Un objectif : éviter un autodafé prévu à Cordoue en l’an 976

En 976, le calife Al-Hakam II décède à Cordoue. Sa succession est disputée. Parmi les prétendants, Amir, le vizir, souhaite s’emparer du pouvoir. Pour y parvenir, il décide de s’appuyer sur les oulémas les plus radicaux. L’une des revendications pour obtenir leur soutien est simple : ne conserver que les livres considérés comme licites. L’enjeu est de taille. La bibliothèque du calife Abd el-Rahman III et de son fils al-Hakam II est l’une des plus importantes au monde, avec plus de 400 000 ouvrages.

Un esclave chrétien originaire de Francie occidentale, élevé par des moines avant d’être castrée à l’âge de onze, Tarid, est chargé de la conservation des livres depuis de nombreuses années. Peu sportif mais débrouillard et doué pour l’apprentissage des langues, telles que le grec, le latin ou l’arabe, Tarid a eu vent du projet du vizir qui souhaite brûler une bonne partie de la collection du calife. En cachette, il décide alors de transporter hors de la ville les livres les plus précieux à ses yeux, pour les soustraire à l’autodafé qui se prépare.

Dans sa tâche, l’eunuque Tarid est soutenu par Lubna, une esclave devenue la cheffe des copistes. Vive et maligne dans le récit, sa biographie « a été conservée dans plusieurs dictionnaires bibliographiques de savants des XI-XIIIe siècles, qui la décrivent comme grammairienne, poète, mathématicienne et surtout comme une calligraphe talentueuse » (page 262).

Dans sa quête pour sauver des livres de mathématiques, de philosophie ou de médecine, le duo est vite rejoint par un ancien apprenti, devenu un voleur sans-le-sou, Marwan. De retour dans la ville de Cordoue afin de ramener un livre volé dix ans avant, Marwan possède une mule dont il souhaite se débarrasser. Rachitique et têtu, l’animal est lent et difficile à entretenir. C’est le point de départ d’une épopée : où se rendre pour sauver les livres que peut porter la mule ?

Quitter la ville n’est pas une tâche aisée. En faisant l’objet de recherches par les soldats d’un calife manipulé par le vizir, encore moins. Mais le trio reste soudé et souhaite atteindre Badajoz. En cours de route, ils apprennent que la ville n’est plus sûre pour accueillir les précieux livres. L’entreprise devient alors encore plus osée : franchir le Tage et attendre le Royaume chrétien de León. Mais des Vikings sont sur le chemin.

Cette bande dessinée est signée par Wilfrid Lupano pour le scénario, et par Léonard Chemineau pour les dessins. Le scénario s’appuie sur une histoire vraie. Le vizir Al-Mansur a organisé des autodafés lors de sa prise de pouvoir à Cordoue à la fin du Xe siècle. La cheffe des copistes s’appelait Lubna et l’archiviste en chef portait le nom de Tarid. En s’appuyant sur les archives disponibles, les travaux des historiens et l’étude de miniatures de l’époque, les auteurs sont parvenus à retranscrire les paysages et l’ambiance d’Al-Andalus. Une postface de l’historien Pascal Buresi permet de comprendre le contexte de la période et les choix des auteurs. A la fin du Xe siècle, la ville de Cordoue est à son apogée politique et devient un pôle scientifique majeur grâce à la traduction et à la copie de livres de l’ensemble du bassin méditerranéen. La fuite de la « bibliomule de Cordoue » est ainsi une forme « d’instrumentalisation de la religion par le pouvoir » (Wilfrid Lupano) au service d’un vizir qui souhaite devenir le chef des croyants.

Source : Extrait tiré du livre « La bibliomule de Cordoue » publié chez Dargaud, Novembre 2021, pages 4-5

Les enseignants pourront recommander la lecture de ce livre en classe de Seconde afin de prolonger le cours sur les transferts culturels dans le bassin méditerranéen, dans un contexte de conquête arabo-musulmane de la péninsule ibérique.

Une fresque extrêmement plaisante, portée par une édition de grande qualité, qui met en avant trois personnages désirant sauver une partie du patrimoine littéraire et culturel d’Al-Andalus. Face aux soldats du vizir, mais de la mule qui apprécie particulièrement de dévorer en cours de route les pages des livres du mathématicien al-Khwarizmi (780-850).

Pour aller plus loin :

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Antoine BARONNET @ Clionautes