Voilà un ouvrage original puisque son propos est la publication du “journal” du domestique lettré d’un petit noble languedocien au XVIII ème siècle, Pierre Prion.
Jean Marc Roger présente ce journal assorti de nombreuses notes.
L’ouvrage est aussi pour Emmanuel Le Roy Ladurie, spécialiste de cette région à l’époque moderne, depuis sa thèse: les paysans de Languedoc, soutenue en 1966, l’occasion de rappeler l’édition faite en son temps d’un premier écrit de Pierre Prion et surtout dans une très longue mais intéressante introduction de développer divers thèmes: météorologie et pratiques agricoles, hiérarchies sociales, politique, religion et délinquance.

Jean Marc Roger nous rappelle la vie de l’auteur et l’histoire du manuscrit, son cheminement de la mort l’auteur à nos jours. Il présente le texte assorti de très nombreuses notes qui permettent de situer l’auteur mais aussi les personnages rencontrés et apportent un éclairage utile sur la justice seigneuriale, le clergé, la culture villageoise, la situation des protestants durant la période…

L’auteur Pierre Prion occupe des fonctions domestiques diverses dans la maisonnée de Charles de Baschi, marquis d’Aubais, tour à tour, secrétaire du marquis ou de son épouse, contremaître des maçons, cuisiniers, garde de la cave…

Les écrits de Pierre Prion, secrétaire mais aussi homme à tout faire du marquis d’Aubais se composent, pour l’essentiel, d’une autobiographie publiée en 1985 sous le titre: Pierre Prion, scribe, écrit présenté par O. Ranum et E. Le Roy Ladurie et cette “Chronologiette” le mot est de Pierre Prion lui-même, où il note presque chaque jour, des réflexions sur le temps, une description de la maison seigneuriale, une analyse quasi sociologique du gros bourg d’Aubais (800 à 1 000 habitants), aujourd’hui dans le Gard, mais propose aussi un récit de la vie quotidienne au château ou au village. Les textes ainsi réunis couvrent la période 1744 – 1755.

Dans sa très longue introduction E. Le Roy Ladurie rappelle le parcours de Pierre Prion, il met en perspective la “chronologiette” et montre comment l’auteur est en quelque sorte un intermédiaire, un passeur culturel entre la noblesse qu’il côtoie et sert et le peuple auquel il appartient comme d’autres personnages d’une petite élite villageoise: curé, juge seigneurial…
Il situe ce texte et les analyses possibles par rapport à l’historiographie, références à Vovelle ou Braudel tant sur les questions sociales que religieuses dans ce village mi-catholique mi-protestant.

Connaissant les centres d’intérêt d’E. Le Roy Ladurie on ne sera pas étonné qu’il retienne avec beaucoup d’attention les mentions météorologiques et agricoles du texte qu’il met en relation avec son histoire du climat. Les mentions de gelées, de neige et la date tardive des bans de vendanges atteste d’un climat plus rigoureux qu’aujourd’hui. Les enseignants de seconde pourront trouver dans l’introduction comme directement dans le texte des éléments sur les crues anciennes du Vidourle susceptibles d’illustrer un cours de géographie sur les risques.

Chronique des joies et des peines, des naissances et des morts, la chonologiette pourrait être qualifiée de “potins” de l’élite du Tiers Etat et de la noblesse locale: descriptions des mariages, des banquets et leur menu, des querelles de préséance dans les processions, détails, certes mais qui donnent “chair” à cette société. On perçoit à cette lecture les attitudes diverses des seigneurs face à la question religieuse: de la franche hostilité à la neutralité complice à l’occasion du récit de la répression anti-huguenote de 1745 par exemple. Des annotations ponctuelles renseignent sur l’état d’esprit des populations comme les 14 mariages de janvier 1750 pour éviter le tirage au sort de la milice ou les réactions hostiles au logement de troupes aussi bien que sur l’expression de la religiosité catholique comme protestante. On mesure la dureté de la vie: cherté, maladies, accidents et toute la brutalité de cette société: querelles, agressions, assassinats, viols mais aussi condamnations terribles.

Entre deux calamités, Pierre Prion nous raconte des moments de détente comme le “gala de monsieur Coteron en forme de pique-nique” ou la ferrade au Cailar qui montre que la tradition des gardians est chose ancienne.

Enfin on prend plaisir à lire la langue du XVIII ème siècle où il est question “des pays fromageux de la Hollande”, d’une “fille grosse et dodue depuis le sommet de la tête jusqu’à la plante des pieds” ou en 1748 quand “ il a gelé pire qu’en 1709, la condensité de la froidure de l’air faisait tomber les oiseaux tout mourants”.

En conclusion une plongée dans la vie d’un village à la veille de la révolution.

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