Historique très illustré de l’histoire de la Croix-Rouge française depuis sa création jusqu’à nos jours.
Les 150 ans de la Croix-Rouge française fournissent l’occasion d’en retracer l’histoire depuis sa création, dans la logique des idées d’Henry Dunant, sous la forme de la « Société de Secours aux Blessés Militaires » jusqu’à son action actuelle après des temps de reconversion et les moments forts qu’ont été les deux guerres mondiales. C’est ce à quoi s’est attaché Frédéric Pineau aidé de Virginie Alauzet et de Benjamin Lagrange en proposant cet ouvrage.

C’est un bel ouvrage que publient les éditions Autrement pour les 150 ans de la Croix-Rouge française. L’auteur ou plutôt les auteurs en sont Frédéric Pineau en collaboration avec Virginie Alauzet et Benjamin Lagrange. Frédéric Pineau avait déjà réalisé dans le même type de livre très illustré 1919-1940, les Femmes au service de la France 1, La Croix-Rouge française en 2006 et Femmes en guerre, 1940-1946 en 2013. Après une courte préface du professeur Jean-Jacques Eledjam, actuel président de la Croix-Rouge française et une brève introduction rappelant les évolutions de la guerre de 1870 à nos jours, l’ouvrage se compose de sept chapitres marquant les grandes étapes qui mènent à la place actuelle de la Croix-Rouge dans la société française.

Le premier chapitre, « Une présence humanitaire sur les champs de bataille 1870-1914» rappelle tout d’abord le rôle d’Henry Dunant et de quatre de ses compatriotes à l’origine de l’idée, tout comme de l’adoption du signe distinctif, représentation inversée du drapeau d’un Etat traditionnellement neutre, la Suisse, dans une Europe où les rivalités nationales n’ont pas fini de s’affirmer. Il décrit ensuite « la naissance de la Croix-Rouge en France et du droit international », l’action de cet organisme étant étroitement liée au respect d’un droit garantissant les blessés. La S.S.B.M. (Société de Secours aux Blessés Militaires) est créée en 1864 mais reste marginale jusqu’à la guerre de 1870 où dans l’urgence des solutions sont trouvées pour collecter des fonds, organiser des ambulances, rétablir la correspondance entre les prisonniers et leur famille. Cette difficile expérience a néanmoins montré que beaucoup d’amateurisme avait caractérisé l’action de la S.S.B.M. dont les responsables sont peu convaincus de l’utilité des femmes dans le service des ambulances. Ce n’est qu’en 1877 qu’est instituée la première école de gardes-malades et d’ambulancières, peu de temps avant la fondation au sein de la Croix-Rouge de l’A.D.P. (l’Association des Dames Françaises) proposant une véritable formation. En 1881, une scission se produit et se crée l’U.F.F. (l’Union des Femmes de France). Alors que l’organisation se structure sur le plan national et que les cours se multiplient, les premières infirmières sont présentes dans les hôpitaux militaires en Chine et au Maroc. Au-delà de sa mission primitive, la Croix-Rouge commence également à intervenir lors des épidémies et des grandes catastrophes. C’est donc un mouvement plus structuré et aux activités diversifiées qui va affronter l’épreuve de la Grande Guerre.

Le deuxième chapitre « les infirmières à l’épreuve du feu (1914-1918) » montre comment la Croix-Rouge française devient auxiliaire du service de santé des armées, entretenant ambulances et hôpitaux auxiliaires. Dans un deuxième temps se pose le problème des prisonniers de guerre et la Croix-Rouge française installe à Paris une agence de renseignement en liaison avec le Comité International de Genève. Cette agence renseigne « plus de quatre millions de fiches » sur la situation des prisonniers de guerre. La guerre fait faire un effort considérable à la Croix-Rouge française : « 1167 comités, comptant 250000 membres actifs pour faire fonctionner avec ses 63850 infirmières 1480 hôpitaux ». Plus de 350 infirmières sont décédées du fait des bombardements ou des maladies contagieuses et 2500 ont été blessées au cours d’une période qui a vu augmenter considérablement les effectifs. Le personnage de l’infirmière dévouée reste depuis lors emblématique. Le recrutement qui jusque-là se faisait plutôt dans les milieux aisés concerne aussi désormais des femmes de milieux modestes.
Après la guerre, une mission nouvelle prend une place imprévue : l’aide aux civils touchés par la guerre.
C’est donc une période de montée en puissance comme on peut facilement l’imaginer, et de découverte de missions nouvelles.

