« Tous les quatre ans, les Jeux Olympiques restaurés donnent à la jeunesse universelle l’occasion d’une rencontre heureuse et fraternelle dans laquelle s’effacera peu à peu cette ignorance où vivent les peuples de ce qui les concerne les uns les autres : ignorance qui entretient les haines, accumule les malentendus et précipite les événements dans le sens barbare d’une lutte sans merci » (Pierre de Coubertin, 1894)

5 août 1928, Amsterdam. En ce deuxième dimanche de la IXe olympiade d’été se prépare à l’Olympisch Stadion l’épreuve très attendue du marathon qui vient clôturer les épreuves d’athlétisme. Malgré la saison, la météo n’est pas de la partie. Voilà plusieurs jours qu’il pleut, rendant les épreuves plus compliquées et refroidissant les corps des athlètes comme du public. Il faut également composer avec le vent, un vent qui souffle fort, au point de tendre à la limite de la déchirure les 46 drapeaux représentant les différentes nations présentes à cette compétition. Quinze heures passées, le public qui s’est amassé en nombre dans le stade attend avec impatience l’entrée en lice des marathoniens. Les juges se mettent en place, les journalistes préparent leur carnet ou ajustent les appareils photo et les caméras, les commentateurs annoncent enfin l’entrée des athlètes.
Les spectateurs acclament avec ferveur les sportifs. Leurs regards convergent vers les marathoniens les plus en vue. Il y a les Américains, « les mieux soignés, les mieux chaussés, les mieux nourris », dont Joie Ray spécialiste du demi-fond et Clarence Demar sextuple vainqueur du marathon de Boston ; des indiens du Mexique qui « peuvent courir des jours entiers sans boire ni dormir » ; le Chilien Manuel Plaza qui « n’a jamais perdu une course » en Amérique du Sud ; l’équipe anglaise, réputée comme « la plus solide des Jeux » ; les Japonais « déterminés et redoutables » ; les « Finlandais  volants » qui « dominent outrageusement le demi-fond mondial » et bien d’autres nations encore. Les « petits Français » ne figurent pas parmi les favoris. L’équipe est composée de trois garçons de belle allure, Marcel Denis, Jean Gérault et Guillaume Tell, et d’un « petit arabe » uniquement connu de son prénom El Ouafi. Le départ est donné et les 69 athlètes s’élancent. S’ils sont groupés au départ, les marathoniens s’étirent un peu plus à chaque kilomètre. Les pas se font de plus en plus lourds, les corps souffrent, certains athlètes lâchent prise. Alors que les regards se tournent vers les favoris, personne ne semble remarquer la formidable course qu’El Ouafi Boughera est alors en train de réaliser.

Marathon, réalisé par Nicolas Debon et paru en juin 2021 aux éditions Dargaud, décrit le moment de gloire éphémère vécu par le marathonien français d’origine algérienne El Ouafi Boughera, trop vite tombé dans l’oubli. Avec cet album, l’auteur cherche avant tout à décrire la course, les limites du corps, le rôle du mental dans une épreuve qui demande aux athlètes de puiser dans leurs ultimes ressources pour aller au bout de leur effort. Le dépassement de soi est un thème cher aux yeux de l’auteur, qui lui a déjà consacré plusieurs bandes dessinées, notamment Le Tour des Géants retraçant le Tour de France 1910.
N. Debon nous offre ici un ouvrage d’une très grande qualité signant à la fois le scénario, le dessin et la colorisation. Le crayonné précis se mêle aux techniques de l’impressionnisme, permettant ainsi de détailler avec minutie les différentes étapes de la course. Le découpage des planches et le texte minimaliste permettent à l’auteur de maintenir le suspens et de tenir le lecteur en haleine jusqu’au franchissement de la ligne d’arrivée. Enfin, cet album est accompagné d’un dossier documentaire qui vient conclure l’ouvrage retraçant le parcours d’El Ouafi Boughera de sa naissance vers 1898 à sa disparition brutale en 1959.