Compte-rendu par JP Raud Dugal

La question de la dévolution des pouvoirs au Royaume-Uni constitue un enjeu majeur pour le système politique britannique depuis la fin du XIXème siècle.
Christian Civardi, Professeur à l’Université de Strasbourg 2 et auteur de « l’Ecosse contemporaine » en 2002 et Moya Jones, Professeur à l’Université de Bordeaux 3, auteur de l’ouvrage sur la dévolution des pouvoirs chez Armand Colin et de « Le royaume désuni : Angleterre, Irlande, Ecosse, Pays de Galles . Introduction à la dévolution » sont responsables de ce nouvel opus du CRECIB. La littérature est abondante sur la dévolution depuis peu. La thèse de Nathalie Duclos, MDC à l’Université du Mirail de Toulouse, « La nouvelle autonomie écossaise (1994-2001) » en est une des meilleures illustrations. L’ouvrage de Claude Mangin, « Le Royaume-Uni » laisse une place importante à cette thématique (http://www.clionautes.org/?p=1116 ). On pourra compléter cette approche par la lecture de Vernon Bogdanor, « Devolution in the United Kingdom ». De plus , les concours d’Anglais de l’Education Nationale l’ont mis à leur programme de Civilisation en 2006-2007, et l’agrégation externe a lui réservé une place de choix.L’ensemble des auteurs se proposent, par des entrées thématiques, de balayer le large spectre de la dévolution des pouvoirs en Ecosse et au Pays de Galles, et plus précisément depuis 1966.

Pourquoi 1966 ? C’est avant tout la première conquête d’un siège au parlement par un parti nationaliste, en l’occurrence du Plaid Cymru au Pays De Galles un an avant qu’un autre « coup de tonnerre » de même nature ne viennent ébranler l’Ecosse. La nécessité de donner plus d’autonomie aux périphéries va être l’objet de luttes incessantes qui trouveront leur aboutissements qu’en 1997 lors du référendum sur la dévolution.

Cette entrée de la problématique dévolutionniste dans le paysage anglais n’est pourtant pas un phénomène récent si on se réfère aux Home Rules de Gladstone. Christian Civardi, en introduction, se propose ainsi de préciser le vocabulaire utilisé, élément indispensable a la compréhension de l’ensemble.

Les trois premiers articles posent des questions simples mais cruciales. Est-ce que la dévolution des pouvoirs dans les nations périphériques menace l’appartenance à une nation britannique ancrée dans l’Histoire ? Paul Ward, tout en rappelant la montée en puissance des idées liées à la dévolution, explique que la perte de l’identité britannique, le « Britishness » est une évidence avec l’accumulation des difficultés , quelles soient économiques avec la désindustrialisation, le recul du Welfare State, mais aussi symboliques comme la perte de l’Empire. L’identité britannique serait donc en train de changer de nature comme le prouve ses analyses mais la dévolution n’en serait pas la principale responsable.
Seconde question : La dévolution promeut-elle un modèle fédératif ? Michael Tatham reprend plusieurs éléments , sept en tout, qui composent une fédération et les compare avec le modèle dévolutionniste britannique. Il en conclut que, bien que les pouvoirs du parlement de Westminster restent supérieurs à ceux de l’Assemblée galloise et du Parlement Ecossais, les similarités sont grandes et que le débat fut en grande partie tronqué dans les milieux politiques anglais.
Troisième question : En quoi l’intégration européenne du Royaume-Uni change-t-elle la donne pour les nations périphériques et les partis nationalistes ? Agnès Alexandre-Collier analyse au Pays de Galles comme en Ecosse les réactions des populations mais aussi des principaux partis politiques en présence. Ainsi , les partis nationalistes, en Ecosse avec le SNP en particulier, virent tous les avantages qu’ils pourraient tirer de cette situation. L’auteur discute ensuite du problème de subsidiarité qui prête à discussion et fait l’objet d’une forte singularité britannique. Les partis nationalistes vont se servir de l’idéal européen pour promouvoir l’idée d’indépendance dans une Europe des nations.

Les deux articles suivants font état des réflexions, durant la période allant de 1966 à 1999, des principaux partis politiques, Labour Party et Conservative Party vis-à-vis de la dévolution.
Edwige Camp-Piétrain et Carine Berbéri notent toutes deux que ces partis britanniques n’ont pas été des partis dévolutionnistes. Le Parti Conservateur, ou Unionist Party, fut pourtant celui qui le premier s’intéressa à la dévolution de certains pouvoirs, jugés non fondamentaux, aux nations périphériques. C’est ensuite la politique d’intransigeance de Margaret Thatcher, refusant très clairement tout acte de dévolution qui rompit avec cette politique des petits pas. Les travaillistes, partisans de longue date d’un état très centralisé, seul garant d’une égalité territoriale indispensable pour mettre en place leur politique, ont longtemps refusé tout acte de dévolution des pouvoirs. Les élections partielles de 1966 et 1967 ainsi que la lourde défaite au référendum sur la dévolution en 1979 couplé avec l’arrivée au pouvoir des conservateurs jusqu’en 1997, ont changé la donne. Tony Blair a repris le flambeau d’une dévolution qui a défaut d’être intimement convaincue n’en fut pas moins réelle comme en atteste les référendums de septembre 1997 et la mise ne place en 1998 des « acts » de dévolution au Pays de Galles et en Ecosse.

Les deux partis nationalistes et leurs stratégies mouvantes tout au long de la période sont passés au crible de différents auteurs.
Claire Charlot explique particulièrement bien les dynamiques en cours au pays de Galles jusqu’en 1979 en décrivant les racines de la constitution du Plaid Cymru dans les années vingt. On peut regretter quand même que cette étude s’arrête en 1979 au lendemain du premier référendum manqué. Il faudra adjoindre l’article de Didier Revest sur « L’essor du nationalisme civique au PDG » pour mieux appréhender les dynamiques sociales et politiques à l’intérieur cette nation. Annie Thiec explique, quant à elle, la stratégie plus élaborée du Scottish National Party qui a su, après la défaite électorale de 1979, et un changement progressif de stratégie, s’intégrer au processus de dévolution instauré par les travaillistes, mais pas seulement, sous l’égide de Tony Blair.

Ensuite, les articles de Antoine Mioche sur « La dévolution au miroir de l’Histoire impériale », celui de David Leishman, « A Parliament of novels » et enfin « La campagne dans la campagne : pour la parité au sein des nouvelles assemblées autonomes » de Véronique Molinari, donnent à ce tour d’horizon de la dévolution un caractère multiforme et intéressant.

On pourra conclure la lecture par l’article très synthétique de Nathalie Duclos sur les référendums sur la dévolutions en Ecosse et Pays de Galles en 1997 qui résume fort bien les dynamiques qui furent en cours dans cette période.

Ce numéro du CRECIB est d’une lecture très simple et permet un véritable tour d’horizon de la question de la dévolution au Royaume-Uni. En dehors de cette considération, c’est son aspect très structuré et synthétique qui séduit. Même si les notions de dévolutions asymétriques mais aussi les volets économiques de la dévolution comme la Tartan Tax sont à peine évoqués, il faut le considérer comme le meilleur point de départ possible pour une étude approfondie du sujet. Les informations sont complétées par des références bibliographiques très riches et vraiment efficientes. La qualité de ce numéro ne doit pas échapper aux candidats aux concours de l’Education Nationale en Anglais mais aussi en Histoire-Géographie ainsi qu’aux étudiants. Les professeurs en tireront rapidement la conclusion que la problématique de la dévolution rejoint celle de l’évolution du territoire britannique mais aussi de sa place en Europe.

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