Si la culture géographique des autorités catholiques est ancienne, depuis le Moyen Age, le XIX a donné l’occasion d’une production cartographique abondante bien que méconnue. L’introduction situe le cadre chronologique et spatial de l’étude.
La carte au service de la mobilisation pour les missions
Cette première partie est consacrée, dans un premier temps, à l’étude des modalités de diffusion des cartes.
La carte est d’abord une illustration des lettres missionnaires publiées dans diverses revues à destination des lecteurs français, parfois en concurrence avec les revues de géographies. Elle permet de localiser les missions relatées, en quelque sorte elle atteste de l’étendue des missions. Elle est là pour donner à voir aux lecteurs une réalité si éloignée et l’invite ainsi à s’approprier l’œuvre missionnaire.
La publication a pour vocation de drainer des fonds, les dons sont dans 75% des cas affectés à une mission précise qui vient d’être décrite dans la revue: longues lettres illustrées de cartes dont J-M Vasquez montre bien l’efficacité.
C’est ensuite la présentation du corpus retenu, de très nombreuses cartes d’Afrique mais aussi quelques planisphères… qui sont disponibles sur un CD-Rom annexé à l’ouvrage et constitue un fonds très intéressant, exploitable en cours.
L’Afrique a été choisit parce qu’elle tient une grande place dans l’œuvre missionnaire de cette période, mais aussi dans d’autres revues de géographie.
La méthodologie d’étude est rapidement évoquée et débouche sur une typologie de cartes: carte-territoire, carte-itinéraire, cartes thématiques (ethnies)
Les auteurs sont soit des missionnaires-explorateurs qui les réalisent de retour de voyage, dressent leur itinéraire soit des missionnaires-bibliothécaires, qui au siège de la congrégation et à partir des matériaux précédents vont faire un état de la mission, dans un souci de compilation.
D’autres données définissent le corpus: congrégations concernées, dimension de la carte, échelle, graveurs et imprimeurs.
Les cartes et l’apostolat missionnaire de terrain
Les congrégations portent une grande attention à la cartographie et forment les missionnaires avant leur départ. Cette réflexion amène l’auteur à rappeler la place de la carte à l’école à cette époque. Il constate aussi que la carte missionnaire s’éloigne progressivement des cartes des géographes, elle ne suit pas l’évolution et reste majoritairement uniquement descriptive.
Le missionnaire-cartographe part de l’espace vécu, un espace nouveau où il doit construire ses propres repères: la croix, la station qui peut être une maison très modeste; il nomme les lieux en associant souvent un nom local à un mot chrétien. L’espace proche, la station fait rarement l’objet d’un croquis, ce qui motive c’est la description de l’itinéraire qui s’éloigne progressivement de la côte et donc des autres colons. C’est l’occasion de dresser la carte des espaces parcourus avec la côte comme repère et le chemin qui relie le missionnaire à la « civilisation ». L’analyse des textes associés aux cartes montre ce que les cartes taisent et en particulier les concurrences avec une autre nation : Anglais, Portugais ou avec les missions protestantes.
Cartes et textes permettent de comprendre les logiques de l’œuvre d’évangélisation dans la seconde moitié du XIXème voyage apostolique ou d’exploration notamment au Congo. Les conditions de vie et de déplacement sont décrites et illustrées de quelques photographies.
Une fois implantée la carte de synthèse recense les progrès et les obstacles, les moyens engagés, ce sont des rapports envoyés à Rome et au siège de la congrégation pour obtenir un soutien, former les futurs missionnaires, planifier l’évangélisation à partir d’un point central comme dans l’extrait coté (p174-175). Au début du XXème on cartographie aussi les catéchistes ce qui montre l’intérêt de cette pratique pour le contrôle des populations, devenant même un enjeu au Cameroun au lendemain de la Grande Guerre.
Que voit-on sur ces cartes: le paysage décrit dans les textes est peu présent dans les représentations cartographiques. La principale donnée, parce qu’elle est essentielle pour les déplacements, est le réseau hydrographique alors que le relief est mal reproduit. La mention « zone inexplorée » est fréquente, les données sur les royaumes indigènes sont absentes alors que les limites administratives du colonisateur apparaissent au fur et à mesure de leur extension ainsi que la mise en place progressive d’une hiérarchie ecclésiastique. Les ethnies sont citées et quelques exemples attestent d’un début d’intérêt pour une observation de leur culture, comme sur les cartes réalisées par le RP Le Roy.
La toponymie est plutôt une ethnonymie puisque les noms de lieux sont généralement en rapport avec la population.
Les cartes au service de l’action des instituts
Dans cette troisième partie, il est question de s’interroger sur les raisons qui conduit à cette œuvre cartographique.
Elles sont un outil dans les concurrences entre congrégation et face à Rome. Cela confère à l’archiviste-bibliothécaire un rôle central comme gardien des diverses cartes et comme auteur des cartes-territoire utiles dans les discussions avec Rome pour l’attribution des zones à évangéliser. Le territoire du Congo entre 1878 et 1888 est un bon exemple des rivalités missionnaires dans une zone où les puissances coloniales sont, elles aussi, en concurrence.
L’auteur montre comment les cartes ont conduit à une véritable appropriation du territoire en dépit de l’opposition de Rome comme dans l’exemple du Gabon.
Un chapitre consacré aux missions protestantes qui ont aussi réalisé des cartes, mais une représentation différente, plus ponctuelle. La comparaison avec les cartes catholiques met en évidence des attitudes et des pratiques différentes.
Rome, les missions et l’appropriation catholique du monde
L’auteur élargit son propos avec l’analyse des atlas par l’autorité pontificale qui montre l’ampleur de l’action missionnaire, même si l’Afrique est à l’époque terre de mission avec une véritable planification, avec partage entre les grandes organisations missionnaires.
Au-delà de la carte, Rome imprime sa vision du monde sur d’autres représentations: globes, planisphères… avec un moment important, l’exposition vaticane de 1926 où les cartes sont omniprésentes.
La postérité des cartes missionnaires
En marge des buts de l’Église, l’auteur s’interroge sur la place de cette masse de documents.
Quelle reconnaissance scientifique?
Une diffusion limitée dans les revues scientifiques, les cartes missionnaires sont en fait peu connues en France, contrairement à leurs homologues allemandes et malgré une revendication d’œuvre de science dans les années 1900 et leur succès lors de l’exposition coloniale de 1931
Quelle utilisation par les autorités coloniales?
Deux exemples permettent de se faire une opinion: les rapports entre Brazza et les Spiritains au Congo et entre l’armée et les Jésuites à Madagascar.
Quel devenir après la disparition des missions?
Le caractère éphémère des cartes-itinéraire peut expliquer leur rapide oubli. Peu utilisées et reconnues par le pouvoir colonial qui voit l’Afrique comme une terre vierge et sans usage pour les populations locales, elles ont été très vite oubliées.
Outre la bibliographie et la liste des cartes, l’ouvrage comporte en annexe la biographie de quelques missionnaires cartographes et rappelons-le un CD-Rom des cartes étudiées.
Jean-Michel Vasquez a choisi d’interpréter la cartographie missionnaire avec une logique différente de celle utilisée pour la cartographie scientifique. Sa thèse a mis en lumière une source, les cartes missionnaires, de constituer un corpus, de comprendre les motifs et les conditions de leur réalisation et de montrer qu’elles visent une appropriation du monde malgré leur échec relatif.
© Clionautes
Vraiment bien compris votre publication et cela nous a apporté trop des connaissances concernant les missions