Situé à la confluence de ces dynamiques, l’ouvrage dirigé par Thierry Terret compile 13 contributions abordant le phénomène sportif sous les angles culturel, politique, identitaire et diplomatique à des échelles spatiales d’une grande diversité. L’un des points remarquables de ce livre est de mobiliser des espaces (Sud-Ouest de l’océan indien, « Le sport entre identité nationale et identité régionale dans les îles de la zone sud-Ouest de l’océan indien », p169/202) et des sports (les sports nautiques : « Les sports nautiques en Corse : quelles visions ? », p203/220) situés en marge de l’histoire et de la géographie du sport sans mettre un voile sur le sport majeur qu’est devenu le football ou la compétition reine que sont les Jeux Olympiques (voir « Les Jeux olympiques de Londres au prisme du nouvel échiquier politique », p289-308). Le cadre temporel, lui, renvoie au XXe siècle, ère de l’essor des sports, de leur mise en compétition, en spectacle et de leur instrumentalisation à des fins politique, identitaire et diplomatique.
L’outil « sport » fut utilisé afin d’aplanir des différents entre Etats ; c’est ainsi que le football a pu récemment permettre un certain rapprochement entre Turquie et Arménie à l’occasion des qualifications pour la coupe du monde 2010. Lors des rencontres aller/retour entre ces deux pays, les chefs d’Etats respectifs firent le déplacement dans un contexte où l’un et l’autre avaient intérêt à aplanir les lourds différents qui les opposaient. Force est de constater que, quatre ans plus tard, ce ne fut qu’un coup d’épée dans l’eau tant la situation régionale est complexe, faisant voler en éclats la politique turque dite « zéro problème avec les voisins ».
Le sport rendit possible l’affirmation d’une identité pour des institutions, des groupes ou des territoires. Celle-ci a pu se forger dans l’opposition à un autre, le FLN contre la métropole par l’intermédiaire de son équipe de football, la France et l’Italie après la première guerre mondiale lors des compétitions d’escrime, la FIFA contre le CIO. Identité ou plutôt identités puisque ces trois cas ne sont pas superposables. Le FLN profita de la notoriété des membres de « l’équipe de la liberté » pour médiatiser et légitimer sa lutte contre la France, présentant une équipe unie autour d’une Nation unie contre l’occupant, mythe décousu par Stanislas Frenkiel. Les assauts d’escrime permirent, de leurs côtés, au couple franco-italien de mettre en avant leurs écoles d’escrime respectives comme symbole du dynamisme et de la force de leurs Nations, dominant à tour de rôle cette discipline au niveau mondial jusqu’aux années 40.
Le sport a pu être rejeté au nom de la protection de l’identité ; le cas des sports nautiques en Corse en est un exemple puisque ces pratiques furent considérées jusqu’ au début des années 90 comme continentales, touristiques, dangereuses et invasives pour le littoral de l’île. Depuis lors, un retournement s’est effectué en raison d’un équilibre trouvé entre attentes des locaux et celles des touristes.
L’identité a pu se bâtir autour du sentiment d’une histoire, d’une tradition commune ; tel est le schéma avancé par Yves Leloup décrivant la promotion de la pirogue polynésienne dans la seconde partie des années 80 par la France dans les îles Tonga, Samoa et Fidji. Le développement de cette discipline ne doit rien au hasard et ressurgit le ressort diplomatique ; après l’affaire du Rainbow Warrior, la France, soucieuse de redorer son blason dans cette partie du monde, n’hésita pas à mobiliser la marine nationale au service d’une diplomatie par le sport pour prêcher la bonne parole et fournir des pirogues aux Etats insulaires du Pacifique Sud.
Le sport a pris une place plus qu’importante au XXe siècle dans les rapports entre les hommes, les groupes et les Nations bien avant qu’il ne devienne un objet d’étude sérieux. Coubertin rêvait de changer le monde par le sport au nom de valeurs universelles ; les hommes, les groupes, les Nations s’en sont emparés pour servir leurs desseins. Le sport ne change pas le monde, il n’en est qu’un reflet.