Emmanuelle Berthiaud propose un beau livre sur un sujet original dont on s’étonne qu’il n’ait pas encore été traité. On écrit sur l’histoire de l’enfance, des femmes, du corps, de la virilité, de la sexualité, sur la démographie, sur la naissance mais rien sur l’état antérieur et primordial, la femme enceinte. Cet ouvrage permet d’observer la représentation de la grossesse en images du moyen Age à nos jours. Emmanuelle Berthiaud en est spécialiste, elle qui a soutenu une thèse en décembre 2011 intitulée : « Attendre un enfant» : Vécu et représentations de la grossesse aux XVIIIe et XIXe siècles (France) « , sous la direction de Scarlett Beauvalet. Plus largement, avec ses connaissances en histoire de la médecine et de l’obstétrique à l’époque moderne, elle met à notre disposition un ouvrage qui relève également de l’histoire de l’art.

« La femme sera sauvée en devenant mère » Saint Paul

Tout en montrant que dans les grottes préhistoriques, le lien étroit est déjà fait entre les origines de l’art et les mystères de la fécondité féminine, l’ouvrage présente une centaine de représentations parfaitement choisies, identifiées et signifiantes dont la variété interpelle. Statue, peinture, fresque, image d’Epinal, enluminure, bas-relief, photographie…autant d’images de la femme enceinte.

Comme la parole de Saint Paul l’indique, une femme n’est envisagée comme telle qu’après avoir enfanté. Or l’état de grossesse dans une société marquée par le christianisme ne se représente pas car la grossesse est la marque du péché originel, la marque de la relation sexuelle et de l’interdit franchi, la marque du corps déformé à l’encontre de la beauté féminine et le signe de la fragilité de la femme, devant le risque fort de mortalité en couche. La grossesse n’a pas à être représentée infimes d’autant que c’est un temps fugace, variable, mystérieux, mal identifié jusqu’à une période récente, qui marque un corps, des parties honteuses dont on ne parle pas. Autant dire que les signes de gestation qui deviennent de plus de plus visibles indiquent la mutation des sensibilités et des mentalités. Ce livre nous aide à déchiffrer ces signes.

Contre Eve, heureusement Marie

L’image de la vierge devient très fréquente au Moyen Age. Relevant du domaine religieux, elle produit des images peu réalistes : annonciations, visitations multiplient l’arrivée des anges pour faire comprendre la fécondité. C’est la vierge de l’espérance, vierge réceptacle, bienveillante, aidant à la délivrance, dont le ventre est un temple sacré qui est mis en avant par l’Eglise : des anges dévoilent le mystère en écartant le rideau et la robe sans ceinture se fend sur un ventre rond, ouverture et échancrures…comme une métaphore du corps de la vierge intact et fécondé par Dieu. Il faut également comprendre l’allusion en lisant les signes iconographiques : la main posée sur le ventre, les doigts écartés soulignant le volume du ventre, le fruit de la grenade près à éclater…

Représentations religieuses et pratique sociales

Mais point trop n’en faut car certaines statues de vierges sont devenues des attractions passant pour favoriser la fécondité de façon païenne. Côté protestant, on affirme que même si elle a porté le fils de Dieu, elle n’en est pas moins simple femme commune. En 1563, le Concile de Trente chasse la superstition des effigies, et la pudeur reprend le dessus.
Mais rien n’empêche les images pieuses, les sachets d’accouchements, les reliques des saints protecteurs, autant de moyens de terrasser le dragon de la femme enceinte, d’invoquer la maternité spirituelle de la vierge comme protection rituelle, concrète et intergénérationnelle.

Travail d’enfant

La femme doit être mère pour être femme mais la grossesse n’est un état ni un moment réjouissant ni enviable. Ainsi les pratiques vestimentaires témoignent-elles de stratégie de dissimulation. Il faut rendre hommage à l’auteur qui a fait une quête de long terme afin de fournir des images de rares vêtements de grossesses, d’allaitement. On assiste ainsi à l’apparition lente et principalement dans les classes aisées, d’une garde-robe adaptée mais surtout qui accepte de montrer « l’immontrable » situation de grossesse des femmes. La robe évolue dans l’aristocratie et se remarque dans les tableaux de Watteau, de Troy…jusqu’à la réprobation publique d’une reine représentée « en gaulle », en habit de confort pour vivre plus agréablement son embonpoint ponctuel.

Au milieu du XIXe siècle, la mode devient progressivement accessible aux femmes enceintes qui, riches ou pauvres, ne cachent plus leur état. Doit-on y voir la vulgarisation de l’idée que la population est la richesse des Nations ?

Le livre présente une très riche iconographie où se dévoilent les différentes interrogations face à la grossesse, acceptée, crainte, rejetée, vécue avec l’époux, la famille, l’amant jusqu’à la gaine Scandale où la femme reste alerte et élégante quand un autre impératif que religieux ou moral prend le dessus contre les femmes, l’élégance permanente pour favoriser la séduction (1947).

Le livre utilise des images médicales depuis la Renaissance, images difficilement accessibles et peu connues de la représentation obstétrique : comment faire accoucher une femme et régler ses éventuels problèmes médicaux sans avoir de représentation autre que mentale ? La présentation de magnifiques mannequins anatomiques du Musée d’Ecouen, ou du musée des sciences de Florence participent à préciser en trois dimensions le ventre de la femme jusqu’alors trop souvent présentées selon les critères esthétiques de la Vénus pudique dans les ouvrages médicaux de la renaissance au XVIIIe siècle.

« L’évènement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune »

Le film prémonitoire de Jacques Demy avec Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni en 1973, pose la question de l’empire du ventre et de l’avenir de la procréation. Le livre présente un certain nombre de réponses des artistes des publicitaires qui, dès les années 1960, ont utilisé l’image de la femme enceinte pour différents messages, parfois émancipateurs. La grossesse au quotidien ne se cache plus, est enviée et enviable… De nombreux tabous sont tombés dans la représentation artistique mais également dans le vécu quotidien de la grossesse et dans la place de la femme enceinte dans la société.
Cependant l’auteur attire notre attention sur les manières dont des icônes de la mode ou du cinéma ultravalorisées socialement exhibent des grossesses, quitte à développer des formes irréalistes, des comportements dangereux de prégorexie (anorexie et prégnant : entraînant 15 à 20% des femmes en Europe à se sous-alimenter volontairement pour garder la ligne), reprenant le travail deux jours après l’accouchement avec un corps parfait, bien loin du destin biologique normal des femmes.

Midge de Mattei, Hon |elle] de Niki Saint Phallle, Alison LapperPregnat de Marc Quinn

Actuellement contrairement aux discours, aux problématiques politiques et philosophiques sur le processus de reproduction de l’espèce, l’insémination artificielle, les expériences sur animaux de gestation extracorporelle…., la grossesse dans l’art reste un sujet peu abordé, faisant l’objet de quelques représentations exposées dans l’espace public, plus conçues par des artistes femmes que par des hommes. Beaucoup montrent une image très conforme du ventre enceint sous forme de sculptures monumentales. Ces œuvres remportent un vif succès auprès du public.

Rare sont les ouvrages portent un thème des origines à nos jours. Celui-ci le fait parfaitement avec un texte très riche, une analyse précise des comportements sociaux et de leur traduction artistique avec des images souvent pleine page de très grandes qualités. Œuvre d’une historienne, il fait souligne bien les inflexions et les rythmes de cette histoire complexe de la femme, de la médecine, de la religion, de la morale et de l’art.

Pascale Mormiche