Si les études consacrées aux opérations de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe sont nombreuses, il faut bien reconnaître que la plupart d’entre elles sont centrées sur les combats opposant Soviétiques et Allemands. La prise de Berlin par les Soviétiques fait oublier le rôle joué par les alliés occidentaux dans cette partie de la guerre. Des Alliés dont les forces ne se résument pas au seul duo américano-britannique, puisqu’elles comprennent aussi une armée canadienne et de la 1ere armée française. C’est donc un manque majeur que vient combler l’ouvrage de D Feldmann et C Mas. Mais qu’on ne s’y trompe pas, on n’a pas ici un récit d’histoire bataille destiné à décrire une succession d’opérations par l’accumulation de détails. Les auteurs, s’ils privilégient une approche chronologique, s’attachent à présenter les enjeux et les problématiques propres à chacune, notamment pour ceux qui est de la question du commandement chez les alliés.
L’état des forces en présence fin 1944
La première partie de l’ouvrage dresse un état de la situation en Europe occidentale à la fin de la bataille des Ardennes. Après avoir présenté l’état des relations entre alliés, notamment le déséquilibre de la relation américano-britannique et les espoirs gaullien d’un rétablissement du rang de la France par une participation active de son armée, les auteurs passent en revue les troupes. Mais plus qu’une simple énumération des effectifs, c’est à une intéressante étude des doctrines de commandement et forces respectives des matériels et de l’état logistique de chacun des alliés que se livrent les auteurs. La comparaison des seuls effectifs est trompeuse, en effet les armées alliées ont beaucoup d’hommes dans les unités de soutien et connaissent en réalité une crise des effectifs en fantassins de première ligne. Celle-ci est particulièrement forte chez les Britanniques et explique leurs choix doctrinaux. Alors que du côté allemand, les services se sont effondrés et tout le monde est envoyé sur le front.
La marche vers le Rhin.
L’échec de l’offensive des Ardennes ne décourage pas les Allemands qui lancent une offensive en Alsace au soir du 31 décembre. Celle-ci mobilise des moyens qui ne sont pas à la hauteur des ambitions et si l’attaque échoue à percer le front, elle provoque une crise entre des Américains prêts à lâcher un peu de terrain pour préserver leurs forces et des Français qui refusent l’abandon de Strasbourg que cela impliquerait. Mais il s’agit là de la dernière attaque allemande à l’ouest du Rhin, désormais l’initiative est totalement alliée.
Ceux-ci vont alors entreprendre une conquête méthodique de la rive ouest par une série d’opérations. Cela commence par la réduction de la poche de Colmar effectuée par une 1er armée française qui s’y épuise et a bien besoin des renforts et du soutien américain pour y parvenir. La résistance allemande, le terrain comme les conditions climatiques sont des obstacles durs à surmonter pour des troupes qui manquent d’expérience en raison de l’incorporation de nombreux FFI dans leurs rangs.
Plus au nord, le terrain et la ligne Siegfried constituent un frein à une avance rapide des alliés. Entre Américains et Britanniques des divergences se font jour sur les plans à adopter, autant sur les objectifs qu’en raison de question de personnes. Un accord est trouvé sur une offensive double, d’abord l’opération Véritable (menée par les Anglo-Canadiens) et dans un second temps, l’opération Grenade (menée par les Américains). Opérations qui sont paradoxalement favorisée par la volonté d’Hitler de tenir sur place et la perte des réserves allemandes, gaspillées dans l’offensive des Ardennes. Grâce à la supériorité alliée dans le domaine du renseignement, Véritable peut faire l’objet d’une planification précise. En raison de la nature du terrain (forêt, zones inondées) et de la nécessité d’économiser les hommes, Véritable mobilise d’énormes moyens en matériels pour surmonter la résistance allemande. Grenade fait l’objet d’une planification moins précise en raison des délais, mais mobilise également de nombreuses forces américaines et bénéficie du fait que les réserves allemandes ont été envoyées face aux Anglo-Canadiens. En un peu moins d’un mois, les forces allemandes sont repoussées au-delà du Rhin et ne disposent plus de réserves. La prise du pont de Remagen, vient couronner les succès alliés et ouvre des perspectives pour la suite de la campagne
Le passage du Rhin et les offensives au cœur du Reich.
Pour franchir le Rhin sans encombre, les Anglais planifient une opération massive qui combine franchissement d’assaut du fleuve et largage de troupes aéroportées. L’opération démontre la capacité des alliés à coordonner les différentes armes (parachutistes, génie, aviation…). 200 km plus au sud, les forces de Patton franchissent également l’obstacle sans difficulté et avec moins de matériels. La faible résistance allemande ne peut que craquer face à de tels moyens.
Le Rhin franchit, les Américains vont fermer et réduire la poche de la Ruhr faisant près de 300 000 prisonniers. Les Anglo-Canadiens, déçus de ne pas voir lancer une offensive sur Berlin, se voient confier la mission d’isoler les Pays-Bas (pour les Canadiens) et d’atteindre la Baltique (pour les Britanniques). Mission qu’ils accomplissent avec méthode tout en préservant leurs hommes. De leur côté, Américains et Français avancent dans le sud de l’Allemagne vers les Alpes et l’Elbe. Les forces allemandes sont incapables d’opposer autre chose que des résistances locales décousues et sont vites débordées ou capturées par les Alliés.
En conclusion
Les deux auteurs nous livrent ici un ouvrage d’une grande clarté sur la fin de la Seconde Guerre mondiale à l’ouest. La lisibilité des cartes fournies permet d’avoir une vision d’ensemble des opérations présentées. Ils replacent celles-ci dans leur contexte géopolitique et ne se contentent pas de simple description. Ils discutent de la pertinence des choix opérationnels effectués par une mise en perspective de ceux-ci en relation avec les doctrines nationales et les compétences et personnalités des officiers chargés de les planifier ou de les mettre en œuvre.
Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau