Cinq ans après la mise en place des nouveaux cycles, le cycle 3 demeure un casse-tête de par sa nature même, à cheval entre deux mondes de culture et d’organisation différentes. Si la liaison CM-6ème est pensée par endroits, celle-ci est davantage le fait de l’intégration des élèves arrivants que d’harmonisation ou de continuité des contenus disciplinaires et des pratiques pédagogiques.
Une seule année sur les trois pour le secondaire (6ème) contre deux pour le primaire (CM1-CM2) et pourtant une direction de deux inspecteurs (Jérôme Damblant et Emmanuel Liandier) et trois auteurs sur les quatre de rattachement et de parcours second degré (Cécile Rancy, Éric Froment, Anne-Sophie Palfray), Marie-Claire Colnée exerçant dans le primaire. C’est autour de cette équipe de l’académie d’Amiens que s’organise cet ouvrage sur ce qui reste une réalité : le programme de géographie de cycle 3 a sa cohérence, il est centré sur « l’habiter ».
De bonnes réflexions et quelques principes forts en jalonnent les pages, notamment dans les éléments de cadrage introductifs.
Il apparait, par exemple, tout à fait raisonnable et salutaire d’assumer le fait de vouloir ne traiter qu’une partie des compétences possibles tant celles-ci sont nombreuses et parfois répétitives. Huit capacités nourrissant le socle sont présentées (page 27) par binômes : 1-lire une carte/se repérer dans l’espace, 2-mener une recherche Internet/formuler, vérifier, justifier ses hypothèses, 3-décrire un paysage/réaliser un croquis de paysage, 4-travailler en groupe/s’exprimer à l’oral. Si les six premières servent effectivement la cause de la discipline, on pourra être plus interrogatif sur les deux dernières qui restent non spécifiques à la géographie (à moins de creuser, comme évoqué page 106, la voie d’une spécialisation des membres du groupe et de faire apparaître, par exemple, un « cartographe » qui ne serait pas le « rédacteur » ou l’« orateur »).
On appréciera ensuite de lire qu’il est possible de lire les démarches des séquences soit autour d’une approche par compétences justement mais aussi autour d’une approche par thème. Plus encore : qu’à protocole équivalent, la thématique fait la différence. Et comme évoqué page 33, il y a davantage de chances « qu’une étude de cas sur le Nutella (proposé en séquence 4: « satisfaire les besoins alimentaires ») remportera un plus vif succès qu’une étude de cas sur les crevettes ».
Les enseignants seront certainement rassurés également qu’on leur propose un lexique limité (pages 41-42) ; qu’on leur dise ou qu’on leur rappelle qu’ils ont toute liberté pour traiter les thèmes de l’année dans un ordre qui n’est pas forcément celui suggéré par le programme (page 34) ; qu’on leur suggère des idées d’affichages, notamment en faisant usage de planisphères différemment centrés (page 34) mais également qu’on s’attèle à la différenciation. Sur ce point, il est très important de lire, page 92, que cette différenciation ne se limite pas à la pédagogie générale mais pénètre bien la didactique de la discipline, à l’image de la formulation d’hypothèses qui est fatalement dépendante du milieu et des connaissances et représentations initiales des uns et des autres.
L’ensemble des documents reste classique et dans le détail des séquences, on trouve ça et là quelques bonnes illustrations (par exemple pages 84-85 : la représentation de la structure de l’espace urbain en schéma mais surtout en photographie, ce qui autorise à faire le parallèle de manière claire et immédiate), des liens vers des sites très parlants (par exemple Planetoscope sur les statistiques ou FlightRadar24 sur les vols en temps réel), des contributions aux parcours (PEAC, santé…).
Au rang des regrets, on pourra souligner quelques maladresses (page 33, « en sixième, le terrain de jeu de l’élève devient le monde » : le monde est déjà présent bien avant, c’est inévitable), un optimisme un peu élevé parfois (la typologie attendue page 194 sur les espaces de faibles densité à vocation agricole semble très complexe pour des 6ème), des passages qui ne prennent pas en charge pleinement la dimension spatiale des phénomènes (cas de la séquence sur Internet qui pourtant offre une accroche originale au travers du projet musical Playing for change), le sommaire des annexes numériques qui n’est pas paginé.
La préface de Jacques Lévy et Olivier Lazzarrotti m’apparaît également maladroite, du moins dans sa première partie, où les enseignants sont identifiés comme « compétents », n’étant pas des « chercheurs de seconde zone » car s’ils avaient voulu entrer dans l’autre zone (la « première » donc ?), ils auraient pu être déçus « du conformisme et des petites querelles du monde universitaire » : des formules mélangeant flatterie et fatalisme sur les places de chacun…La seconde partie rattrape ce passage, concluant qu’il ne convient pas « d’apprendre pour ensuite penser » mais bien « d’apprendre en pensant ». Et il est indéniable que l’espace s’y prête bien.
Au rang de notre communauté de Clionautes, on soulignera la présence dans une des bibliographies (séquence 6: « un habitant connecté au monde ») de Bénédicte Tratnjek qui, elle aussi, a œuvré sur le Nutella tout comme d’autres d’ailleurs.