Visuel ou auditif ? Certains élèves ont une bonne mémoire et d’autres pas ? Voici quelques-uns des mythes auxquels s’attaque cet ouvrage de Daniel Gaonac’h dans le cadre de la passionnante collection « Mythes et réalités ». Daniel Gaoinac’h est professeur émérite en psychologie cognitive à l’Université de Poitiers au sein du Centre de Recherches sur la Cognition et l’Apprentissage.

Pour introduire le sujet

La question de la mémoire intéresse plusieurs tranches d’âge, que l’on se pose la question de sa détérioration pour les plus âgés, ou celle liée à l’éducation pour les plus  jeunes. La mémoire fait donc l’objet de nombreux mythes et elle est encore souvent conçue comme une fonction à part. En tout cas, dès le début, Daniel Gaonac’h donne le ton en disant : «  prétendre que quelques exercices simples sur votre smartphone vont conduire à booster vos performances mnémoniques, là il y a de l’arnaque dans l’air ». 

Déconstruire les mythes

Le plan de l’ouvrage consiste à énoncer une opinion répandue en lien avec la mémoire qui est ensuite examinée à la lumière de ce qu’en dit la recherche. Ensuite, l’auteur propose quelques exemples d’études récentes et une conclusion. Neuf idées sont ainsi abordées. A la fin de l’ouvrage on trouve une rapide reprise sur chacune et, pour aller plus loin, on trouve huit pages de référence qui récapitulent les différentes recherches notamment citées tout au long de l’ouvrage.

Une mémoire ou plusieurs ?

L’idée de mémoires multiples peut conduire à des dérives comme celle de vouloir caractériser une personne autour d’adjectifs comme abstraite, visuelle… Les travaux scientifiques montrent qu’il est utile de diversifier la représentation des contenus ou encore que la répétition doit se faire dans des contextes variés. Les recherches sur l’utilisation des exemples démontrent leur pertinence pédagogique mais concluent souvent à la nécessité d’introduire, pour un même exposé, plusieurs exemples présentant des caractéristiques différentes. Il est aussi nécessaire de combiner apprentissage explicite et implicite. 

Mémoire et intelligence, ça fait deux

Le principal déterminant de la mémorisation c’est la nature des activités cognitives qui vont laisser des traces. La consolidation des informations en mémoire ne consiste pas tant à créer une trace la plus solide possible qu’à intégrer chaque information nouvelle dans un système organisé. Espacer les séances d’exercice est plus efficace que de regrouper en une seule séance. On sait aussi que relire un cours ne sert pas à grand chose et qu’il est beaucoup plus efficace de se tester sur son contenu.

Pour mémoriser, il faut le vouloir

Beaucoup de recherches ont montré que le principal déterminant de la mémorisation c’est la nature des activités cognitives qui vont laisser des traces. L’auteur revient aussi sur l’idée selon laquelle un élève mémoriserait mieux ce qu’il a appris de lui-même. Il invite à se méfier de l’idée de pédagogie active car cette notion est assez floue. Il développe aussi l’utilité dans certaines conditions de proposer des problèmes résolus aux apprenants.

« Tout passe et tout s’oublie… »

Un mot oublié n’est pas en réalité effacé de la mémoire mais il ne peut être récupéré. Daniel Gaonac’h explique l’idée de rappel avec ou sans indice et montre son intérêt pour l’école. En effet une des caractéristiques c’est la distance qui existe entre deux cours et la question du rappel est donc cruciale. Il est essentiel aussi de ne pas mémoriser trop de détails.

La mémoire de travail, ça sert à tout

La mémoire de travail n’est pas une petite boite que nous avons dans le cerveau et son mécanisme est beaucoup plus complexe. Ce concept fait référence à la capacité qu’a notre système cognitif de retenir des informations, d’assurer simultanément leur traitement et de gérer ces opérations de manière efficace. L’auteur souligne aussi que contrairement à une idée reçue l’empan mnésique n’a pas une valeur fixe. Cependant, et il le précise bien, cela ne conduit pas à remettre en cause le caractère limité des capacités cognitives des individus. Pour les cours on retiendra aussi l’importance d’une présentation intégrée des documents, c’est-à-dire avec les explications présentées sur le graphique même par exemple. 

Certains élèves ont une bonne mémoire, d’autres pas

Pour décortiquer cette idée, l’auteur s’appuie notamment sur l’importance des effets de contexte. Il relate notamment une célèbre expérience où la présentation de la tâche influence sa réussite selon qu’il s’agit d’un exercice de géométrie ou de dessin. Daniel Gaonac’h revient aussi sur le rôle du sommeil ou des émotions.

Visuel ou auditif ? 

C’est un des mythes les plus tenaces de la psychologie comme le dit lui-même l’auteur. Il souligne qu’une information scientifique erronée a d’autant plus de chance de se propager si elle rencontre nos intuitions. Il présente des recherches sur le rôle des images dans la mémorisation où l’on s’aperçoit qu’établir des corrélations n’est pas simple. Retenir à l’aide d’images ne semble fonctionner que pour des contenus simples. Les études montrent également que la prise de notes manuelle plutôt que par ordinateur permet de réagencer ce qu’on entend alors que dans le second cas on a tendance à noter mot pour mot.

On peut entrainer sa mémoire à l’aide d’exercices simples

Les personnes qui s’entrainent au moyen d’applications informatiques ont l’impression de progresser alors que les recherches ne constatent pas cet effet. Il y a donc une dissociation entre compétences perçues et effets réels de l’entrainement. On ne peut apprendre «  à vide «  et il faut aussi se méfier des procédés mnémotechniques qui ont certes leur intérêt mais aussi leurs limites. La méthode des mots-clés consiste à associer le mot à apprendre à un mot familier. Cette technique peut réussir… à condition de répéter souvent l’exercice. L’effet le plus marqué reste donc celui de la pratique. 

Google va rendre notre mémoire inutile 

L’auteur invite à réaliser un bilan équilibre entre avantages et inconvénients des technologies. Elles ont des conséquences tout comme historiquement l’écriture en a eu une aussi. On peut relater une expérience sur la mémorisation où des étudiants étaient amenés à photographier des objets pour mieux les retenir. Ceux qui prenaient en photo des détails obtenaient de meilleurs résultats. Ce n’est donc pas tant l’objet qui détermine la qualité de l’activité cognitive que la tâche mise en oeuvre. Une autre expérience pourra troubler : elle montre que la simple présence d’un smartphone dans l’environnement d’un individu a un effet négatif sur la réalisation d’une tâche cognitive sans lien avec cet appareil. Il faut aussi toujours se souvenir que le fonctionnement de la mémoire s’appuie sur les connaissances déjà établies. L’auteur évoque pour finir les jeux vidéo et la difficulté là encore d’établir des liens clairs et des réponses affirmatives.

Mémoire business

Daniel Gaonac’h insiste en conclusion pour rappeler que la mémoire est un bon sujet pour certains éditeurs qui multiplient les ouvrages sans toujours de grands fondements scientifiques. Quant à l’éducation, l’auteur souligne que ce livre ne donne guère de « recettes » susceptibles de faire la une d’une revue grand public. Comme il le dit par ailleurs dans le livre, « les mécanismes de la mémoire sont multiples et variés et leur efficacité tient surtout à la capacité de chaque individu à utiliser au mieux cette pluralité en prenant en compte les caractéristiques de chaque situation d’apprentissage ». C’est en tout cas pour chaque enseignant une lecture indispensable à l’égale des autres volumes de cette collection décidément indispensable. 

Jean-Pierre Costille