Particulièrement adapté au collège, ce nouvel opus de la collection Autrement Junior devrait prendre place dans tous les CDI. Léger de poids, riche en informations, le récit est privilégié par rapport aux documents, qui servent à illustrer. En ce sens, cette collection se démarque des collections de jeunesse de type « encyclopédique ».
Dès l’introduction, la démocratie est définie comme un système complexe en perpétuelle mutation. « Aujourd’hui, la plupart des pays se disent démocrates. Mais nous ne sommes pas tous d’accord sur le sens profond du mot, sur la façon dont ce « pouvoir du peuple » peut s’exercer. » Ainsi sa définition évolue avec le temps et sa géographie est variable !
Par exemple, les démocraties populaires d’Europe de l’Est s’opposent-elles aux démocraties libérales pendant la Guerre Froide. Les auteurs invitent d’emblée à la réflexion en montrant que la « démocratie est en question », et qu’elle « représente toujours un combat ».
Ne cherchez pas en conséquence dans cet ouvrage un calque du cours d’Education civique de 3e. Le sujet est placé dans sa portée historique et universelle. Ne cherchez pas non plus une synthèse sur la question. Les neufs chapitres respectent la chronologie, mais pas le continuum. Si l’ouverture retrace « classiquement » la « Démocratie athénienne au VI-Ve siècle av. J.-C. », le chapitre suivant évoque la convocation des Etats généraux en France entre le XIVe et le XVIIIe siècle ! Convoquée uniquement en période de crise, cette assemblée n’est pas régulière. Rien entre 1484 et les guerres de religion, rien entre 1614 et 1789 ! Néanmoins, cette institution pose clairement la question de la représentation du peuple français et ouvre en 1789 la voie du parlementarisme, sous les coups des révolutions de 1789. Le chapitre suivant, l’agitation révolutionnaire (1789-94) répond aux questions de Sieyès sur le Tiers-Etat, qui est « Tout », ne représente « Rien » et demande « à être quelque chose ». Les auteurs s’appliquent à présenter simplement les courants politiques et les idéologues de la période. Cette lecture serait très utile aux élèves de 4e ! On peut juste regretter l’absence du mot « Terreur » pour caractériser la période d’accaparement du pouvoir par les Jacobins entre 1793 et 1794. Sur la même période, 1789-94, un excellent chapitre montre comment les débats concernant l’enseignement public font rage. Tous sont convaincus de l’intérêt d’instruire le peuple, pour les soustraire notamment à l’obscurantisme, mais Talleyrand et Lakanal distinguent les degrés d’instruction selon « l’intégration dans le monde du travail » alors que Condorcet plaide pour une instruction universelle. D’autre part, la Ière République ne parvient pas à créer une école gratuite, ne fournissant que les locaux, alors que les instituteurs, sauf pour les plus pauvres, sont payés par les élèves. Il faudra attendre les lois de Ferry en 1880-1882 pour régler la question. Pour conclure, les auteurs font le lien entre ces débats révolutionnaires et la situation actuelle de l’enseignement en France, reprenant les propos de Condorcet face à la « multiplication des options et voies de sortie vers le monde du travail » qui « portent des coups importants à des principes fondamentaux de la démocratie ». Le quatrième chapitre sur la France (Suffrage universel ou unisexuel ? XVIIe-XXe siècle) retrace l’Histoire du combat des femmes en politique, montrant et expliquant le retard français dans la mise en place d’un vrai suffrage universel (1944 : droit de vote des femmes) et concluant sur une égalité actuelle bien imparfaite malgré la loi sur la parité (2000).
Dans les classiques, signalons le chapitre sur « la naissance de la démocratie moderne aux Etats-Unis d’Amérique, 1787 ». Un point traité mérite qu’on s’y attarde : « la recherche du bonheur », cité par les Pères fondateurs, justifie l’expansionnisme américain, appelant ouvertement au génocide contre les Indiens, justifiant l’esclavage. Pour les auteurs, la Constitution amendée 27 fois depuis 1787 garde intact son esprit, celui d’une démocratie libérale expansionniste.
D’un château l’autre : le communisme, du Manifeste du parti Communiste (1848) à l’effondrement de l’URSS dirigée par une oligarchie, ou comment le rêve d’une démocratie prolétarienne s’est transformé en système totalitaire. Les dérives démocratiques sont aussi traitées dans un chapitre original et éclairant sur le populisme à la sauce vénézuelienne d’Hugo Chàvez. S’inspirant de Bolivar, il met l’économie au service du peuple, contre les intérêts des industries pétrolières. Mais parallèlement, il renforce son pouvoir personnel, s’appuyant sur une grande popularité auprès des masses.
Enfin, dans un dernier bref chapitre, « la démocratie face à la mondialisation », les auteurs listent toutes les menaces actuelles qui pèsent sur ce système politique dans un monde jugé « incompréhensible ». La charge est lourde sur le pouvoir des médias qui remet en cause la liberté d’expression.
La grande force de cet ouvrage tient à la précision des définitions et la présentation synthétique des différents courants de pensée, même s’il n’est pas exhaustif. On pourrait regretter par exemple que le cas de l’Inde, plus grande démocratie du monde, ne soit traité (Mais cela ferait redondance certainement avec un autre n° de la série, sur l’Inde). La conclusion symbolise les qualité du livre, ouvrant de nouvelles voies explorées par des penseurs comme Angela Davis, Erich Fromm, Herbet Marcuse ou Ricardo Petrella, pour « évoluer vers des valeurs différentes de celles qui, aujourd’hui, creusent les inégalités entre nous, et amènent trop souvent à des conflits entre Etats. » De quoi éclairer et faire réfléchir petits et grands.
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