Ce recueil fut précédé de trois ouvrages sur la construction de Versailles, témoignant depuis une dizaine d’années de l’intérêt renouvelé des historiens pour l’étude des lieux de pouvoir. Avec Versailles, le chantier de Louis XIV (Perrin), Frédéric Tiberghien présentait le château comme le plus grand chantier de l’Europe du XVIIème, exceptionnel par son coût, son nombre d’ouvriers mais ordinaire par les techniques utilisées. Une synthèse d’articles rassemblés par Joël Cornette dans Versailles, le pouvoir de la pierre (Tallandier) précisait un certain nombre de points. En 2003, Thierry Sarmant s’était interrogé sur le rôle des chantiers des Demeures du soleil (Champvallon) dans la structuration et l’affirmation de la monarchie absolue.
Avec ce nouvel ouvrage de Thierry Sarmant et de Raphaël Masson, c’est par le biais de sources inédites et publiées in-extenso que l’on pénètre dans les choix architecturaux et artistiques que Louvois a supervisés pendant huit ans. Ces sources conservées au Service historique de la Défense à Vincennes et aux archives de l’ancien département de la Guerre, forment le pendant indispensable des archives propres de la surintendance des Archives nationales (sous-série O1).
Cet ouvrage est dirigé par deux spécialistes de Versailles, fins connaisseurs de la construction du château, de la vie de Cour et même de la vie musicale. Thierry Sarmant, conservateur en chef du patrimoine, directeur adjoint du département des Monnaies, Médailles et Antiques de la Bibliothèque nationale de France après avoir œuvré au Service historique de la Défense à Vincennes, Raphaël Masson, conservateur du patrimoine au château de Versailles sont tout deux spécialistes de Louvois. Ils ont associé à ce travail des chartistes, des historiens et des conservateurs, association de travail que l’on trouve trop rarement. Cet ouvrage est à compléter avec d’autres sources que Thierry Sarmant et Nicole Salat publient en parallèle sur la Politique, guerre et fortification, Lettres de Louvois à Louis XIV : 1679-1691, aux éditions de la Société de l’histoire de France & Service historique de la Défense (2007).
Premier volume d’une série de quatre ouvrages qui portera sur les huit ans de la surintendance de Louvois entre le 6 septembre 1683 et le 16 juillet 1691, cette édition de correspondance vient combler un vide important. Il n’y avait pas eu de publication de sources de cette ampleur depuis le XIXe siècle. Il est ainsi possible de donner du neuf sur Versailles au travers de sources inédites, après les lointaines et indispensables publications du XIXe siècle, celles des premiers historiens de Louvois, Camille Rousset et de Louis André.
L’introduction porte sur les conditions d’établissement de cette correspondance, le recensement des correspondants qui définissent le premier cercle lâche d’une administration centrale élémentaire. Les rappels bibliographiques éclairent l’importance de ce travail et les douze pages d’ouvrages de références présentent un bilan historiographique important.
Le corps de l’ouvrage comporte 610 lettres ou billets publiés in-extenso, les 610 premières en attendant les trois autres volumes de correspondance. Les riches notes de bas de pages éclairent des aspects bibliographiques, historiques, architecturaux.
En dernier lieu, l’Index référence les noms propres, des lieux géographiques, les espaces du château, les matériaux. Des noms connus à Versailles côtoient des personnages ignorés que ce livre permet d’identifier. Mais il reste quelques inconnus comme par exemple, le comte Zagana (lettre 493), comme Dessablons (lettre 228), comme Hardy de Famars qui tente de vendre une médaille « récente » d’Othon à Louvois (lettre 242)… Remercions les auteurs et l’éditeur d’offrir de nos jours un outil de navigation d’une telle précision.
La correspondance commence en 1683. Pour le château et le pouvoir, 1683 correspond à une période de renouvellement. Sur le plan humain et politique, à la mort de Colbert, les réseaux tissés par le surintendant se délitent, les intelligences s’évanouissent (p X) et le nouveau surintendant est amené à constituer une nouvelle équipe, un nouveau réseau de spécialistes et d’hommes du métier. Sur le plan de l’histoire politique et artistique, 1684 marque la destruction de la grotte de Thétys et le dessein de la construction d’un lieu de pouvoir.
