La biodiversité au quotidien
Le développement durable à l’épreuve
Editions Quae, IRD Editions, 2008, 286 pages
Compte rendu par Jacques MUNIGA
La biodiversité est entrée dans notre quotidien sans crier gare. Du simple quidam aux classes politiques de tous pays, chacun y va de son couplet sur cette biodiversité dont, il faut le reconnaître, les contours sont réellement flous.
D’ailleurs, dès son introduction, Christian Lévêque nous fait remarquer que le mot lui-même est source de confusion. En effet, si la « diversité » ne pose pas de problème à priori, le préfixe « bio » concerne le vivant. Or, trop souvent, l’air et l’eau avec leur lot de pollutions sont évoqués dans les débats sur la biodiversité.
Alors qu’en est-il au juste ?
Christian Lévêque, directeur de recherche émérite à l’IRD et spécialiste des écosystèmes aquatiques a donc souhaité nous présenté « sa » vérité sur la biodiversité à grand renfort d’exemples.
Dès son préambule, l’auteur annonce la « couleur » avec cette citation de Pierre Desproges à savoir : « J’essaie de ne pas vivre en contradiction avec les idées que je ne défends pas ». En fait, avec un franc parler à peine voilé, Christian Lévêque nous explique que le débat sur la biodiversité touche toutes les populations non pas réellement parce que toutes sont concernées mais bien plus parce qu’elles n’ont pas d’arguments pour s’y opposer. Ses premiers mots sont vraiment révélateurs. Son préambule commence ainsi : « La biodiversité est à la mode »…
Le mot est lancé, la « mode », l’effet grégaire en somme.
C’est pourquoi tout son ouvrage a été orienté pour nous apporter, à travers de nombreux exemples, matière à réflexion. Une réflexion non pas pour dénigrer la biodiversité, mais pour porter « un regard qui essaie d’appréhender notre rapport à la biodiversité sous un jour positif, devant la lassitude grandissante qui peut surgir du catastrophisme trop souvent affiché dans ce domaine ».
Et, sans ménager son lecteur, Christian Lévêque sait, dès le début, poser les vraies questions. Des questions qui dérangent, mais des questions qui interpellent. Avec un sous-titre presque anodin « les multiples visages de la biodiversité » l’auteur nous plonge dans une véritable interrogation. Il nous amène à réfléchir à la biodiversité sous l’angle « des services de santé publique confrontés aux vecteurs de maladies ». Alors, faut-il défendre cette biodiversité ou la combattre en la modifiant ?
Plus loin, il aborde l’agriculture avec la biodiversité bénéfique (nourrir les hommes) et celle qui dérange (pesticides et effets secondaires).
Enfin, avec le sous-titre suivant il n’hésite pas à désigner le « responsable » : c’est l’Homme. Voilà, nous avons l’accusé. Mais tout n’est pas aussi simple nous dit-il, nous vivons dans un monde interactif et interdépendant.
Aussi, pour bien comprendre, Christian Lévêque nous amène, avec une démarche pédagogique à cerner cette biodiversité dans laquelle nous vivons, puis à dégager les relations homme-biodiversité et enfin il nous invite à entrevoir l’avenir de la biodiversité tout en relatant les « conflits, jeux de rôles et enjeux de pouvoirs autour de la biodiversité ».
Qu’est-ce que la biodiversité au juste ?
Christian Lévêque se réfère à la définition « officielle » reconnue lors de la signature de la Convention signée en 1992 dans le cadre de la conférence sur le développement durable à Rio de Janeiro. Il nous dit que c’est « la variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres systèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes ».
Mais l’auteur reconnaît que c’est « un langage quelque peu ésotérique » c’est pourquoi il nous présente « sa » vérité car, en l’espèce, comme il l’a souligné dès le début de son ouvrage, chacun peut avoir « sa » vérité. Quoiqu’il en soit, en bon scientifique, il laisse au lecteur une latitude de réflexion permettant lui aussi d’avoir « sa » vérité.
Il nous décrit donc la biodiversité « traditionnelle » que chacun connaît mais il aborde aussi ce qu’il appelle « la biodiversité qui dérange ». En effet, nous dit-il « l’homme, espèce animale parmi d’autres, héberge à l’instar des autres mammifères de nombreux parasites et virus ». Et de s’interroger : « personne ne songe à protéger le bacille de la peste, le plasmodium responsable de la malaria, ou le ver solitaire ».
Dès lors, il pose la question de savoir « pour qui, pour quoi protéger la biodiversité » avant de nous rappeler que la biodiversité peut aussi être « diplomatique ». La Convention signée en est le témoin. Une Convention aux effets limités puisque les « Etats ont réfuté le droit d’ingérence et la mise en place d’une structure internationale en matière de protection de la nature ».
