Le maître de California Hill, paru aux éditions La Boîte à Bulles, est un chef-d’œuvre du roman graphique signé par LF Bollée et Georges Van Linthout. Alliant thriller psychologique, fresque historique et réflexion philosophique, cette œuvre captivante transporte le lecteur dans l’Amérique des années 1870 où le magnat Leland Stanford et l’inventeur Eadweard Muybridge poseront les bases du cinéma. Sur fond de conquête de l’Ouest et de révolutions scientifiques, le récit explore les zones d’ombre de l’ambition humaine et le prix du progrès. Porté par un scénario riche et intelligent ainsi que par des illustrations en noir et blanc d’une élégance saisissante, Le maître de California Hill marque durablement les esprits. Un roman graphique puissant et bouleversant, incontournable pour les amateurs du genre.
Un pari insensé à l’origine d’une révolution
L’intrigue prend place à la fin des années 1860, alors que la construction de la première ligne de chemin de fer transcontinentale touche à son terme. À l’Ouest, l’homme à la tête de ce projet titanesque n’est autre que Leland Stanford, magnat des affaires, directeur de la Central Pacific, ancien gouverneur de Californie, et propriétaire du somptueux domaine de California Hill, où il nourrit une passion dévorante pour les chevaux de course.
Personnage complexe et fascinant, Stanford est un visionnaire animé par une ambition sans limites et une soif insatiable de pouvoir. Son destin bascule lorsqu’il croise la route de son rival de l’Union Pacific, M. Durant. Une question en apparence anodine surgit alors : un cheval lancé au galop garde-t-il toujours un sabot en contact avec le sol ? Cette interrogation, qui divise les milieux hippiques, conduit à un pari audacieux : celui qui parviendra à prouver scientifiquement la réponse remportera 10 % de l’entreprise de l’autre.
Déterminé à relever ce défi, Stanford met tout en œuvre pour s’assurer la victoire. Pour cela, il recrute Eadweard Muybridge, un photographe de génie à la réputation controversée. Mystérieux et tourmenté, Muybridge est hanté par ses propres démons, mais son ingéniosité et sa ténacité font de lui le candidat idéal pour accomplir l’impossible. Stanford lui fournit des moyens presque illimités pour capturer, image par image, le mouvement d’un cheval au galop. À cette époque, la technologie ne permet pas encore de saisir des mouvements aussi rapides, mais Muybridge est prêt à tout pour relever ce défi, même à défier les lois de la physique et de l’optique.
Une collaboration funeste sur fond de drames personnels
Le pari devient rapidement une obsession pour les deux hommes. Muybridge s’installe à Palo Alto, dans les vastes écuries de Stanford, et commence ses expérimentations. Il imagine un dispositif révolutionnaire de déclencheurs alignés le long de la piste, destinés à capturer en rafale chaque étape du galop. Mais alors que les défis techniques s’accumulent, un drame personnel vient bouleverser sa vie : découvrant l’infidélité de sa femme, il assassine l’amant de celle-ci, qu’il suspecte d’être le père de son enfant. Un procès retentissant s’ensuit. Stanford, prêt à tout pour gagner son pari et battre son rival, utilise son influence pour sortir Muybridge de ce scandale judiciaire et le remettre au travail. Stanford connaît lui aussi une tragédie : son fils unique, Leland Jr., meurt subitement de la fièvre typhoïde. Dévasté, Stanford fait ériger l’université Stanford en mémoire de son fils, mais cet hommage grandiose ne suffira pas à combler le vide laissé par cette perte.
L’invention qui pose les bases du cinéma
Malgré ces épreuves, l’expérience atteint son apogée lorsque Muybridge parvient enfin à capturer en rafale le galop du cheval, prouvant ainsi que le cheval ne garde pas toujours un sabot en contact avec le sol. Cette découverte révolutionnaire marque un tournant dans l’histoire de la photographie et pose les bases de ce qui deviendra plus tard le cinéma. Un ouvrage est publié pour présenter ces clichés inédits, mais Stanford refuse de créditer Muybridge comme l’inventeur du procédé, s’attribuant tout le mérite.
S’ensuit un procès amer où Muybridge tente de récupérer la paternité de son invention. Dans le même temps, il invente le zoopraxiscope, un appareil permettant de projeter ses photographies animées, créant ainsi les premières images en mouvement. Pourtant, ses travaux sont rapidement éclipsés par les avancées de Thomas Edison, qui développe le kinétoscope, et des frères Lumière en France, qui inventent le cinématographe. La question reste entière : Edison s’est-il inspiré des travaux de Muybridge pour créer son kinétoscope ?
Une fresque historique et un thriller psychologique captivant
Dans les dernières pages, un éditeur du début du XXe siècle projette de publier cette histoire fascinante, mais décide de faire appel à un enquêteur privé pour démêler le vrai du faux. Muybridge a-t-il été spolié de son invention par Stanford et Edison ? California Hill était-elle un palais de démesure à l’image des ambitions folles de Stanford ? Le magnat a-t-il fini ses jours tel un monarque déchu, anéanti par la mort de son fils ? Le lecteur est ainsi plongé dans un jeu de miroirs où la vérité reste insaisissable.
Le maître de California Hill n’est pas seulement un récit historique sur les débuts du cinéma ; c’est un thriller psychologique magistral qui interroge sur la vérité, la mémoire, et la folie créatrice. LF Bollée dresse des portraits saisissants de personnages complexes, tiraillés entre leurs ambitions, leurs obsessions, et leurs démons intérieurs. Le scénario, solidement documenté, permet au lecteur de s’immerger dans une époque de progrès effréné, tout en laissant place à l’interprétation personnelle et au doute.
Les dessins de Georges Van Linthout, réalisés au crayon dans un noir et blanc sobre et élégant, subliment cette fresque. Son style épuré et expressif capte avec une justesse poignante les émotions des personnages, tout en renforçant l’atmosphère sombre et oppressante du récit. Le choix du noir et blanc crée une esthétique intemporelle, renforçant le côté dramatique de l’histoire.
Le lien vers le site de l’éditeur : https://www.la-boite-a-bulles.com/serie/385