Nos trois auteurs, après des carrières scientifiques et techniques dans les instances agricoles, nous proposent leur réflexion sur l’histoire de l’agronomie. On ne peut que regretter l’ignorance dont ils semblent faire preuve quant à l’existence d’une riche, quoique déjà ancienne école d’histoire rurale dans la mouvance du mouvement des Annales, même les quatre tomes de l’Histoire de la France rurale publiés sous la direction de Georges Duby ne sont pas cités. En fait, et malgré des propos très durs à l’encontre des jeunes étudiants aux « recherches bibliographiques tronquées ou sont cités parfois exclusivement, les seuls mémoires de leurs prédécesseurs… »[p.193] les auteurs ne citent que très peu de travaux, souvent très anciens et la bibliographie de la fin de l’ouvrage n’est guère plus que la liste des publications de Jean Boulaine, il est vrai qu’à la page 192 on assiste à une attaque virulente des universitaires.
L’ouvrage est construit en trois parties: l’évolution de l’agriculture en France des origines à nos jours, un coup de projecteur sur les périodes pré et post-révolutionnaire avant d’aborder les progrès agricoles des 19 et 20ème s. En marge un chapitre traite des forêts ou plutôt des forestiers. Chaque chapitre ou presque est suivi de quelques « lectures complémentaires ».
Essai sur l’histoire de l’agriculture en France
Cette première partie est Un vaste mais rapide rappel des débuts de l’agriculture à nos jours, non sans lacunes. Si les débuts de la domestication animale et végétale sont évoqués le terme de néolithisation n’est pas cité de même que le rôle des moines au Moyen Age dans le mouvement des défrichements. Si la baisse de la population au XIV ème siècle est mentionnée, la peste noire est absente de même que le mini âge glaciaire pour expliquer les difficultés frumentaires de la fin de l’ancien Régime, enfin c’est à la restauration que l’on devrait le développement de la culture de la canne à sucre.
Autour des Lumières, de la Révolution et du Premier Empire
Cette seconde partie s’organise en 4 chapitres. Après une présentation assez factuelle de la naissance u mouvement physiocratique, sont décrits les travaux de Quesnay, et surtout de Duhamel de Montceau sur le travail des sols, le recul de la vaine pâture et l’introduction des légumineuses. Une histoire du semoir est proposée en fin de chapitre.
Les cahiers de doléances sont décrits comme source irremplaçable sur l’état de l’agriculture à la fin du XVIII ème siècle. La nuit du 4 août et le décret du 28 septembre 1791, ébauche du code rural, sont analysés avec une insistance sur le progrès que constitue la fin des pratiques collectives, en référence aux enclosures anglaises datées tantôt du Moyen Age, tantôt du XVI ème siècle. Un paragraphe est consacré à l’incontournable « voyages en France » d’Arthur Young avant que soit montré le rôle des intendants et des préfets dans la diffusion des idées des physiocrates, la naissance d’une administration de l’agriculture et d’un enseignement fondé sur diverses publications. Les lectures complémentaires de ce chapitre présentent quelques personnages: Olivier de Serres, Parmentier…
Le chapitre suivant est entièrement consacré à la biographie de Jean Laurent Lefebvre, important membre de la Société d’Agriculture, auteur d’un véritable journal professionnel: « la feuille du cultivateur ».
Tandis que vient ensuite, sous le titre La Société d’Agriculture et Napoléon 1er, illusions et réalités, le récit des rapports conflictuels entre l’empereur et le secrétaire perpétuel et d’autre part haut fonctionnaire: Augustin François Silvestre et de la carrière de ce dernier.
Le siècle des merveilles
L’analyse des rendements en blés met en lumière les progrès des XIX et XX ème siècles, l’intérêt des engrais, une histoire des phosphates organiques puis minéraux débouchent en lectures complémentaires sur la biographie de Boussingault, « inventeur » du cycle de l’azote.
On assiste à la naissance: dates, personnages, localisation des structures d’enseignement supérieur et de recherche agronomique de l’école de Grignon à l’INRA.
Quant à la place des femmes dans l’histoire de l’agriculture, on est un peu surpris: la description de leur rôle sur l’exploitation agricole, sans référence à aucune étude, semble fondée sur l’imagerie traditionnelle: petit élevage, jardin, laiterie. Les quelques portraits proposés sont consacrés à des femmes: épouses ou sœurs, d’Olivier de Serres, Lavoisier… dont le grand mérite est d’avoir assuré les tâches quotidiennes permettant les travaux intellectuels de leur époux ou frère. Quelques agronomes de XIX ème siècles sont citées qui devancent le décret de 1918autorisant les femmes à se présenter aux concours des écoles supérieures d’agronomie.
Le dernier chapitre: la gloire des agriculteurs est un hymne aux agronomes: Lavoisier, Boussingault, Pasteur et quelques autres et à leur notoriété au-delà des frontières.
Un complément Richard Moreau nous livre ses « notes d’histoire forestière », s’appuyant essentiellement sur la Franche Comté, il considère que l’administration des forêts naît, en quelques sorte avec la création en 1824 de l’école de Nancy et le code forestier de 1827 sous l’influence de l’exemple prussien. On retrouve ensuite des portraits de forestiers: Gurnaud, inventeur de la futaie jardinée, Broilliard, Algan, Schaeffer, Guinier, Lachaussée et Lucien Turc, historien de la forêt.
La lecture de cet ouvrage, si elle apporte des éléments sur les agronomes, nous montre une histoire de l’agriculture qui laisse bien peu de place aux paysans ou aux agriculteurs.