Un ouvrage qui a marqué l’histoire des sciences sociales
Ce texte est le fruit de la réflexion de deux sociologues autrichiens émigrés aux Etats-Unis, élèves d’Alfred Schütz, père de la phénoménologie. Au croisement de la philosophie, de l’anthropologie, la sociologie de Berger et de Luckmann voit l’individu comme un acteur qui, tout au long de sa vie, construit son identité en fonction de la société dans laquelle il évolue. On a donc affaire à une sociologie phénoménologique. « Au travers des échanges conversationnels, et tout au long de sa vie, l’individu doit parvenir à établir une symétrie entre la réalité objective et la réalité subjective. C’est le degré et la nature de cette symétrie qui permet même de différencier entre une socialisation réussie ou ratée. »
Cette approche rejoint celle de la sociologie de la connaissance, une branche de la sociologie qui a pour objet la connaissance humaine considérée comme un phénomène social, c’est-à-dire dont l’élaboration est influencée ou déterminée par des circonstances socio-historiques particulières. La sociologie de la connaissance a été inventée dans les années 1920 par Max Scheler, un philosophe allemand. Elle a été diffusée par Karl Mannheim, un sociologue allemand, autour du concept d’idéologie : « aucune pensée humaine (…) n’est imperméable à l’influence idéologisante de son contexte social. »
Un ouvrage difficile
Si Danilo Martucelli promet en préface une lecture facile, un texte parsemé de traits d’humour, force est de constater que ce livre est difficile. Bien que les auteurs appuient leur raisonnement sur des exemples très concrets, la lecture n’est pas aisée. Voilà les grands enseignements que nous en avons tirés, sachant que ce qui suit ne représente qu’une partie de ce qui est développé. L’approche sociologique retenue est totalement novatrice pour les historiens – géographes que nous sommes.
Nous sommes le produit d’une époque et d’un espace
« La réalité de la vie quotidienne s’organise autour du « ici » et du « maintenant » de mon présent. Cet « ici et maintenant » constitue l’objet principal de mon attention à la réalité à la vie quotidienne. » C’est mon monde. Mais, il existe cependant d’autres réalités qui ne sont pas présentes « ici et maintenant » et qui, par conséquent, présentent des degrés de proximité et d’éloignement plus ou moins importants dans l’espace et dans le temps pour moi. C’est ma perception subjective de la réalité. La rencontre avec l’Autre se fait selon des typifications. En face à face, j’adopte l’attitude que me guide mon interlocuteur. « La réalité sociale de la vie quotidienne est donc appréhendée dans un continuum de typification, qui deviennent progressivement anonymes à partir du moment où elles sont extraites du « ici et maintenant » de la situation en face-à-face. » L’homme est le produit d’une entreprise sociale, qui elle même, est le produit de l’homme. « La biographie de l’individu est appréhendée comme un épisode situé à l’intérieur de l’histoire objective de la réalité. » Toutes les expériences vécues par l’individu dans la société ne pèsent pas de la même manière dans la construction de l’individu. Les expériences se sédimentent et c’est cette sédimentation qui donne un sens à la biographie de l’individu. Les expériences d’un individu propre (si elles sont suffisamment marquantes) sont transmises et participent ainsi à une culture commune. « La société n’existe que si les individus sont conscients d’elle. (…) La conscience individuelle est socialement déterminée. »
Un ouvrage à lire et à relire pour en comprendre tous les tenants et les aboutissants. Encore des efforts pour que la métamorphose attendue soit au rendez-vous !
Catherine Didier-Fèvre ©Les Clionautes