Le foncier agricole dans une société urbaine est un ouvrage collectif qui s’inscrit dans le renouveau des études rurales en géographie. Dirigé par Coline Perrin, qui signe ou cosigne 3 chapitres, et Brigitte Nougarèdes, les textes reprennent des travaux menés dans le cadre du Projet Jasminn, de 2015 à 2019, qui se concentrait sur le foncier agricole en zone périurbaine.

Le défi de ces recherches est d’allier quatre notions souvent opposées ou du moins peu associées : le foncier agricole ; l’urbanisation ; la justice socio-spatiale ; l’innovation. Ainsi, plutôt que de montrer deux mondes (rural et urbain) qui ne se parlent pas, ce livre s’intéresse au contraire aux différentes interactions qui se développent et se multiplient entre eux, avec plus ou moins de succès. Les différentes situations décrites détaillent bien le cheminement pris par les acteurs (et par les chercheurs) afin d’indiquer certaines bonnes pratiques ou au contraire des écueils à éviter à tout prix.

Le foncier agricole : une boite à outils méthodologique pour les acteurs publics, privés et associatifs

C’est d’ailleurs sur ces deux objectifs réussis que se construit Le foncier agricole : être une boite à outils méthodologique pour aider les chercheurs à analyser ces terrains spécifiques et peu étudiés jusqu’à présent ; être une aide pour les acteurs publics, privés et associatifs qui voudraient protéger le foncier agricole avec des outils et des stratégies innovantes.

Cet ouvrage réussit ses objectifs en raison de sa clarté et de sa bonne qualité générale. Les parties méthodologiques, au début de la majorité des articles, seront davantage utiles pour les chercheurs alors que les parties suivantes concerneront plutôt les acteurs. Les riches et nombreuses illustrations et tableaux aident aussi à la bonne compréhension générale.

Ce livre comprend 11 chapitre et une postface d’Eric Charmes, qui revient avec pertinence sur les différents chapitres.

Comment les relations conflictuelles entre les mondes agricole et urbain s’organisent-elles et autour de quels acteurs ?

Le premier chapitre, écrit par Coline Perrin a pour ambition de poser des bases méthodologiques pour l’étude des innovations foncières. Comme dans la majorité des autres chapitres, la méthode est rigoureusement expliquée afin que d’autres personnes, sur d’autres territoires, puissent s’en saisir aussi. De même que l’introduction, très riche, ce chapitre est nécessairement à lire puisqu’il pose les bases de plusieurs autres passages. Le fil rouge de ce chapitre – et plus généralement du livre – pourrait se résumer à : comment les relations conflictuelles entre les mondes agricole et urbain, qui tendaient à s’ignorer, s’organisent-elles et autour de quels acteurs ? La question des acteurs est centrale puisque la totalité des chapitres en montre des différents (mairie, intercommunalité, département, syndicat agricole, agriculteurs, association, SAFER, chambre d’agriculture, fédération de chasseurs, …) qui ne parviennent pas à tous interagir paisiblement.

En effet, si les chapitres 1, 2, 4, 5, 7, 8, 11 présentent des acteurs qui parviennent à travailler de concert, malgré des difficultés inhérentes, les chapitres 3, 6, 9 exposent des projets d’innovation foncière pouvant entrainer d’importantes tensions. Cela est particulièrement visible sur le chapitre d’Adrien Baysse-Lainé, qui porte sur l’association Terre de Liens : ici, les agriculteurs s’opposent au fait que des porteurs de projets alternatifs puissent accéder au foncier par des moyens innovants, qui évitent donc les pratiques en place. Cette tension agriculture conventionnelle / alternative (celle portée par les acteurs publics locaux) s’ajoute à la tension agriculteurs / non agriculteurs.

Le chapitre de Brigitte Nougarèdes montre que les agriculteurs sont mal vus par la population puisqu’ils disposent d’avantages pour accéder au foncier constructible. Au contraire, d’autres projets portés par des acteurs locaux pour limiter l’urbanisation ne fonctionnent pas car l’agriculture, pourtant nécessaire au projet, a été relégué en second plan (Rozenn Trédan et Coline Perrin).

Raréfaction du foncier agricole

La question de la justice socio-spatiale est donc importante, puisque toutes les innovations entrainent des avantages pour des acteurs mais des inconvénients pour d’autres, qui sont alors souvent des concurrents (chapitres 2, 6, 7). Ces innovations s’inscrivent en effet contre les pratiques habituelles des propriétaires fonciers et agriculteurs, bien que certaines innovations leur soient favorables (chapitres 1, 2, 10, 11). Devant la raréfaction du foncier agricole, il est pourtant nécessaire de limiter l’artificialisation de celui-ci et de favoriser les porteurs de projet agricole hors cadre familial, qui peinent à accéder à la terre.

Cinq axes d’innovation sont parcourus dans ce livre : l’animation foncière ; le levier fiscal ; la réglementation ; l’acquisition publique ou l’intervention sur le marché foncier ; des outils contractuels spécifiques. Une des leçons de ce travail de recherche est que les projets réussissent mieux lorsque plusieurs axes d’innovation sont utilisés. De plus, les projets aboutissent lorsque la majorité des acteurs – surtout les propriétaires fonciers et les agriculteurs – est concertée. De même, les projets réussissent mieux lorsque l’agriculture est placée au centre du projet.

Cependant, il ne faudrait pas que la société attende trop des agriculteurs : certains chapitres (6, 7, 8, 9) montrent des communautés locales qui voient les agriculteurs comme des producteurs de matière première, des artisans d’un beau paysage et des animateurs culturels prêts à faire découvrir leur ferme. Certains projets, d’ailleurs, n’aboutissent pas en raison de la multiplication des contraintes posées par la mairie.

S’il l’on pourra reprocher le fort tropisme pour quelques territoires (4 chapitres sur les Pyrénées-Orientales et 2 sur l’Hérault, qui ont pourtant des contraintes spécifiques), cet ouvrage de qualité vise plutôt à être un point de départ que l’aboutissement de recherches. Il est donc à consulter pour toute personne qui souhaite étudier ces questions-là ainsi que tout acteur qui voudrait innover. Sans prétendre à l’exhaustivité, de nombreuses pistes sont présentes et permettront sans doute de faire émerger d’autres innovations.