Avec La Déconfiture, Pascal Rabaté signe un récit poignant et magistral sur un moment clé de notre Histoire : la débâcle française de juin 1940. Réunis en une belle intégrale au format roman graphique, les deux tomes parus en 2016 et 2018 trouvent ici une nouvelle résonance. Cette édition compacte et accessible rend pleinement justice à l’ambition de l’auteur : raconter la guerre autrement, à hauteur d’homme, avec lucidité et tendresse. Dans un style graphique tout en sobriété, Pascal Rabaté laisse s’épanouir un scénario d’une grande fluidité, où le burlesque côtoie la tragédie. Une grande réussite, aussi sensible que percutante.
Un récit à hauteur d’homme dans le chaos de l’Histoire
Pascal Rabaté nous plonge dans le tourbillon de la débâcle à travers les yeux d’Amédée Videgrain, modeste estafette militaire perdue au cœur de l’exode. Le personnage, ni héros ni lâche, erre sur les routes de France à la recherche de son régiment, alors que tout s’effondre autour de lui. Cette approche, intimiste et frontale, fait toute la force du récit : on n’est pas dans la grande Histoire, mais dans le quotidien de ceux qui l’ont subie.
La narration épouse la confusion ambiante : militaires désorientés, civils en fuite, routes jonchées de cadavres et d’objets abandonnés… Pascal Rabaté évoque l’absurde avec un humour noir désarmant, souvent grinçant, parfois émouvant. À travers les dialogues ciselés et les scènes muettes pleines de sens, il nous donne à voir des hommes ordinaires confrontés à l’inhumain.
Sobriété du trait, puissance du regard
Graphiquement, La Déconfiture se distingue par un style épuré, presque ascétique. Le dessin de Pascal Rabaté, sans effets inutiles ni surenchère dramatique, capte l’essentiel : regards perdus, gestes maladroits, paysages détruits. Le choix d’un noir et blanc dépouillé accentue cette impression de désolation feutrée.
Loin de chercher la spectaculaire, l’auteur met en scène la guerre avec une humanité rare. C’est justement cette retenue qui rend le récit si puissant. Les silences en disent parfois plus long que les mots, et la sobriété du graphisme laisse toute la place à l’émotion brute. C’est un regard pudique mais lucide sur une période trouble, un regard qui interroge aussi notre propre capacité à réagir dans des circonstances extrêmes.
Un scénario fluide, entre drame et burlesque
Le récit, construit comme une longue errance, avance avec une remarquable fluidité. On suit Amédée Videgrain sur les routes, de rencontres absurdes en instants suspendus, dans une France à la dérive. Le ton oscille entre comédie amère et drame silencieux, avec parfois une pointe de tendresse inattendue.
Les dialogues, toujours percutants, évitent la facilité : on rit, mais souvent jaune. Pascal Rabaté n’accuse pas, il observe. Il brosse le portrait d’un pays en déroute sans jamais tomber dans le manichéisme. L’écriture est sobre, parfois crue, mais toujours juste. Loin d’un traité historique, La Déconfiture est avant tout une œuvre de mémoire vive et sensible, portée par une écriture singulière et une narration fluide.
Avec La Déconfiture, Pascal Rabaté réussit un tour de force : rendre compte de l’horreur de la débâcle sans didactisme, avec humanité et une finesse de ton rare. Cette intégrale, sobre et élégante, rend pleinement justice à une œuvre majeure qui interroge notre rapport à l’Histoire, au courage et à la solidarité. C’est une lecture salutaire, où le burlesque et la douleur cohabitent sans jamais s’annuler. Du très bon Rabaté, dans ce qu’il a de plus touchant, de plus vrai. Une bande dessinée qui mérite amplement sa place parmi les grandes réussites du genre.
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