Puis, l’auteur tout au long de trois chapitres nous amène à contempler le monde par le prisme des sciences en se permettant, parfois, un petit écart lorsqu’il nous écrit : « Et Dieu créa le monde ». Cette partie, malgré son intérêt indéniable, n’est pas exploitable par les enseignants d’histoire-géographie, elle le serait davantage par nos collègues de SVT.
Il en va de même de la section suivante intitulée « une histoire semée d’embûches ». L’auteur y développe l’évolution avec ses crises et ses extinctions. Nous y trouvons par exemple un sous-chapitre intéressant sur « le réchauffement du climat », un sur « les glaciations et l’effet d’essuie-glace dans l’hémisphère Nord » ou encore sur « les forêts méditerranéennes : les filles du feu ». Mais il est vrai que notre discipline géographique a aussi été l’objet d’attaques répétées. Aujourd’hui, nous n’enseignons plus que les flux, les pôles et les môles. Nous sommes dans l’abstraction complète pour satisfaire le lobby de la mondialisation. Une mondialisation que Christian Lévêque interroge lorsqu’il écrit : « la mondialisation : catastrophe écologique ou chance pour la biodiversité ? »
En effet, relatant le discours actuel des ONG et de beaucoup de scientifiques, l’auteur nous dit que « les espèces introduites mettraient en péril la biodiversité autochtone ». Ce qui le conduit tout naturellement à nous faire réfléchir sur « l’équilibre de la nature, un mythe bien entretenu ». Et, Christian Lévêque conclut cette partie en évoquant l’hypothèse Gaïa selon laquelle la terre serait un vaste écosystème avant de pousser « jusqu’à l’absurde la logique de Gaïa » en nous disant : « la terre [a] la possibilité de réguler les impacts des activités humaines, comme elle a régulé d’autres perturbations. La vie ne [risque] rien, globalement. Elle [peut] très bien se passer de l’homme. C’est d’ailleurs ce que pensent de nombreux scientifiques… ! ».
Les relations homme-biodiversité.
La nature ou le milieu naturel sont des écosystèmes non transformés par l’homme nous dit Christian Lévêque dans la droite ligne du scientifiquement correct. Mais l’homme ne fait-il pas partie de la nature ? S’interroge l’auteur.
Et comme il nous a déjà habitué, l’auteur prend appui sur le religieux lorsqu’il écrit « tu domineras la nature » parce que « l’homme est appelé à exercer sur la nature un pouvoir voulu par Dieu ». Poursuivant, Christian Lévêque multiplie les références, notamment du côté des philosophes avec Descartes qui disait que nous sommes promis à devenir « maîtres et possesseurs de la nature ».
Après ces préliminaires, l’auteur s’attache à décrire les relations que l’homme entretient avec la nature et plus particulièrement la forêt et l’animal.
Il nous rappelle ainsi que « pour des raisons économiques, sociales et écologiques, les forêts occupent une place importante dans l’imaginaire collectif. Il poursuit en évoquant la forêt au cours de l’histoire qui a tantôt été une forêt menaçante ou une forêt refuge. Puis, l’auteur nous dresse un rapide tableau de la symbolique de l’arbre. Enfin, il aborde les bois sacrés qui sont des espaces réservés, protégés et occupés par un dieu. Alors, « la forêt : menace ou refuge ? ».
Dans le même esprit, Christian Lévêque traitant de l’animal dans notre imaginaire, nous dit que « fort heureusement, nous ne vivons pas dans un monde complètement rationnel au sens où l’entendent les scientifiques. Les mythes et les religions donnent aussi une signification et une cohérence au monde ». Puis, l’auteur consacre un long développement à l’animal en général passant du culte des animaux aux totems et tabous pour arriver aux monstres de tout genre avant de s’interroger si l’animal a une âme ou s’il pense. Enfin il conclut en évoquant « les limites floues de l’animalité ». L’homme est-il animal ? Ce qui permet à l’auteur de poser une question : « l’homme, [serait-il] une espèce qui a réussi ? »
Prenant appui sur cette question, Christian Lévêque passe en revue tout ce qui fait la particularité de l’espèce humaine. Rien ne manque, ni l’économie qui entretient des conflits d’intérêts avec la biodiversité, ni la croissance et ses limites, ni les mirages de l’économie de marché ni même la démographie qui est accusée de tous les maux.
Mais de toute évidence, c’est bien l’homme qui serait le grand responsable de tous les désordres comme le souligne ce sous-titre : « Accusés, levez-vous ! Sommes-nous entrés dans une nouvelle période d’extinction de masse ? ». Il est responsable pour avoir trop cherché à « apprivoiser et manipuler le vivant » nous dit Christian Lévêque. Une manipulation qui a débuté avec la domestication et les débuts de l’agriculture mais aussi avec les flux des hommes et des produits. Et un apprivoisement qui a conduit, peu ou prou l’homme à faire « main basse sur la biodiversité ».