Période de renouvellement
Le nouveau surintendant, Louvois prend alors contact avec le personnel de la Surintendance et met en place son réseau de travail qui comprend quelques centaines d’hommes : les surintendants, les inspecteurs et contrôleurs, les entrepreneurs particuliers, les banquiers et financiers, les représentants du roi à l’étranger dont les consuls, les subordonnés civils et militaires, auxquels sont associés les nombreux journaliers et les hommes de métier. Louvois s’adresse à eux par des billets courts, des injonctions ou des rapports plus longs. Par ces liens directs, on aperçoit les discussions, les projets architecturaux, la recherche de pièces artistiques rares, les moyens de les financer et la prise de décision rapide qui caractérise Louvois.
Quelques éléments sur les conditions de travail apparaissent (les salaires plus élevés en hiver qu’en été) ou encore les conditions de logement, de recrutement, les passeports pour les allées et venues des salariés, la soumission aux lois du marché pour les ouvriers et les matières premières. Des promotions ou des renvois du personnel sont signifiés, indiquant des carrières et des formes d’ascension sociale rendues possibles par le service des Bâtiments (p XXXIII).
Cet ouvrage relativise, nuance et infirme un certain nombre de points qui semblaient acquis : Louis XIV n’a pas eu un dessein politique préétabli pour la construction de Versailles. En mettant à jour grâce à ces lettres, les éléments de décision, les négociations, les initiatives personnelles, les choix, on s’aperçoit que la gestion et la construction du Monument de Versailles a surtout été changeante et pragmatique. Les chantiers des autres résidences royales : Saint-Germain, Fontainebleau, Monceaux, Chambord, ainsi que l’entretien de l’existant sont extrêmement présents dans les préoccupations ministérielles. En dernier lieu, l’hydraulique et l’ingénierie de l’eau est une des préoccupations prédominantes de Louvois, l’aqueduc de Maintenon occupe près de la moitié du volume de la correspondance entre 1683 et 1691 (pXXXIII).
Conditions de travail et politique royale
Ces lettres confirment la minutie de Louvois, sa grande réactivité par ses réponses courtes, claires et efficaces, sa maîtrise des dossiers et des hommes. Ses décisions rapides, paraissant soudaines disent l’absence de plan politique déterminé, une absence de vue à long terme pour Versailles qui témoigne de cette première période du pouvoir de Louis XIV. Louvois y apparaît comme un homme parfaitement informé, méfiant, sans doute redouté, usant de son pouvoir pour faire trembler les subalternes. Il donne des conseils sur tout, sur la manière de procéder : « ce doit être en vostre présence et non autrement » (lettre 496), « je vous prie de vous conformer ponctuellement à ce qui est convenu » (lettre 508), « mandez moi ce qui en est et si vous ne l’avez pas fait ce qui vous en a empêché » (lettre 536). Il menace « le charpentier Mallet […] connoistra à la paye de cette semaine que je ne suis pas content de luy » ou encore « je suis résolu à les faire mettre en prison » (lettre 104). On le sent inquiet que l’eau n’arrive pas à Versailles pour le retour du roi et pour se faire, il presse tous les corps de métier (lettre 93). Il est attentif aux couches de peinture jaune pour le premier groupe de figures du bassin de Neptune (lettre 26), au transport des marbres et des « estoffes » de Gênes (lettre 25), à un fond d’armoire qui est humide et qu’il faut consolider en parquet de deux pouces plutôt qu’en brique (lettre 26-p 16).
Ces lettres regorgent d’informations sur la Surintendance du bâtiment et sur le fonctionnement de Versailles. Ces lettres de Louvois regroupées et publiées pour la première fois s’avèrent être une source indispensable pour l’histoire artistique et architecturale de Versailles. Leur richesse rend impatients les historiens du château qui devront attendre une année (2008) pour la publication des autres tomes.
Pascale Mormiche
agrégée et docteur en histoire Moderne (Université de Versailles Saint Quentin-78)
en poste au collège Martin Luther King
78530 BUC