« Allez enseigner toutes les nations » (selon l’Evangile de Saint Mathieu). Aux origines même de l’histoire du christianisme, l’acte missionnaire en constitue l’un des fondements : ainsi, Paul de Tarse, infatigable missionnaire dans le bassin méditerranéen, portant la parole du Christ tout autant qu’organisant les communautés de croyants.
L’histoire des Missions étrangères commence en 1658 lorsque quatre premiers vicaires apostoliques sont envoyés en mission : Mgr de Laval Montmorentcy au Canada, Mgr Pallu au Tonkin et dans les provinces chinoises voisines, Mgr Lambert de la Motte en Cochinchine et dans les provinces méridionales de la Chine et enfin Mgr Cotolendi à Nankin et dans les provinces orientales de la Chine, en Tartarie et en Corée. Ces nominations cachent cependant les difficultés, nombreuses, auxquelles se heurtent et vont encore se heurter nos missionnaires. Parmi lesquelles et non des moindres, la résistance du pape lui-même Innocent X.
L’histoire d’un combat
Foi et politique sont étroitement mêlées et en cette affaire, ce sont les intérêts portugais et espagnols qu’il faut ménager (dont les comptoirs sont nombreux en Asie). Grandes puissances catholiques, elles ont pris une longueur d’avance dans les terres « nouvellement explorées ». Innocent X redoute le conflit et tergiverse. Il faut attendre sa mort et la nomination d’un nouveau pontife, Alexandre VII, pour que l’opération ne soit relancée. Mais au prix de quelles péripéties!
Il faut réunir des fonds, des soutiens, avoir une base (la rue du Bac) pour former les futurs missionnaires et décider des modes de déplacement et des itinéraires à prendre : mer ou terre, aucun des deux n’est exempt de dangers. C’est presque un véritable roman tant les ingrédients ne manquent pas : secrets (la Compagnie du saint Sacrement, l’instigatrice et le soutien premier de ces Missions étrangères est condamnée au secret), sabordage (le Saint Louis, bateau chèrement payé, construit aux Provinces Unies passera par le fond dans des circonstances troubles).
En 1660, la première expédition partira enfin…Ils sont 17, en 3 groupes successifs à avoir quitté la France en 1662.
A la mort de Pallu, en 1684, la société des Missions étrangères compte 5 corps particuliers : quatre missions (le Siam, la Cochinchine, le Tonkin et une partie de la Chine) ainsi que le séminaire de Paris, légalement associé aux Missions (c’est d’ici que se forment les jeunes volontaires, c’est aussi la « base arrière » des missionnaires). On peut ajouter à son crédit la création de six vicariats, le sacre de 8 évêques, un séminaire général établi à Siam, un particulier au Tonkin, le baptême de plus de 60000 personnes, la formation de religieux.
Cependant, une longue période de crises s’annonce. La Révolution française, sa nationalisation des biens du clergé, sa constitution civile : autant de mesures qui annoncent des temps difficiles pour la société des Missions étrangères, qui vit dans la semi-clandestinité. C’est par Napoléon que la société renaît. A 250 ans d’intervalle, l’Eglise et l »Etat s’associent dans le soutien des missions apostoliques : à Alexandre VII et Louis XIV succèdent Pie VII et Napoléon. Pour des motifs différents cependant : Napoléon voit l’intérêt de l’Etat notamment économique et Pie VII veut que le message christique, universel, puisse être une réponse à l’universalité proclamée de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Le XIXème siècle est celui de l’âge d’or, celui des grandes réussites individuelles et collectives. Mais c’est aussi la période des martyrs et le rejet de l’Eglise et de ses représentants étrangers. A cet égard, l’exemple de l’Annam est symbolique. A l’avènement de Ninh Mang en 1821, une vaste politique de répression contre les chrétiens en général et les missionnaires en particulier s’amorce. Elle va donner aux Missions étrangères quelques uns de ses martyrs les plus glorieux. Il y aura même rue du Bac une Chambre des martyrs dans laquelle seront entreposées les châsses des restes des missionnaires suppliciés.
Les relations ambiguës entre l’Etat et la société des Missions étrangères se manifesteront une nouvelle fois au moment de l’affaire Dreyfus puis un peu plus tard lors de la loi Combes de séparation des Eglises et de l’Etat. Si la foi s’affronte à la raison d’Etat, elle peut aussi la rejoindre, témoin l’engagement des missionnaires au cours des deux conflits mondiaux. L’après 1945 est une période difficile, les volontés d’indépendance et les conflits qui s’ensuivent coûtent beaucoup aux Missions. S’amorce cependant le mouvement irréversible de la naissance d’un clergé autochtone.
Quel sens donner alors à la présence missionnaire?
Si Gilles Van Grasdorff intitule son ouvrage « la belle histoire des Missions étrangères », c’est parce qu’il fait le choix de raconter la singulière aventure de ces hommes, qui à travers les siècles ont choisi de consacrer leur vie à Dieu, par le départ et la vie dans des pays d »infidèles » qu’il convient d’évangéliser. Au delà des actes positifs – construction d’hôpitaux, de dispensaires etc..- et de personnalités marquantes voire attachantes, il convient de s’interroger sur la finalité de ces Misions étrangères et sur la conception que l’Eglise catholique (mais aussi les Eglises en général) a de son rôle.
Il n’est pas dans le propos de l’auteur d’interroger le sens de la présence en Asie des missionnaires français ni même les orientations de la Papauté, réaffirmées par Vatican II et beaucoup plus récemment dans l’Encyclique Redemptoris Missio (Jean-Paul II) pour lesquelles les missions gardent toute leur raison d’être. Il est fort à parier que connaissant les orientations développées par Benoit XVI depuis le début de son pontificat, cela ne changera pas dans l’immédiat.
Au final, Gilles Van Grasdorff nous livre là un livre très documenté et passionnant sur l’histoire de ces Missions, des hommes qui les ont conduites, à l’occasion de leur 350ème anniversaire, ainsi que sur une Asie en lente transformation et qui fut sans conteste une terre de « mission »…