Recension par Gilles Boué
« Armées et Marines au temps d’Austerlitz et de Trafalgar » –
Compte rendu rédigé par Gilles Boué, enseignant au lycée Hélène Boucher de Paris, spécialiste en histoire militaire.
Ce livre est publié dans le cadre du programme Conflictus de l’Agence nationale de la recherche il met en avant des travaux d’une dizaine d’historiens professionnels reconnus comme Bruno Colson ou Jean Paul Charnay ou de doctorants. Ce court ouvrage permet de faire un rapide tour d’horizon sur l’état et l’évolution de la recherche en histoire napoléonienne dans son aspect militaire. Si tout au long du XIX ème siècle, cet aspect bien particulier et glorieux de l’histoire militaire connut un véritable engouement , on ne peut en dire autant en ce qui concerne la seconde moitié du XXème. Il faut attendre les retombées de la « nouvelle histoire militaire », rejetant l’antique « histoire bataille » avec les travaux d’André Corvisier, Jean Chagnot, Gilbert Bodinier et consorts pour que la dimension militaire de l’épopée napoléonienne fut à nouveau réévaluée. On ne peut nier la dimension nécessaire dans cette renaissance, donnée par le travail d’amateurs, plus ou moins respectueux des règles de la recherche universitaire comme Alain Pigeard. Mais c’est surtout dans la sphère anglo-saxonne que les travaux sur l’aspect militaire de la période napoléonienne ont été les plus nombreux, on citera au passage les travaux de Georges Nafziger ou plus près de nous la remarquable thèse de Frédérick Schneid sur les soldats de l’armée du royaume d’Italie. Petit à petit, et malgré le regard moqueur de quelques pontifiants mandarins, l’histoire militaire napoléonienne refait surface aussi en France. C’est tout à l’honneur des deux historiens parrainant cet ouvrage de nous le rappeler dans une brillante introduction d’Hervé Coutau Bégarie intitulée »pour un renouveau de l’histoire militaire du Premier Empire.
Le corps de l’ouvrage est constitué de 12 interventions assez brèves, issues de recherches universitaires : partie liminaire de thèse, , extrait de DEA, résumé de livre à paraître, article prosopographique savant remanié, étude régimentaire, , étude théorique de tactique ou d’impact littéraire, extrait de conférence prononcée dans le cadre de la CFHM (Commission française d’histoire militaire). La grande variété de l’origine des textes donne toute sa richesse à ce livre, mais le côté patchwork peut aussi sembler décousu. On peut distinguer plusieurs approches catégorielles dans cet ouvrage, montrant la richesse de l’histoire militaire.
D’abord les très classiques études d’opérations militaires: le passage de la Limat par Masséna (septembre 1799) ou la campagne de Galice (1808-1809). Ces deux études se distinguent de l’abondante littérature du XIX ème siècle par l’originalité de leur point de vue; le Lieutenant Colonel Riccioli s’intéresse avant tout à un type d’opération militaire qui depuis la bataille du Granique (338 avt JC) ou encore plus loin de Kadesh (-1290 avt JC) interpelle tout homme de guerre: comment passer une rivière défendue.
Études d’opérations militaires
Le choix de l’auteur correspond aux mouvements préparatoires de la bataille de Zurich, et s’inscrit dans un travail plus général, il aurait pu tout aussi bien choisir le passage du Danube ne mai 1809 ou évoquer la victoire de la Bérézina. Gustave Amorin Fulle nous propose une courte présentation de ce que sera sa thèse sur « la campagne de Galice », plus que de l’originalité c’est dans son exhaustivité que ce travail mérité d’être signalé, en effet, sans entrer dans des détails qui n’ont pas lieu d’être ici, l’auteur peint en quelques pages , les enjeux et les acteurs du »cancer espagnol ».
Trois études prosopographiques nous sont proposées. Tout d’abord, tirée des travaux de Bruno Colson, dont la thèse sur le général Rogniat n’est plus à présenter, une étude sur les officiers du génie en 1805. l’auteur rappelle que ces officiers savants et dévoués eurent un rôle majeur dans les opérations qui menèrent à Austerlitz. Moins connus et moins célébrés que les officiers des troupes combattantes, ils ne forment pas moins une élite militaire inconnue dans les autres armées contemporaines. Ils sont les yeux de l’armée et fournissent à l’empereur les renseignements nécessaires à ses opérations, ils apportent le coup d’œil militaire à toutes les observations de villes, de routes ou de ponts. Ils gomment les surprises logistiques. Les deux autres chapitres, étudient un groupe social, les officiers poitevins du premier Empire et une unité « les soldats enfants de Napoléon ». Plus classiques dans leur forme et leur contenu, elles n’en sont pas moins originales par leur sérieux et la richesse des renseignements recueillis. Un dernier chapitre « les cuirassiers et la cavalerie lourde d’Austerlitz à Waterloo » rafraîchit sans trop la renouveler, l’étude déjà ancienne du colonel Picard . ce travail laisse cependant bien augurer de la prochaine publication d’un ouvrage complet sur la question par le Commandant Lapray.
Variations romantiques sur la Bérézina
Un autre thème important abordé, est celui, plus à la mode de l’histoire culturelle avec deux chapitres: « images de la guerre dans la légende napoléonienne sous la Restauration » et » variations romantiques sur la Bérézina ». Le premier des deux chapitres présente avec bonheur, les attentes de la génération post napoléonienne, attentes de gloire sous la bien triste Restauration qui « inventa » la victoire du Trocadéro comme un pendant à la légende dorée. Deux auteurs dominent cette génération, Las case et son mémorial de Sainte Hélène et Béranger et ses innombrables chansons. La bérézina n’a cessé de fasciner les auteurs du 19ème siècle, Hugo ou Balzac en firent le paradigme de la défaite. Si aujourd’hui cette lecture masochiste de l’évènement fait encore débat (le Dr Hourtoulle publiera sa « Bérézina » fin 2007 ou début 2008), la vision romantique a largement été reçue comme la vérité historique. De nombreux extraits de poésies et de textes littéraires illustrent l’ensemble de la construction du mythe, dans ce article remarquable.
Restent deux articles sur les marines de la période. La victoire anglaise de Trafalgar est étudiée dans sa vision théorique par Michel lepeyre, grand spécialiste des questions franco-anglaises dans leurs dimensions maritimes. D’une lecture aisée, l’article montre que cette victoire peut être considérée comme l’aboutissement de la réflexion théorique du 18ème siècle de la part d’amiraux britanniques comme Hood ou Rodney mais aussi de marins français comme Grenier ou d’Amblimont. Le second article maritime présente la marine prussienne, sujet innovant et légèrement décalé dans la mesure ou la Prusse se voulait avant tout une puissance continentale. Cet « intermède de l’insignifiance » est aux yeux de l’auteur le moment préparatoire indispensable à la future marine conquérante de l’amiral Von Tirpitz.
Pour conclure l’ouvrage, les deux derniers articles nous font quitter la sphère européenne pour l’Amérique du sud. En effet, on peut y suivre les aventures du général Bayer au service de San Martin au Chili, autour de l’idée de la transmission de la culture de guerre napoléonienne. L’échec du général Brayer fut plus un échec personnel qu’un rejet du système de guerre napoléonien. Un court article sur les « Pastusos » nous fait découvrir les luttes générées par les soubresauts européens. De 1809 à 1815, les vices royautés espagnoles sont déchirées par des guerres de libération qui préfigurent les grands mouvements pan américains des années 1830. L’ensemble de l’ouvrage mérite par sa richesse et sa variété de figurer dans toutes les bonnes bibliothèques.
© Clionautes Gilles Boué