Déjà présentée à l’occasion d’un précédent compte-rendu (http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2927), la collection Illustoria des Editions Maison se consacre à l’histoire militaire antique par le biais d’ouvrages au format et à la longueur assez réduits (une centaine de pages au maximum), traitant de façon concise mais complète un thème précis à l’aide d’un texte enrichi d’un livret d’illustrations.
Originalité et accélération du rythme de parution semblent être devenus les maîtres mots de l’évolution de cette collection dont les débuts purent naguère paraître un peu moins dynamiques. La preuve en est encore faite avec cette dernière publication, consacrée à la campagne menée par l’étonnant empereur romain Julien contre l’empire perse sassanide au printemps de l’année 363 après J.-C.. Comme les précédentes, elle est l’œuvre d’une spécialiste de la question : Catherine Wolff, professeur d’histoire romaine à l’Université d’Avignon et des pays du Vaucluse, qui s’attache à l’étude des couches inférieures de la population et à celle de l’armée romaine. Elle collabore en cela régulièrement (entre autres au travers de la co-animation du congrès quadriennal organisé sur ce thème à Lyon) avec Yann Le Bohec, actuelle référence de l’historiographie française sur le sujet, et déjà contributeur direct (par le biais d’un titre consacré à la « bataille » de Teutoburg) ou indirect à Illustoria.
Jusqu’aux portes de Ctésiphon
Cinq chapitres structurent l’ouvrage. Le premier brosse un tableau rapide des forces en présence. Il présente d’abord l’armée perse sassanide, dont le noyau est formé de cavaliers cuirassés fournis par l’aristocratie appuyés par des archers à cheval ; organisation classique depuis l’époque parthe, améliorée par la mise sur pied d’une infanterie valable et l’engagement d’éléphants de guerre. Il rappelle ensuite les nombreux conflits ayant émaillé les relations entre les Romains et les Parthes, puis les Perses Sassanides qui leur succèdent en Iran à partir des années 220, plus offensifs ; il tente enfin de dresser un portrait physique et moral de Julien, exercice difficile tant le personnage, de par, particulièrement, son apostasie et sa politique à l’égard des chrétiens, suscita dès l’Antiquité maintes controverses, critiques ou éloges fort peu objectives. Les prémices de la campagne sont ensuite décrites dans le 2ème chapitre : après un long séjour à Antioche, Julien franchit l’Euphrate à la mi-mars, puis, suivant un itinéraire précisément reconstitué par l’auteur, atteint le territoire perse début avril à hauteur de Circésion, sur le fleuve. Il est alors à la tête d’une impressionnante armée d’environ 65 000 hommes, dont l’auteur rappelle les principales caractéristiques. L’armée romaine du Bas-Empire comprend des unités de fantassins et de cavaliers dont la taille, l’équipement, la tactique… n’ont plus grand chose de commun avec celles de la Rome des siècles précédents. Celle emmenée par Julien est un ensemble disparate, composée de troupes amenées de Gaule par l’Empereur, dévouées mais guère acclimatées, d’autres ayant servi en Orient sous son rival Constance II (opportunément décédé en 361), et de divers auxiliaires. Si elle présente une certaine valeur, complot(s ?) et indiscipline témoignent aussi de son manque d’enthousiasme. Une flotte d’un millier de navires assure son soutien sur l’Euphrate. L’expédition est d’abord victorieuse (3ème chapitre) : des places sont prises, d’autres contournées, les troupes perses se dérobent, et les Romains parviennent finalement devant les murs de Ctésiphon, la capitale de l’adversaire. Une violente bataille les y oppose aux Perses ; Julien remporte la victoire, mais celle-ci ne lui permet pas d’emporter la ville. Après maintes tergiversations, l’Empereur décide de renoncer à cet objectif pour s’enfoncer en territoire ennemi ; c’est le « moment décisif » mis en valeur par l’auteur dans le 4ème chapitre. Il n’amène que la retraite et la mort de Julien (5ème chapitre) : confrontés à la tactique de la terre brûlée mise en œuvre par les Perses, au harcèlement de la cavalerie de leur roi Sapor II, les Romains gagnent les rives du Tigre. Le 26 juin, lors d’un combat avec l’armée adverse, Julien est mortellement blessé, dans des circonstances obscures… probablement par un auxiliaire perse, conclut l’auteur. L’état-major lui choisit comme successeur Jovien, un chrétien, qui parvient à sauver les troupes au prix de lourdes concessions territoriales.
Gloire et démesure
Ainsi s’achève ce qu’on peut considérer comme l’une (sinon la) des dernières grandes expéditions extérieures de Rome. Catherine Wolff en livre ici un récit clair et complet, rigoureux tout en restant accessible, au style pas forcément inoubliable mais d’une lecture agréable. Outre une synthèse solide et bien documentée sur le déroulement de la campagne, elle propose d’intéressants aperçus tenant plus de l’analyse, surtout sur la personnalité de Julien, le rôle central de celui-ci conditionnant le déroulement de l’expédition. Loin des interprétations tranchées, elle en esquisse un portrait nuancé, très humain. L’empereur apparaît comme un chef de guerre accompli et courageux, mais aussi comme un individu au caractère agité, instable, entaché de démesure : soucieux de gloire, il choisit de mener la guerre contre l’ennemi héréditaire perse alors que les Barbares menacent les frontières de l’Occident, et s’y lance sans réelle planification stratégique, comme tendent à le prouver ses errements une fois parvenu devant Ctésiphon ; général en chef, il s’expose pour donner l’exemple bien plus que de raison aux coups de l’ennemi ; superstitieux, il peut se montrer sacrilège… On pourra d’ailleurs compléter avec profit cette première approche par l’intéressant chapitre consacré à l’expédition par J.E.Lendon dans son brillant Soldats et fantômes (au compte-rendu duquel on se permettra de renvoyer ici : http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2346).
Le livret d’illustrations ne laisse encore une fois pas grand chose à désirer : la qualité formelle reste remarquable (couleur, papier glacé), et, si on peut peut-être y déplorer l’absence de représentation de l’humble fantassin romain de l’époque (les légionnaires mis en scène p.XI et XV sont du Haut-Empire), le choix des documents, issus de nombreuses sources (dont les incontournables ouvrages de Y.Le Bohec et P.Richardot sur l’armée romaine) est globalement pertinent, avec en particulier des cartes bien détaillées.
En outre, comme les précédents titres, le texte est enrichi d’un lexique, d’une chronologie (rappelant les grandes étapes des rapports entre Perses et Romains jusqu’à l’expédition de 363), d’une intéressante présentation des sources utilisées, bien replacées dans leur contexte, d’une bibliographie indicative et d’une liste de lieux à visiter en rapport avec le sujet… Vu la nature succincte de cette dernière, on devine là que l’auteur s’est conformée au cadre de la collection, et qu’elle n’a pas été à la fête !
Avec ce nouvel ouvrage de grande qualité, permettant une approche à la fois solide et accessible du sujet, Illustoria continue donc à tracer un sillon prometteur.
Stéphane Moronval