Doit-on présenter encore l’auteur d’ « Une histoire populaire des États-Unis » ? Ce professeur émérite de la Boston University a eu l’occasion, à de nombreuses reprises lors des cinquante dernières années, de prendre position contre son gouvernement, à l’instar de son ami, Noam Chomsky. Ce n’est pas un genre nouveau qu’il nous présente dans cette autobiographie mais le titre annonce son principal intérêt : l’enjeu énoncé est celui d’une « impossible neutralité » face aux épreuves du temps qu’il traverse.
C’est dans l’histoire personnelle de Howard Zinn qu’il faut retrouver les racines de son engagement personnel et politique. Enfant issu d’un milieu pauvre, et ayant cumulé, comme il le remarque à plusieurs reprises, précarité et pauvreté, il a bénéficié, après son engagement dans un bombardier pendant la Seconde Guerre Mondiale, du GI’s Bill. Il fit donc des études lui permettant d’acquérir un nouveau statut, celui d’enseignant.
A travers cet ouvrage, publié au milieu des années 1990 aux Etats-Unis, les valeurs fondatrices de son identité sont posées, de l’intérêt pour la communauté, de la désobéissance civile à l’indignation permanente contre les excès de ceux qui ont un pouvoir dont ils usent de manière abusive. Les trois parties de cette autobiographie tournent donc autour de ces valeurs fondamentales.
La première partie, « Le Sud et le mouvement des droits civiques », est à ce titre révélateur de son insoumission et de l’impossibilité à rester neutre, en dehors des conflits qui agitent la société américaine. Paupérisé, exploité à New York, il part travailler dans une université pour les Noirs à Atlanta au milieu des années 1950 dans un contexte local pesant, marqué par l’émergence du mouvement des droits civiques. C’est à travers ces sept années que se consolident les idéaux de cet homme qui remarque que « toute l’histoire de ma vie jusque là avait fait naître en moi, l’indignation face à tous les oppresseurs du monde ». Ce Sud de la ségrégation, du racisme explicite est décrit avec précision et force détails sur les actions menées, celles liées à la désobéissance civile, mais aussi à travers de portraits souvent émouvants des principaux protagonistes de ces actions. A la fois observateur et acteur de ces luttes pour la reconnaissance des droits civiques, il est présent là où l’histoire « se fait » de Selma à Albany, insistant toujours sur les responsabilités des superstructures gouvernementales ou locales L’auteur, à cette occasion, souligne le bonheur de se révolter avec d’autres et mesure, plus qu’aucun autre, la valeur de la lutte collective.
La guerre, titre de la seconde partie, fait partie intégrante de la construction intellectuelle et mentale de Howard Zinn. Engagé à 20 ans dans l’armée, ses ambitions militantes sont sincères, de sa croisade contre le fanatisme au combat contre l’impérialisme et partagés par sa femme, Roslyn.. La prise de conscience de l’inhumanité de la guerre se produit lors de sa connaissance de ce qu’il défini lui même de « crime américain » à Hiroshima . « Nous avions agi comme eux » dit-il. C’est l’ « aventure » du Vietnam qui est la plus décriée par l’auteur. Il met à jour le courant traditionnel d’opposition de la société américaine à l’intervention armée, qu’il avait déjà identifié dans son livre précédent, « Une histoire populaire des Etats-Unis », lors de la Première Guerre mondiale. Des débuts en rangs « clairsemés » de l’opposition de la guerre du Vietnam aux grandes manifestations de 1968 à 1970, lors de l’invasion du Cambodge, dans les rues et dans tous les campus, Howard Zinn milita activement pour la nécessité d’un retrait américain du Vietnam. Sa lettre en forme de discours adressé au président Lyndon Johnson, véritable pamphlet anti-gouvernemental est reproduit dans l’ouvrage et permet de mesurer l’acuité de cette lutte au quotidien. Mais, c’est aussi l’engagement d’autres intellectuels comme Chomsky et des stars de l’époque de Bob Dylan à Joan Baez qui est mis en exergue.
C’est dans la troisième partie, « Scènes et Changements », que l’auteur théorise l’idée de la désobéissance civile contenue, selon lui, dans la déclaration d’indépendance de 1774. La nécessité de se révolter pour abolir ou change le gouvernement qui violent les droits fondamentaux des êtres humains. C’est l’expression, tout au long de l’ouvrage, de ces multiples procès auxquels il assista ou témoigna qui lui permit de se forger cette idée de révolte permanente contre l’injustice et les abus du gouvernement américain ou contre tout pouvoir abusif. L’évocation de l’affaire des Pentagon Papers lorsqu’il met en scène le procès de Daniel Ellsberg et Tony Russo, ou sa lutte quotidienne face à l’autoritarisme du président de l’Université de Boston, illustrent parfaitement son propos.
D’une lecture véritablement agréable et aisée, cet ouvrage est à mettre entre toutes les mains. Les relations qu’il entretient avec ses étudiants feront peut être frémir les plus conservateurs mais c’est pourtant à un véritable cours d’humanisme que Howard Zinn nous convie. Lire cet ouvrage, c’est aussi comprendre l’optimisme et l’espoir qui meut un des plus grands auteurs contemporains.
Notons aussi que la préface de l’éditeur est, à elle seule, digne d’intérêt pour la précision avec laquelle elle dépeint ce qui fait l’intégrité d’un homme.
Deux textes originaux ont été ajoutés à la fin des deux premières parties pour compléter les écrits de Howard Zinn. Le dernier, «De la guerre et du terrorisme (2001-2005) semble le plus important car il borne ainsi parfaitement l’analyse de son action et de sa vie. Cet ouvrage, accessible au plus grand nombre, peut être l’occasion, pour les enseignants de réfléchir au statut de la désobéissance civile mais aussi et surtout, en terminale, de pouvoir utiliser cet aspect du modèle américain des années 1950 à nos jours pour avoir une vision différente voire décalée de celle véhiculée par l’historiographie « officielle ».
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