Et comme pour s’excuser de tant d’attaques contre l’homme prédateur, Christian Lévêque place un chapitre entier sur « la biodiversité qui dérange ». Là non plus il n’oublie rien au risque de « fâcher ». Il passe en revue les ours, les loups, les lynx mais aussi les nuisibles en général sans oublier les causes de nos maladies infectieuses ni même les allergies ou le rhume des foins avant de lancer un grand cri d’alarme avec ce sous-titre : « Attention danger : les armes biologiques ». Tout est dit. C’est pourquoi l’auteur, prenant un peu de hauteur, conclut ce deuxième volet en prenant le contre pied avec de chapitre : « l’homme créateur de biodiversité ».
Quel avenir pour la biodiversité ?
Avec ce titre de chapitre, Christian Lévêque dévoile son troisième volet de sa démarche. Dans la mesure où l’homme est le principal acteur de l’atteinte à la biodiversité, l’auteur entre dans le vif du sujet en posant la question : « quelle nature avons-nous et quelles natures voulons-nous ? ».
Puis, au fil des pages il égrène « les scénarii pour réfléchir ». Et sous un titre un peu provocateur, « Safari dans les villes », l’auteur nous dit que la biodiversité serait à la conquête des espaces urbains et pas seulement dans les parcs et jardins où d’après lui, la nature reprend ses droits ! Il y aurait même des abeilles en villes… à Paris. Des abeilles qui produisent un miel plus riche en arômes que celui des campagnes où règne souvent la monoculture, en tout cas, un miel qui est récompensé lors des concours agricoles !
Mais d’ici à poser « des barbelés dans la sierra » comme l’annonce un sous-titre, il y a un grand pas. Et pourtant que dire de tous les espaces protégés dans lesquels la nature a été mise sous cloche ? Une nature interdite à l’homme et où les seuls éléments de perturbation sont les phénomènes naturels.
Il est clair, d’après l’auteur que l’homme a un rôle essentiel à jouer pour l’avenir de la biodiversité, quel que soit cet avenir. Et c’est justement ce rôle qui amène inéluctablement des « conflits, [des] jeux de rôles et [des] enjeux de pouvoir autour de la biodiversité ».
C’est ainsi que Christian Lévêque achève sa démonstration en évoquant les ONG internationales qu’il qualifie de « syndicat de la nature ». Il y souligne également le poids des idéologies et la biodiversité devenue « affaire d’état ». Il s’arrête enfin sur le ballet diplomatique fait autour de la biodiversité avant de signaler que le monde médical à peine à suivre (comme nous l’avons déjà vu plus haut). Enfin, l’auteur indique que l’affirmation de la préservation de la biodiversité ne saurait ignorer les revendications identitaires liées à la diversité culturelle et aux savoirs traditionnels. Autant dire que les inconnues sont nombreuses dans l’équation !
Et ce n’est que dans une courte conclusion que Christian Lévêque évoque réellement « le développement durable comme toile de fond ».
En conclusion de ce livre fort intéressant, je pourrais dire qu’il est un apport précieux. Sans aucun doute, l’auteur, comme l’annonce le résumé, tord le cou à certaines idées reçues. Mais au-delà, Christian Lévêque présente une étude intéressante bien menée. Son utilisation par nos collègues dans l’enseignement secondaire se trouve néanmoins limitée d’une part parce que nos « amis » les professeurs d’SVT nous ont dépouillés ensuite, pour ce qui nous reste, la présente étude est trop pointue. Il n’en demeure pas moins que le professeur d’histoire-géographie saura apprécier cette mine de renseignement dont il pourra glisser des apports novateurs au détour d’un cours en renvoyant au besoin ses élèves vers les SVT pour de plus amples développements.
Le seul reproche que l’on pourrait faire à cet ouvrage, c’est son titre. En effet, Ni l’intitulé des chapitres, ni les longs et intéressants développements ne correspondent au titre du livre. « La biodiversité au quotidien »… oui mais celle présentée dépasse largement et heureusement le quotidien. Quant au « développement durable à l’épreuve des faits »… il n’en est guère question ou si peu. Un tel titre annonce une étude qui prendrait le pari d’expliquer en quoi la biodiversité est une donnée essentielle du développement durable ou, en quoi l’absence de développement durable a nuit à la biodiversité.
Or, le livre n’évoque à aucun moment l’une ou l’autre de ces problématiques. Ce n’est pas dommage car l’auteur nous a produit un « bon livre ». On pourra peut-être seulement regretté que l’effet « vente » permette à des éditeurs de produire des incohérences que nous ne permettrions jamais à nos élèves…
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