unes des idées-force évoquées ci-dessus, puis des plans des belligérants, avant de tracer le portrait des deux généraux (Guderian et Huntziger) qui vont se trouver opposés à Sedan. Il relate alors les débuts de l’offensive allemande : le 10 mai, les troupes du Reich passent à l’attaque des Pays-Bas au Luxembourg, provoquant l’avance de toute la partie gauche du dispositif français. Le 12, le fer de lance allemand, les 15e, 41e et 19e Panzerkorps, atteint la Meuse après avoir repoussé les divisions de couverture françaises. Le 13, les troupes de Guderian la franchissent dans le secteur de Sedan, malgré l’héroïque résistance des unités françaises et de l’aviation alliée, gagnant ainsi la possibilité de déboucher en terrain libre ; seul bémol, la contre-attaque désespérée du 7è Bataillon de Chars de Combat leur interdit le lendemain l’occupation des hauteurs de Stonne, importantes pour la sécurité de la tête de pont.
D’âpres affrontements vont suivre ; leur récit est l’objet des chapitres suivants. Tout en lançant les 1ère et 2ème Panzerdivisionen vers l’ouest, Guderian ordonne à la 10ème et au régiment motorisé d’élite Grossdeutschland de s’emparer de la position. Mais ces troupes sont prises de vitesse par une très solide unité française, la 3ème Division d’Infanterie Motorisée, soutenue par une des rares unités blindées tricolores, la 3ème Division Cuirassée de Réserve. Les 14, 15 et 16 mai, des combats acharnés garantissent aux Français leur maintien sur place, sans pour autant leur permettre de contre-attaquer. Prenant la relève du côté allemand, le 6ème Armeekorps (16ème et 24ème DI) lance les 18 et 19, puis le 23 une série de violents assauts, le plus souvent infructueux, sur les positions de la 3ème DIM renforcée par la 6ème DI Coloniale. L’évolution désastreuse de la situation générale rendant sans objet l’idée d’une contre-attaque vers Sedan, les Français se replient finalement le 25 mai vers le sud pour couvrir la ligne Maginot.

Comme des lions

Violente et disputée, la bataille de Stonne n’eut en réalité qu’un impact très limité : la percée allemande vers la Manche, décisive, ne fut jamais menacée. Son principal intérêt est donc de mettre en valeur l’héroïsme, la combativité, la compétence de certaines unités françaises, et, on l’a déjà dit, c’est d’évidence aussi le but que s’est fixé l’auteur, qui ne manque pas d’insister sur la valeur démontrée par les divisions engagées, la supériorité de leurs chars lourds, l’efficacité de leur artillerie… Il livre ici un récit synthétique et essentiellement factuel des combats, sans réellement d’apport historique nouveau. Comme Dominique Lormier le signale lui-même, l’affrontement de Stonne, longtemps méconnu, a en effet fait l’objet de plusieurs travaux récents, publications de l’association « Ardennes 1940 à ceux qui ont résisté », numéros hors-série de revues spécialisées, sans oublier le récent ouvrage (2009) de Jean-Paul Autant et Jean-Pierre Levieux, dont François Trébosc a déjà rédigé le compte-rendu complet pour les Clionautes (http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2854).
Par rapport à ceux-ci, on pourra regretter dans cet ouvrage l’absence de toute illustration et la présence d’une seule carte, que ne contrebalancent que partiellement la présentation en annexe de l’organisation de la 3ème DIM et la fourniture d’une courte bibliographie, d’un index et d’un sommaire.
Très accessible, d’une lecture agréable, il n’en satisfera pas moins les lecteurs non-spécialistes mais intéressés par l’histoire militaire ou par une vision moins stéréotypée de la « débâcle » de 40.

Stéphane Moronval