Il s’agit d’extraits du colloque qui s’est tenu à Besançon à l’automne 2007, sous la direction de Michèle Virol, grande spécialiste de Vauban et de Thierry Martin professeur dont les travaux portent sur l’histoire et la philosophie des mathématiques sociales.
L’ouvrage est structuré en deux parties : rationalité de l’action technique et politique et architecture, et espace, réalisations et représentations. Un des aspects intéressants de l’ensemble est d’avoir sorti Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban de son cadre franco français. Un cahier central de documents vient appuyer les différentes communications. D’utiles résumés de chaque article permettent d’aller à l’essentiel.

La modernité de Vauban ?

L’ouvrage privilégie un angle à savoir s’interroger si Vauban est un architecte de la modernité. Cela implique de définir exactement ce que l’on entend par modernité. Le terme employé seulement au XIX ème renvoie à cette orientation de la pensée qui prône dès le XVII ème le recours à la raison comme « norme de toute connaissance démontrée. Elle ne se définit pas par l’émergence de la rationalité mais par cette configuration culturelle dans laquelle la raison scientifique et la rationalité technique jouent un rôle de plus en plus prépondérant ».
Vauban souhaite donc améliorer le fonctionnement du royaume et ce à tous les niveaux, d’où l’aspect très foisonnant de ses travaux. On comprend mieux ainsi par exemple sa célèbre étude sur le nombre de truies nécessaires pour répondre à l’alimentation des Français ou encore sa comparaison sur le budget de deux familles.

Rationalité de l’action technique et politique

Dans l’introduction, il est rappelé qu’à l’époque de Louis XIV, une des tendances est la rationalisation à tous les niveaux. Il faut comprendre l’action de Vauban dans un cadre plus large qui est donc celui de la construction de l’Etat moderne, processus entamé dès le XVI ème siècle.
Il est intéressant de noter que les travaux de l’anglais William Petty sont à rapprocher avec ceux de Vauban : ils partagent le même souci d’une autre approche de la fiscalité. Dans son article, André Ferrer revient sur cette même question de la fiscalité royale et établit un portrait mesuré de Vauban. On a beaucoup parlé de ses travaux sur la dîme royale proposée en 1707. Vauban s’y affirme à la fois un bon analyste de la situation, mais aussi quelqu’un qui propose un système plus juste. Néanmoins son projet fut fraîchement accueilli. Il n’est pourtant pas le précurseur des Lumières ou de réformes du XIX ème. La hardiesse de ses projets n’a pas besoin de ces comparaisons pour apparaître. Il suffit d’en rappeler trois principes : l’Etat doit protéger les sujets, ceux-ci doivent lui en donner les moyens et tous doivent contribuer sans exception, tout privilège est déclaré injuste et abusif.
Dans la deuxième partie Christian Corvisier et Isabelle Warmoes reviennent sur la classification en trois systèmes des fortifications de Vauban pour montrer que Vauban était avant tout un pragmatique. « Pragmatisme et adaptation plutôt que théorie et système » comme concluent les deux auteurs.

Vauban l’international

L’ouvrage propose un autre angle particulièrement intéressant en replaçant Vauban dans un cadre plus large. Cette ouverture européenne, et même internationale, permet de mieux cerner Vauban en son temps et sans jamais affaiblir la force de sa pensée. Une communication de Philippe Bragard propose ainsi de s’intéresser aux autres ingénieurs de la même époque, permettant de resituer Vauban. On découvre alors d’autres figures, comme Georg Rimpler pour l’espace germanique, même si sa carrière fut courte. Si l’on quitte le strict cadre des contemporains, on découvre aussi que Vauban a influencé l’urbanisme colonial : c’est là un aspect nouveau peu traité jusqu’alors. Evoquer la postérité intellectuelle d’un personnage est toujours exercice délicat. Soulignons que l’Unesco a retenu 12 sites de fortification militaire ayant pour point commun la valorisation du rationalisme européen appliqué aux Amériques. C’est à ce titre qu’est évoqué en détails un exemple à savoir celui de la forteresse de San Juan de Ulua au Mexique.

Guillaume Monsaingeon, auteur par ailleurs d’un très beau livre sur la correspondance de Vauban, s’interroge pour savoir si celui-ci n’aurait pas raté la révolution cartographique. Cette communication résume assez bien comment dans l’itinéraire d’un homme, d’un grand homme, il faut faire la part du nouveau et avoir conscience de la marque de son temps : il ne sert à rien d’en faire un novateur en tout. Ainsi Vauban réemploie la tour médiévale dans de nombreuses constructions. Il suffit de reconnaître à la fois ce qu’il a créé, sans nier qu’il fut aussi l’homme du XVII ème siècle avant d’être celui du nôtre à travers aujourd’hui la reconnaissance internationale délivrée par l’Unesco.

Finalement, cet ouvrage issu d’un colloque traite certes d’une thématique très ciblée, mais en choisissant l’angle de la modernité, il permet de découvrir, de contextualiser Sébastien Leprestre en son temps. Il intéressera les spécialistes de la question, mais peut s’avérer aussi agréable à parcourir pour ceux qui veulent aller plus loin que la simple célébration.