Le troisième chapitre « une croisade pacifique (1919-1938) » montre comment, loin de cesser avec la fin des hostilités, l’aide sanitaire et sociale aux populations civiles prend de plus en plus de place dans les activités de la Croix-Rouge française, en métropole et dans les colonies. Parallèlement aux actions auprès des militaires, la lutte contre la mortalité infantile et la tuberculose sont de nouveaux objectifs. Sous son égide, on trouve des cliniques, des dispensaires, des centres de puériculture. L’aide aux plus démunis est également développée. A côté des aides directes se crée une formation d’infirmière-visiteuse d’hygiène sociale, préfiguration des assistantes sociales. Dans le même temps l’enseignement au sein de la Croix-Rouge se codifie et se structure, aussi bien pour les infirmières que pour ceux qui ne sont pas encore appelés « secouristes ».
L’entre-deux guerres est également une période d’amélioration de l’organisation qui serait nécessaire en cas de guerre et la mobilisation commence en 1938 avec l’arrivée de milliers de réfugiés en provenance d’Espagne.

« La Croix-Rouge sur tous les fronts (1939-1945) », le chapitre suivant, montre la variété des interventions de l’association : cantines de gare pour les soldats montant au front, encadrement du flot de réfugiés, secours aux blessés dans les zones d’opération puis aide aux prisonniers de guerre, interventions pour secourir les victimes de bombardements. Malgré une marge de manœuvre réduite, la Croix-Rouge française fait face comme elle peut aux diverses sollicitations. Depuis 1940, les trois sociétés à l’origine de la Croix-Rouge ont été unifiées et la guerre oblige à développer les équipes de secouristes. Les bombardements et les combats de la Libération les sollicitent beaucoup : les pertes ne sont pas négligeables dans leurs rangs. Alors que plusieurs centaines de conductrices-ambulancières ont rejoint les armées, le retour des prisonniers, des déportés et des réfugiés mobilise les équipes et demande un énorme effort.

Le cinquième chapitre « L’ouverture de l’après-guerre (1945-1968) » comporte des paragraphes consacrés aux interventions de la Croix-Rouge auprès des troupes engagées en Indochine, puis en Algérie, ainsi qu’auprès des populations civiles, par exemple auprès des populations vivant dans les camps de regroupement organisés par l’armée en Algérie. C’est ensuite, à partir de 1962 l’arrivée de rapatriés d’Afrique du Nord qui demande là encore un gigantesque effort.
Au cours de la même période, les missions de la Croix-Rouge se sont clarifiées, comportant la gestion de dispensaires, les équipes de secouristes qui montent en puissance aussi bien le long des routes que lors d’événements graves dans le cadre des plans ORSEC, la protection sociale aussi bien auprès de la petite enfance que des personnes âgées. Enfin la mission de recherche des personnes disparues a joué un rôle important après les bouleversements de la guerre et les conséquences de la décolonisation avec l’arrivée de familles dont les membres avaient été séparés.

Le sixième chapitre, « les enjeux d’un monde nouveau 1968-1989 », plus court, met en parallèle les changements de la société française avec les bouleversements au sein de la Croix-Rouge française désormais libérée de la plus grande partie de son activité auprès de l’armée. Ce sont les grandes opérations humanitaires qui vont mobiliser mobilisent une grande partie de son activité, aux cotés d’autres O.N.G., aussi bien en Afrique comme avec le drame du Biafra que sur le territoire national, que pour l’accueil aux nombreux réfugiés notamment du Sud-Est asiatique. L’assistance aux « sociétés sœurs » d’Afrique Noire et d’Afrique du Nord à leurs débuts tient également une place importante dans ces activités. A partir de 1974, la récession augmente le nombre de laissés pour compte et en 1978 la Croix-Rouge crée une direction spécifiquement vouée à l’action sociale.

Le dernier chapitre «A l’aube du troisième millénaire » est l’occasion pour Frédéric Pineau de montrer comment « la Croix-Rouge française est le témoin de l’émergence de nouvelles souffrances dans une société changeante » ce qui l’a conduit à s’engager de plus en plus sur le plan international dans les situations d’urgence que sont les catastrophes, les conflits et les famines. Sur le plan national, l’action sociale , notamment en direction des personnes âgées et des handicapés se développe et cohabite toujours avec la formation.
Les occasions d’interventions sont nombreuses comme avec la guerre du Kosovo, le tsunami de 2004, le séisme au Japon de 2011 ainsi que la canicule de 2003, les inondations dans plusieurs régions françaises ou l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge en 2013. La Croix-Rouge française est également présente de façon régulière lors des grandes manifestations. C’est grâce à un effort sur le plan de la formation que ses membres ont pu faire face aux nécessités nouvelles de l’urgence.et de la lutte contre la précarité.

En conclusion, cet ouvrage, bien écrit, bien documenté, à l’iconographie de grande qualité fournit donc un bon historique sur la Croix-Rouge française et sur ses évolutions successives. Les précieux encarts qui portent sur des personnages marquants et sur différents aspects de l’action de la C.R.F. interrompent parfois une lecture linéaire tout comme les illustrations de grande dimension mais c’est un éternel problème que de choisir l’emplacement et la dimension des encarts. Au demeurant cet inconvénient est très mineur comparé à ce que ce très intéressant livre propose.

Alain Ruggiero (chercheur au CMMC)