L’auteur rappelle que la découverte de l’Amérique est contemporaine d’une transformation du savoir, phénomène traduit dans une gravure de Giovanni Stradano (page 14-15) qui sert d’introduction à cette étude des relations entre le « Nouveau Monde », la botanique et la médecine, entre les usages rituels des Indiens et le savoir européen. Il a l’ambition de réunir à la fois les aspects économiques, politiques, religieux et scientifiques de la découverte puis l’usage des drogues américaines abordés dans une étude chronologique.
Un nouveau monde médicinal
C’est par un rappel des pratiques médiévales galénistes et leur remise en cause par Paracelse vers 1530 qu’est introduite la première partie.
Nouvelles plantes, anciennes médecines (1492-1570)
Le premier médicament américain utilisé au lendemain même de la découverte de Christophe Colomb fut sans doute le guayacan pour le traitement de la syphilis, mal ramené des « Indes » et que les remèdes traditionnels ne parvenaient pas à combattre et ce malgré la méfiance pour un produit nouveau.
L’auteur présente ainsi les hésitations européennes et en même temps la curiosité pour des produits dont on pouvait espérer tirer profit puisque l’aventure transatlantique était motivée par la recherche d’une route vers les épices orientales.
C’est à un voyage sur les terres nouvellement conquises que l’auteur nous invite, terres où la survie dépendait d’une connaissance des plantes indigènes. Les chroniques de la fin du XVIe siècle permettent de comprendre comment s’est faite la transmission du savoir médicinal en Amérique et comment ce nouveau savoir est revenu en Europe : remèdes, substituts américains des épices orientales, par l’intermédiaire des marchands, des soldats, des missionnaires. Un personnage représente bien cette histoire : Nicolas Monardes (pages 74 et suiv.).
Le questionnaire des Indes (1520-1580)
Le récit de l’expédition du médecin Francisco Hernandez parti en 1569 pour inventorier les remèdes des Indiens montre comment, dans un contexte politique de contrôle des possessions ultramarines, la couronne d’Espagne impose une pacification et une captation des connaissances à l’aide d’un « questionnaire », modalité imaginée par l’Inquisition qui permet de dresser un état des lieux des pratiques et un encadrement sanitaire des Indes. L’enquête est à la fois naturaliste et médicale. L’auteur retrace les voyages de Francisco Hernández (carte p 108) et met en évidence l’écart entre la réalité américaine et le cadre de référence des connaissances qui pose problème à l’enquêteur et explique la difficile réception de ses travaux dans l’Espagne de Philippe II.
Une appropriation européenne (1580-1640)
Désormais le mouvement des bateaux et le commerce favorise la diffusion des nouveaux produits à travers l’Europe. L’auteur évoque le rôle des collectionneurs flamands comme Charles de l’Ecluse, italiens comme Manfredo Settala, des premiers jardins botaniques et des Jésuites dans cette dispersion en Europe par exemple du tabac et du chocolat. Ce sont avant tout les publications au Mexique ou sur le vieux continent qui vont permettre la diffusion du savoir.
L’or amer des Indes
Cette seconde partie est consacrée à un produit particulier le quinquina, nouveau remède pour un mal européen: les fièvres des marais.
L’écorce des Jésuites (1640-1660)
Les premières écorces sont peut-être arrivées dans les bagages du père Alonso Massia en 1630 ce qui vaudra au quinquina originaire du Pérou les appellations d’écorce des Jésuites ou de poudres du cardinal. L’auteur tente de retracer l’histoire secrète du remède, les routes depuis la montagne andine, les premiers usages en Europe et les querelles entre médecins ainsi que le rôle trouble de la Compagne de Jésus dans son commerce.
Le spécifique des fièvres intermittentes (1670-1710)
Le chapitre est consacré à l’usage du quinquina en Angleterre avec la querelle entre médecine théorique et médecine empirique (Talbor dans l’Essex pages 219 et suiv.), à sa pénétration dans les cours européennes où nul n’est à l’abri des miasmes des étangs comme Louis XIV lui-même en 1686. Petit à petit la recette du fébrifuge à base de vin et de quinquina s’affine, son usage se répand en matière de santé publique. La connaissance progresse grâce à de nombreux travaux tel l’« arbre des fièvres » de Francesco Torti mais la variation de qualité de la matière première engendre méfiance et querelles.
L’arbre retrouvé (1710-1751)
Le XVIIIe siècle par de nouvelles expéditions scientifiques permet une meilleure connaissance indispensable au contrôle de sa qualité pour les cours mais aussi afin d’éliminer les mauvaises drogues pour les populations. L’auteur compare les solutions mises en œuvre en Espagne, en France, en Angleterre. l’expédition de Jussieu (1735-1743) décrite en détail (pages. 266 et suiv.) met en évidence les concurrences commerciales jusqu’à l’indépendance du Pérou au moment même où deux chimistes parisiens, Joseph Pelletier et Joseph Bienaimé Cavantou, extraient le principe actif du quinquina, la quinine devenant au XIXe siècle un instrument des conquêtes coloniales.
Ruptures et communication
Le médical et le non -médical
Comment les pouvoirs politiques et religieux ont-ils réagi à divers produits tel le peyotl, interdit à Mexico dès 1620, plante hallucinogène dont la consommation était associée à des pratiques divinatoires, thérapeutiques ou religieuses ?
Comment les connaissances médicales venues des pratiques indiennes notamment les fumigations posent la question de l’invisible, du surnaturel donc de la sorcellerie et interrogent la théologie ?
Le livre montre que toutes les plantes américaines ne sont pas passées en Europe.
Le contrôle des manières de vivre
Hallucinogènes, abortifs, poisons, philtres d’amour furent rejetés par les autorités espagnoles. Très vite les religieux suspectent un certain nombre de pratiques (peyotl, coca mais aussi maté). L’auteur montre quand et comment s’impose un contrôle des guérisseurs et plus généralement des modes de vie des populations comme dans l’exemple de l’alcool d’agave (pulque) utilisé comme remède puis encadré fiscalement au profit du Trésor royal.
La résistance des matériaux
Sous ce titre étrange l’auteur pose la question d’un usage comme révélateur d’une forme de révolte. Les procès permettent d’approcher ces pratiques, l’usage du secret, la volonté de protéger celles et ceux qui les utilisaient, le refus de communiquer les connaissances ancestrales.. L’auteur rapporte ici de nombreuses anecdotes.
Avoir et savoir
Un dernier chapitre en forme de bilan des rencontres entre Europe et Amérique: des plantes aux croyances, une histoire de savoir, de colonisation, de transformations.