Yves Guermond, La Chine, Belin, Coll Memento, 2007, 175 pages.

Compte-rendu de Jean Philippe Raud Dugal, professeur au Lycée Edmond Perrier à Tulle

La Chine inquiète nos contemporains : taux de croissance exceptionnel, concurrence déloyale, effrénée… Yves Guermond, Professeur émérite à l’Université de Rouen, propose, dans cette collection qui impose à l’auteur d’être succinct, une étude qui veut faire face aux diverses représentations sur la Chine tout en axant son étude sur une approche géographique clairement revendiquée. Cette publication intervient à la suite de très nombreuses et récentes parutions concernant l’espace chinois : Géopolitique de l’Asie, La Chine à l’horizon 2020, Le dictionnaire de la Chine contemporaine,…

Tout au long de l’ouvrage, Yves Guermond choisit de trouver dans les racines du passé des explications ou, tout du moins, des clarifications, sur la puissance chinoise ou ses faiblesses. L’ensemble de ses chapitres commencent par cette expertise.
La première partie « L’immensité et le resserrement » en offre, de ce point de vue, une parfaite illustration. Un rapide rappel historique, entre taoïsme et confucianisme, permet au lecteur de saisir l’essence de l’identité chinoise. La Chine actuelle est ainsi décrite par le poids du nombre, la nécessité impérative de nourrir plus de 1,3 milliard de personnes, la littoralisation des activités, au niveau aujourd’hui de la Corée du Sud, les dynamiques urbaines qui sont les marques de la division de l’espace de cet état-continent. Les principaux caractères de cette économie socialiste de marché autoritaire sont présentés. Yves Guermond rappelle ainsi que la frontière entre développement et sous-développement passe par l’intérieur du pays. Ces contrastes se retrouvent dans la partie consacrée aux reliefs et aux climats.

Le seconde partie, « Les grandes régions », complète cette première approche. Elle donne du grain à moudre en multipliant les exemples qui illustrent les grands traits de l’espace chinois traités précédemment. La division régionale peut surprendre. Les disparités régionales sont, depuis quelques années, présentées sous la forme d’une division de l’espace chinois en trois bandes : espace littoral, provinces intégrées et provinces en marge de l’intégration mondiale. L’auteur a choisi le découpage de l’espace en sept grandes régions. A la lecture de l’ensemble la cohérence de ce choix apparaît clairement même si l’accumulation des noms de lieux pour quelqu’un qui n’est pas habitué à l’étude de la Chine pourrait gêner la lecture. Les régions sont, là aussi, décrites dans leur environnement naturel et historique. Des études de cas, sur Beijing, capitale dont la morphologie est adaptée au trafic automobile en atteste ses (bientôt) six périphériques, Shanghai, à travers la croissance de Pudong où Gabriel Weissberg a, il y a quelques années, parfaitement illustré les forces et les faiblesses dans un article dans la revue Mappemonde, le barrage des Trois Gorges, Hong Kong et le delta de la rivière des Perles, chers à Thierry Sanjuan qui y a consacré sa thèse (publiée en 1997 chez l’Harmattan)…, et des correspondances entre les régions sont proposées. De même, au fil de la lecture, les principales forces et faiblesses du pays sont envisagées, de l’extrême dynamisme des littoraux, des richesses du sous-sol des provinces périphériques, aux atteintes à l’environnement qui rend nécessaire une approche renouvelée du développement durable, au problème des minorités (les musulmans les tibétains) et aux conflits frontaliers. On conseillera, pour ce dernier point, une excellente carte proposée par l’auteur sur les revendications et les conflits frontaliers en mer de Chine méridionale (p.101) qui fait mention de l’incertitude géopolitique de cette région, surtout depuis la découverte de champs pétroliers aux îles Spratley.

Enfin, la troisième partie, « Les enjeux », fait état des principales questions que les géographes se posent sur la puissance chinoise. Les facteurs exogènes et endogènes de la déstabilisation de sa puissance sont abordés. La question de Taiwan est de ce point de vue caractéristique. Les relents nationalistes n’empêchent pas aujourd’hui un processus de normalisation des relations entre l’île et le continent à tel point qu’Yves Guermond rappelle que le trafic aérien entre Hong Kong (tête de pont « historique » du capitalisme taiwanais en Chine) et Taipei est le plus important entre deux villes au niveau mondial.
Les sources des tensions internes sont ensuite abordées. La limitation de l’expression démocratique, dont le point d’orgue fut la répression brutale des étudiants en 1989 dans un contexte d’ouverture économique initié par Deng Xiaoping dès 1978, ou plus récemment par celle du falulong considéré comme une menace par le pouvoir, est caractérisée par les camps de travaux forcés mais aussi par l’omniprésence du parti communiste chinois à tous les échelons administratifs (on remarquera le tableau des institutions politiques p.145 qui est, à cet égard, très explicite.). De même, les fortes inégalités socio-spatiales sont aussi la marque d’une déstabilisation du pays avec des problèmes sanitaires et éducatifs, souvent associés à un chômage de masse dans certaines provinces. Le récent discours du premier ministre chinois tient compte de cette réalité en faisant de ces problèmes une priorité nationale avec les problèmes environnementaux. Justement, l’ouvrage aborde aussi la multiplicité des atteintes à l’environnement en rappelant les principaux enjeux qui lui sont liés.
Enfin, l’analyse se termine par l’entrée de la Chine dans la mondialisation. Ce qui retient ici l’attention, à côté des rappels de l’adhésion en 2001 de la Chine à l’OMC, des problèmes liés à l’approvisionnement énergétique, de l’interpénétration avec les économies avant tout occidentales, c’est le rappel de la tradition d’ouverture de la Chine à travers l’histoire, dont les voyages de Zheng He sont les symboles, avant le repli nationaliste à la fin du XIXème siècle.

La lecture de cet ouvrage est aisée et agréable. De très nombreuses notions y sont abordées. En effet, les mentions à la tête du dragon (Shangai), aux traités inégaux (concernant les concessions des terres comme Hong Kong et Macao à la fin du XIXème siècle), au taoïsme… sont offertes au lecteur même si le format de la collection impose à l’auteur, là aussi, des présentations trop succinctes. Elles nécessiteraient des mises au point plus approfondies que peut offrir le Dictionnaire de la Chine contemporaine dirigé par Thierry Sanjuan (voir le compte-rendu de l’ouvrage sur le site des Clionautes).
Les cartes sont très intéressantes et illustrent parfaitement l’état du dynamisme actuel de la Chine d’aujourd’hui. Par exemple, la carte des entreprises étrangères en Chine (p.35) ou celle sur le trafic aérien international à partir de Hong Kong (p.161) indiquent respectivement les dynamiques littorales de l’économie chinoise d’une part et le choix d’un développement associé aux principaux pays de l’OCDE.
De plus, chaque partie est ponctuée par une mise au point bibliographique complétée par des liens Internet. Enfin, des sujets possibles invitent les futurs lecteurs à des développements ou des axes de réflexions ultérieurs.
Ainsi, cet ouvrage est principalement destiné aux étudiants en CPGE ou en premier cycle universitaire. Les enseignants du secondaire, au collège comme au lycée, auront tout intérêt à commencer une mise au point sur la Chine contemporaine en le parcourant. En somme, l’ouvrage de Yves Guermond est une porte d’entrée utile pour mieux appréhender l’espace chinois et pour combattre les représentations trop hâtives sur ce pays dont l’avenir est encore sujet à caution. Cet objectif, clairement énoncé au début de l’ouvrage, est atteint.

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